Ce devait être le 1500ème article, mais trop pressé d'en parler, je n'ai pas eu le courage d'attendre deux articles supplémentaires...
LE film de l'année... ça
ne veut pas dire grand chose. Tout étant histoire de (dé)goût et
de couleur, chacun y trouvera son compte. Pour ma part, et en
supposant que je n'assiste à aucune projection inédite d'ici la fin
du mois, MON film de l'année 2018 est français. Il est le premier
long-métrage de son auteur (si l'on ne tient pas compte de Hormona
qui en 2015 proposait une anthologie constituée de trois de ses
courts-métrages), le cinéaste Bertrand Mandico, et surtout,
l'adaptation d'un roman culte The
Wild Boys: A Book of the Dead de
l'un des grands écrivains de la Beat
Generation,
William S. Burroughs. Sexe, violence, addictions, homosexualité,
saphisme, tout cela dans un contexte d'anticipation. Tel est Les
Garçons Sauvages.
En 2018, rares auront été les occasions de véritablement s'évader
sur grand écran. D'un point de vue strictement hexagonal, à part
les blockbusters venus d'Outre-Atlantique et les dizaines de comédies
pépères, le public français n'aura pas vraiment eu beaucoup
d'occasions de ressortir de sa salle de cinéma préférée essoré,
vidé, bouleversé, violenté, tout en ayant été magistralement
accompagné durant presque deux heures dans un conte aussi sombre que
lumineux. Par des interprètes tous magnifiques. Un film qui au-delà
de sa singulière approche toute masculine, ne se révèle jamais
l’œuvre misogyne que certain(e)s aimeraient faire paraître.
Entrelacé
de séquences renvoyant directement à la culture pop des années 60,
70 et 80, le long-métrage de Bertrand Mandico est en NOIR et en
BLANC. Le reflet du bien et du mal. Du sang et du sperme. Ceux qui
coulent dans les veines de ce quintette en négatif du Club
des Cinq du britannique Enid Blyton, mais dont les références
s'étendent bien plus loin. Bien que le cinéaste ait ses propres
sources d'inspiration que l'on n'oserait pas affirmer être freinées
par l'ouvrage de William S. Burroughs, Les Garçons
Sauvages
appelle autant le spectateur à évoquer ses propres modèles,
comparant ainsi le travail d'orfèvre de Bertrand Mandico (lequel
s'est lui-même chargé de l'adaptation), d'une part, à tout ce
qu'il a construit sa vocation de cinéphile.
Forcément,
Les Garçons Sauvages
rappellera tout d'abord le roman Lord of the
Flies
de William Golding même si le réalisateur avoue avoir été
principalement (et logiquement) inspiré par le roman de William S.
Burroughs. Avouant également un fait que le spectateur aura déjà
vérifié de visu sur grand écran : Que le film de Bertrand
Mandico s'inspire également très fortement du roman de Jules Verne,
Deux ans de Vacances.
Mais là où ce dernier évoquait du moins pour un temps, la
fraîcheur et l'insouciance de la jeunesse, Bertrand Mandico s'y
refuse totalement et signe une œuvre gothique et mortifère d'une
beauté visuelle parfois fulgurante. Impossible de quitter l'aventure
et de reprendre une activité normale dans les minutes qui suivent.
L'expérience est unique. Ou presque. Comme si dans un shaker, le
cinéaste avait mêlé à ce lait étrange coulant des verges
végétales sur l'île où se situe une partie de l'intrigue, des
expériences aussi fortes que le Singapore Sling
du grec Nikos Nilolaïdis, le ¿Quién Puede
Matar a un Niño?
de l'espagnol Narciso
Ibáñez Serrador, le Clockwork Orange
du britannique Stanley Kubrick, ou encore le The
Night of the Hunter
de Charles Laughton.
Extraordinaire
interprétation de la part des cinq ACTRICES, oui, des femmes, pour
interpréter, des hommes. Enfin, des gamins. Le cinéaste s'est
appuyé sur l'un des point essentiels du film : la
caractérisation des personnages. Que l'on parle ici de Romuald,
Jean-Louis, Hubert, Tanguy et Sloan, respectivement interprétés par
Pauline Lorillard, Vimala Pons, Diane Rouxel, Anaël Snoek et
Mathilde Warnier, ou du « Capitaine »
magistralement incarné par l'acteur belge Sam Louwyck et de sa
« complice »
Séverine (envoûtante Elina Lowensohn), on reste littéralement
subjugués. Comment oublier le témoignage de Jean-Louis et de ses
camarades lors du procès qui les accuse du meurtre de leur
professeur de lettres ? L'incroyable séquence qui durant ce
même procès met face aux accusés, un procureur (hallucinant
Christophe Bier) vampirisant totalement l'espace ? Cette longue
virée à bord d'un rafiot hanté par un Captaine-démon aussi
effroyable que le Malin de l'extraordinaire Gok-Seong
du sud-coréen Na Hong-Jin ? Cette île-huître habitée par une
végétation luxuriante et par des phénomènes plus qu'étranges ?
Ou encore Séverine qui d'un pas feutré s'invite en icône
insaisissable lors d'un simulacre d'acte sexuel nécrophile ?
Les Garçons
Sauvages
est d'une richesse visuelle et sonore inouïs !!! Le travail
effectué sur la photographie (Pascale Granel) et sur le montage
(Laure Saint-Marc) est d'une créativité sans limites. Mais que
serait l’œuvre de Bertrand Mandico sans l'immense apport du
compositeur français Pierre Desprats qui à travers une dizaine de
compositions exprime toute l'angoisse, l'horreur et la luxure de ces
Garçons Sauvages.
Des musiques additionnelles accompagnent l'ensemble (Es
War Einmal
de Cluster), Pierre Desprats malmenant certaines d'entre elles dont la
célèbre Danse de
la fée Dragée
qui entre ses mains devient terriblement angoissante.
Réduire
Les Garçons Sauvages
au stupre et à sa violence serait faire preuve de mauvais esprit. Le
long-métrage de Bertrand Mandico est un poème macabre qui fouille
même jusque dans le cinéma le plus lointain (on pense parfois à
certains « Tableaux
de Méliès »
ou à la vague expressionniste allemande) et respecte un cahier des
charges voulant qu'aucun secteur n'ait été favorisé plutôt qu'un
autre. Mise en scène, choix des interprètes, musique, photographie,
costumes, montage, scénario, et j'en passe. Les
Garçons Sauvages
est un chef-d’œuvre. Un très grand coup de maître par un
cinéaste que l'on attendra forcément au tournant...
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