À l'évocation du nom du
cinéaste espagnol Narciso Ibáñez Serrador, c'est toute la fibre
cinéphile des amateurs de cinéma ibérique en général et d’œuvres
post-apocalyptico-dystopiques en particulier qui s'éveille. Auteur
en 1976 du film culte ¿Quién puede Matar a un Niño?
(traduit chez nous sous le titre Les Révoltés
de l'An 2000)
Narciso Ibáñez Serrador, mort l'année dernière à l'âge de
quatre-vingt trois ans aura surtout œuvré pour le petit écran (il
aura notamment créé et participé à la série de téléfilms
horrifiques
Historias para no Dormir
aux
côtés de Álex de la Iglesia, Jaume Balagueró ou encore Paco
Plaza) tout en apparaissant très rarement dans l'agenda
cinématographique espagnol. Une toute petite poignée de
longs-métrages cinéma seulement et ce, en un peu plus d'un
demi-siècle de carrière en tant que réalisateur. Son premier
méfait sur grand écran sera La Residencia
en 1969. Une œuvre dont les répercussions psychologiques semblent
pour son époque, presque anachroniques. On aura sans doute jamais
ressenti un tel malaise depuis l'extraordinaire Suddenly,
Last Summer
de Joseph L. Mankiewicz dix ans en arrière ou depuis le tout aussi
fabuleux Shock Corridor
de Samuel Fuller en 1963 (on pourrait également citer le terrible
Répulsion
de Roman Polanski de 1965). De ces poisons qui s'insinuent dans nos
veines pour monter jusqu'au cerveau et ne plus nous lâcher jusqu'au
générique de fin...
Alors
bien entendu, cinquante et un ans après sa sortie sur les écrans,
La Residencia
pourra paraître bien mièvre pour ces nouvelles générations de
cinéPHAGES ne se nourrissant que d’œuvres crapoteuses très
largement surestimées (en réalité, combien de The
Girl Next Door signé
Gregory Wilson peuvent se targuer d'être authentiquement
dérangeants?). Pourtant, à bien y regarder, l’œuvre de Narciso
Ibáñez Serrador a bel et bien conservé toute sa puissance
évocatrice. Du charme désuet d'une institution pour jeunes filles
conservant l'éclat, le maintien et la rigueur de l'époque
victorienne, le cinéaste espagnol impose un climat délétère dans
ce qui constitue un melting pot des genres entre œuvre d'atmosphère
tirant vers l'épouvante, Giallo ibérique et drame. Porté
par des décors magnifiques mais étouffants, un éclairage très
largement atténué, une bande-son et des musiques déviantes signées
du compositeur argentin Waldo de los Ríos, mais surtout par une
irréprochable interprétation, La Residencia
est un chef-d’œuvre qui porte en lui toute la tension sexuelle
d'une ribambelle d'adolescentes frustrées de n'avoir jamais
l'occasion de fréquenter le moindre garçon de leur âge.
Derrière
l'apparente pureté de chacune s'exprime le désir. Une appétence
pour le sexe révélée lorsque notamment, l'une d'entre elles
s'échappe d'un cours donné par la tyrannique Madame Fourneau pour
retrouver son amant dans la serre de la propriété, ses camarades
ressentant alors par procuration le plaisir qui lui est donné.
L'extraordinaire actrice allemande Lilli Palmer incarne la directrice
de l'établissement. Glaciale et rigide, son interprétation fait
froid dans le dos et son attitude ouvre des perspectives qui
n'aboutiront cependant pas forcément dans le sens que leur donnera
le spectateur. À ses côtés, l'actrice Mary Maude dans ce qui
constitue l'un des portraits d'adolescentes perverties par le mal
parmi les plus marquants. Face à elle, la fragile Cristina Gaibo n'y
fera pas long feu. À travers son premier long-métrage, Narciso
Ibáñez Serrador fait une description de la gente masculine peu ou
pas du tout élogieuse, même lorsqu'elle paraît incarner la pureté
la plus inaltérable qui soit. L'espagnol joue également sur
l’ambiguïté révélée par des scènes évoquant désir saphique
et inceste. La Residencia trouvera
un écho aussi retentissant qu'admirable deux ans plus tard
outre-atlantique avec The Beguiled
de Don Siegel, autre chef-d’œuvre distillant un très important
malaise...
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