Dire que l'attente de la
sortie sur support physique de Pahanhautoja
fut insupportable est un euphémisme. Tout auréolé d'une
appétissante réputation et des prix de du Jury et Jeunes
au dernier Festival international du film fantastique de Gérardmer
qui le précédaient, le premier long-métrage de la réalisatrice
finlandaise Hanna Bergholm qui jusqu'à maintenant s'était contentée
de quelques courts-métrages est donc désormais visible au format
DVD et
Blu-ray
depuis le 27 avril dernier. D'emblée, il semble que l'expérience ne
ressemblera pas vraiment à la majorité des drames qui mettent en
scène des familles à l'apparence heureuse mais cachant au fond
d'elles certains dysfonctionnements. La mère de Tinja (Siiri
Solalinna) qu'interprète l'actrice Sophia Heikkilä a beau tout
entreprendre pour donner une image idyllique de sa petite famille en
photographiant et filmant chacun de ses membres avant de poster le
tout sur son blog, pourtant, quelque chose d'anormal semble s'y
dérouler. D'origine, celle-ci renvoie directement à ces témoignages
relativement sordides dont on peut surtout imaginer que les
''actrices'' proviennent tout d'abord des États-Unis. Ces mères qui
en effet, à défaut d'avoir elles-même été en mesure de donner
corps à leurs ambitions artistiques, poussent leur progéniture à
prendre le relais, devenant ainsi le miroir malsain de leurs propres
fantasmes. En névropathe, l'actrice Sophia Heikkilä, impeccablement
vêtue et toute de sourire figée inquiète immédiatement par la
position radicale imposée à son personnage de mère. Celle-là même
qui plus que de se préoccuper des désirs de sa fille voit en elle
la projection de ce qu'elle aurait désiré être elle-même (une
longue cicatrice à l'une de ses jambes viendra plus tard témoigner
des raisons qui l'ont poussées à cesser toute activité physique).
Tinja, justement, qu'interprète donc la toute jeune Siiri
Solalinna... Apparence fragile pour cette gymnaste totalement vouée
à la cause de sa génitrice. Une ogresse tellement obnubilée par
l'image qu'elle est sa fille renvoient qu'elle ira jusqu'à partager
avec elle des secrets que l'on garde généralement pour soi ou que
l'on ne partage en tout cas certainement pas avec sa propre enfant
(l'existence de l'amant Tero, interprété par l'acteur Reino
Nordin)...
Si
jusque là le contexte social ne diffère en rien de tout ce que le
phénomène d'emprise charrie dans nos sociétés, Hanna Bergholm
ajoute un élément qui très rapidement
matérialisera
les
craintes de la gamine en une forme de métaphore. L’œuvre de la
finlandaise rejoint en cela directement le traumatisant Ich
seh Ich seh de
Severin Fiala et Veronika Franz sorti chez nous en 2015 sous le titre
Goodnight Mommy.
Un cauchemar situant directement son action au cœur même d'une
famille, entre des membres censés devoir se soutenir, s'aimer et se
protéger mais pour qui, dans les deux cas, les supposées ''âmes
protectrices''
s'avèrent de véritables incubateurs générant toute une série
d'angoisses. L’œuf, ici, symbolise avant tout la lente mutation
d'une enfant vers son adolescence. Donnant naissance à une créature
particulièrement hideuse, une sorte de Marabout (oiseau charognard
dont l'une des trois espèces est originaire d'Afrique
subsaharienne), celle-ci va au fil du temps modifier son apparence et
son comportement, passant de la symbolique peur enfantine, à l'ami
imaginaire et jusqu'à apparaître comme le pendant sombre et mature
d'une Tinja qui malgré son amour immodéré pour sa mère tentera de
se libérer de son emprise. Pahanhautoja
témoigne du vide existentiel qui creuse un sillon douloureux
(toujours matérialisé par la cicatrice évoquée plus haut) chez
une femme qui ne perçoit plus sa fille en tant que telle mais comme
objet de ses propres désirs et obsessions. Dans un univers que l'on
n'éloignera pas trop des clichés lisses et bienheureux exhibés en
ouverture du chef-d’œuvre de David Lynch Blue
Velvet,
l'apparente quiétude se mue en un lent récit d'épouvante
heureusement dénué de tout artifice qui encombre généralement le
genre (ici, en effet, par le moindre Jump
Scare)...
Mais
alors que le long-métrage de la réalisatrice finlandaise bénéficie
d'une aura particulière, rattachant l'objet à toute une série
d’œuvres d'origines scandinaves récemment mises en scène et
axuquelles certains semblent vouloir la comparer (Lamb
de Valdimar Jóhannsson ou De uskyldige
d'Eskil Vogt), le film semble malheureusement souffrir de certaines
faiblesses qui l'empêchent d'atteindre les cimes de l'épouvante.
Une épreuve cinématographique qui ne s'avérera donc pas aussi
ténue que cela aura été souhaitable et attendu. Au contraire
puisque la caractérisation de certains personnages ainsi que la
direction d'acteurs qui leur est propre semblent avoir été traitées
sur un ton humoristique paraissant involontaire. On pense notamment
au personnage du père de famille (interprété par l'acteur Jani
Volanen) et son look parfois cheap (le pull noué autour des épaules)
que Hanna Bergholm laisse très largement de côté pour se
concentrer sur ses héroïnes. Sa créature en animatronique fait
d'abord plutôt sourire et sa mise en situation demeure rarement
vectrice d'angoisses. Si l'acharnement et l'attitude de la mère
envers la toute jeune adolescente et si son détachement en rapport
avec Tinja vis à vis des relations qu'elle entretient avec son époux
et son amant se révèlent quelque peu dérangeants, on pourrait tout
à fait envisager le long-métrage comme un drame
horrifico-psychologique à la portée de tous les plublics malgré
leur âge. Sous la forme d'un conte singulier où l'obsession visant
à la perfection (image de la famille, performances sportives de
Tinja) dénote cependant dès lors que l'on découvre l'existence
d'un amant, Pahanhautoja se
présente comme une œuvre mi-figue, mi-raisin qui laisse supposer un
projet pas tout à fait abouti... Une semi déception, donc...
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