372ème article. Je me
demande aujourd'hui s'il faut user de la première, ou de la
troisième personne. Il y a peut-être quelque chose de
prétentieux dans cette interrogation, pourtant, quelle importance ?
Et les critiques dans tout ça, en ont-elles davantage ?
Vingt
ans. Pas jour pour jour, mais presque. Vingt ans que je l'ai vu pour
la première fois. Dix ans peut-être que je rêve d'en partager les
émotions qui m'ont submergées durant plus d'une heure trente. Cinq
tout au plus que j'espère pouvoir écrire dessus sans trop me
couvrir de ridicule. A tel point que j'avais fini par me convaincre
que Altered States était un mauvais film. Qu'il ne
méritait pas que je m'y attarde. Pourtant, le courage, il va bien
falloir que m'en arme.
En effet, il serait
égoïste de ma part que de garder pour moi ce sentiment immense que
je ressens ce soir. Cette vague d'émotions diverses impossibles à
réprimer. Mais comment faire ? Comment la rendre palpable.
Comment donner envie ?
Ken Russell, cet immense
cinéaste qui a commit sa plus terrible erreur en nous quittant le 27
novembre 2011 a laissé derrière lui une œuvre gargantuesque.
Spécialiste des biopics, il était capable du meilleur (The
Devils) comme du pire (The Lair of the White Worm).
Avec Altered
States,
il a offert au monde du cinéma et à ses fans l'un des films les
plus extraordinairement émouvant de l'histoire du cinéma.
"J'ai
vécu des états oniriques, mystiques... des allégories religieuses
bibliques." Eddie
Jessup
Certains
y verront sans doute une œuvre hautement symbolique. D'autre en
revanche se créeront une armature imperméable aussi solide que les
convictions du personnage campé par William Hurt, demeurant ainsi
définitivement réfractaires aux visions liturgiques et
psychédéliques d'un cinéaste à l'apogée de sa carrière...
De
retour du Mexique où il a participé à un rite, le professeur en
anthropologie Eddie Jessup a rapporté un flacon renfermant un
précieux mélange constitué de différentes plantes hallucinogènes.
Véritable psychotrope, cette substance, alliée à une expérience à
laquelle il est coutumier et qui consiste à rester immerger durant
des heures dans un caisson d'isolation sensorielle, va avoir des
répercussions inattendues sur un plan psychologique mais aussi
génétique.
Désireux
de remonter jusqu'aux sources mêmes de la vie, Jessup va peu à peu
régresser jusqu'à atteindre un état qu'il qualifiera de néant.
L'une
des principales sources d'inspiration du film est sans aucun doute le
breuvage originaire de certaines tribus d'Amazonie, l'Ayahuaca (ou
Yagé). A l'origine prévue pour ses bénéfices en matière de
pharmacologie, cette substance possède également des vertus
psychotropes : apparitions de taches blanches, de lumières,
perception modifiée, amplifiées au travers de visions auditives et
visuelles, etc...
Mais
Altered
States,
et à travers lui, Ken Russell et son principal personnage,
est aussi une formidable histoire d'amour à sens unique. En fait,
deux manière d'aborder cet amour. D'un point de vue strictement
sentimental, Emily, l'épouse du professeur sent bien que leur
relation lui échappe. Cette dernière ayant d'ailleurs été bâtie
sur de mauvaises bases, on comprend assez vite qu'elle ne peut
aboutir de manière heureuse. Emily, c'est l'actrice Blair Brown.
Alors que dans la première partie elle est très logiquement mise de
coté au profit du personnage d'Eddy et de ses deux associés (les
fantastiques Bob Balaban dans le rôle d'Arthur Rosenberg et Charles
Haid dans celui de Mason Parrish), elle revient après s'être
effacée par l'entremise d'un long voyage en Afrique, et donne tout
ce qu'elle possède de talent dans son interprétation.
"Ce
qui lui est arrivé ce soir, c'est sa façon de concevoir l'amour. Il
a enfin réussi à prendre son pied avec Dieu. Il a embrassé
l'absolu. Il a été violé par la Vérité. La salope, elle a bien
faillit avoir sa peau.." Emily
Jessup
Outre
l'incroyable prestation de William Hurt, Blair Brown est
extraordinaire dans le rôle de cette femme incapable de se battre
contre cette
"maîtresse" d'un genre un peu particulier qui accapare le
corps et l'esprit tout entier du scientifique. L'actrice joue,
exprime, et fait ressentir toute la douleur de son personnage,
incapable de résister et d'accepter l'autodestruction que s'inflige
l'homme qu'elle aime. Lui-même vit une histoire d'amour. Mais pas de
celles dont on est coutumier. Lui veut découvrir, apprendre et
savoir sur les origines de la vie, et donc de sa propre existence.
William Hurt est en état de grâce. Il interprète ici sans doute
l'un de ses meilleurs rôles.
Altered
States
est une œuvre atypique à la croisée des chemins entre le Easy
Rider
de Dennis Hopper pour le vent de liberté qu'exprime l’œuvre dans
son approche, The
Fly
de David Cronenberg (pas encore tourné à l'époque) pour le
dérèglement génétique consécutif aux expériences menées par le
trio de scientifiques et 2001, L'Odyssée de l'Espace de Stanley
Kubrick pour les incroyables visions psychédéliques auxquelles
personnages et spectateurs sont confrontés...
Altered
States
est une œuvre bouleversante, visionnaire, mystique et intemporelle.
Un film entièrement dédié à la vie, la folie des hommes et à
l'amour. Un immense chef-d’œuvre.
NOOOOONNNNN ! C'est pas possible, je n'y crois pas : il y a quelques jours, en regardant Brain Dead, je pensais justement à ce film - dont j'avais oublié le nom ! J'ai fait une recherche sur wiki et je suis tombé sur le titre en français (Au-delà du réel). Les grands esprits se rencontrent, quand même ! J'avais adoré ce film et je songeais même à le louer à la médiathèque. Ce que tu dis sur la croisée des chemins entre The Fly / Easy Rider (que j'ai détesté) / 2001 l'Odyssée de l'Espace est très, très juste ! Bravo !
RépondreSupprimerMike, il s'agit sans doute de synchronicité... D'ailleurs, Lolo, il me semble que nous devions le voir ensemble, ce film... ;)
RépondreSupprimerSalut,
RépondreSupprimerJ’ai découvert « Altered States » il y a quelque temps sur le Web. J’aime beaucoup les classiques, du coup, ce film fantastique m’a beaucoup plu. En effet, je l’ai trouvé très divertissant et surprenant à la fois. Il m’a rappelé « La dernière vague » par Peter Weir que j’ai vu sur cette application mobile qu’on m’a recommandé : https://play.google.com/store/apps/details?id=virgoplay.vod.playvod&hl=fr .
J'ai trouvé récemment le livre de Paddy Chayefsky (édition illustrée J'ai Lu, 1981) dont il a tiré peu après le scénario du film (qui devait être réalisé par Arthur Penn, dans un premier temps, et puis des points de discorde trop importants avec Chayefsky ont débouché sur son remplacement par Russel).
RépondreSupprimerLe bouquin est formidable, passionnant d'un bout à l'autre malgré la très haute volée des concepts scientifiques abordés. Je vais en profiter pour revoir le film, que je n'ai jamais trouvé génial mais qui m'a toujours fasciné, sans que je sache vraiment pourquoi. J'ai aussi téléchargé le scénario en anglais (pour ceux que ça intéresse, il est en accès libre). Ce n'est pas un film facile qui cherche à séduire ses spectateurs, on est plus face à une oeuvre étrange, unique, parfois métaphysique, qui propose une expérience marquante.