Alors que le film fut
l'objet de controverses tandis que son réalisateur Roman Polanski
affirmait d'emblée qu'il faisait écho à sa propre histoire, et
compte-tenu du contexte dans lequel l'avant dernier long-métrage de
l'auteur du Pianiste,
du Locataire
ou de Rosemary's Baby
fut comparé par le cinéaste franco-polonais lui-même aux soucis de
justice dont il demeurait encore la cible (le 8 mars 2020, plus de
cent-dix avocates profitèrent de la Journée internationale des
droits de la femme pour rappeler les accusations dont il était
l'objet), J'accuse
aurait pu très facilement souffrir de la polémique. Mais une fois
que l'on s'accorde le droit de mettre de côté toute cette histoire
personnelle, si sordide qu'elle puisse être, véritable ou non,
étayée par des preuves ou par de simples ouï-dire, l’œuvre,
elle, n'en est pas moins l'une des plus brillantes démonstrations de
l'un des plus grands réalisateurs de sa génération. L'affaire
concernant le capitaine Alfred Dreyfus est non seulement devenue à
l'époque une affaire d'état mettant en cause, trahison supposée,
erreur judiciaire, antisémitisme (l'officier incriminé étant de
confession juive comme le martèle régulièrement Roman Polanski
dans le film) et fourvoiement de la part des autorités militaires,
incapables elles-même de reconnaître leurs torts. À moins que
vienne justement s'intercaler cette suspicion d'antisémitisme dont
est victime dans J'accuse,
l'officier de l'Armée Française. D'un point de vue strictement
cinématographique, l'avant dernier film de Roman Polanski n'est pas
loin d'aller rejoindre l'éblouissant Le Pianiste
réalisé voilà déjà vingt ans en arrière, au panthéon des
chefs-d’œuvre du cinéaste. La photographie de Pawel Edelman saute
immédiatement aux yeux et donne à l'ensemble un caractère visuel
fait de suie. Celle-là même qui semble couvrir la quasi-totalité
des locaux du 2ème
Bureau dans
lesquels est ensuite introduit en tant que nouveau responsable le
commandant Marie-Georges Picquart qui à cette occasion est promu au
grade de Lieutenant-colonel...
Alors
que l'affaire judiciaire concernant l'officier Dreyfus a déjà été
jugée (l'homme sera déchu de ses titres militaires, se voyant ainsi
humilié, déporté puis détenu sur l'Île du Diable en Guyane),
J'accuse
se concentre moins son récit sur la victime d'une machination et
d'une erreur de justice (Louis Garrel dans le rôle d'Alfred Dreyfus)
que sur le courage d'un homme (en l'occurrence, Marie-Georges
Picquart qu'interprète à l'écran l'impeccable Jean Dujardin) qui a
tout entreprit pour que la vérité éclate. Au risque de mettre en
péril sa propre existence et son statut d'officier de l'Armée
française. Visuellement remarquable, la reconstitution bénéficie
des impressionnants talents de la costumière Pascaline Chavanne, de
la direction artistique de Jean Rabasse et de la musique d'Alexandre
Desplat. Surtout, le film s'inspire du roman An
Officer and a Spy de
Robert Harris que l'écrivain adapte alors lui-même aux côtés de
Roman Polanski. On pourra ergoter sur le fait que l'intrigue soit à
elle seule le terreau fertile d'un récit passionnant et qu'il ne
fallut pas grande imagination pour développer une telle histoire.
Avoir de la matière est une chose. Mais être capable de la mettre
en images en est une autre. Entre espionnage, trahison, procédures
militaires et judiciaires, enquête ou délits d'opinion, le film
démantèle avec brio toute la machinerie qui s'est construite autour
d'un personnage dont l'unique erreur semble être ses origines
juives. Mais Roman Polanski ne s'arrête pas là puisque bien avant
que la justice devienne la quasi exclusivité des médias et des
réseaux sociaux, sa victime est d'emblée reconnue par le peuple
comme coupable !
Face
à Jean Dujardin et la lourde responsabilité d'incarner celui qui
deviendra membre de la Ligue des droits de l'homme à la fin du
dix-neuvième siècle et en 1906, Ministre de la guerre, Roman
Polanski impose quelques figures remarquables du cinéma français. À
commencer par Emmanuelle Seigner (qui interprète le rôle de Pauline
Monnier, la maîtresse de Marie-Georges Picquart), fidèle épouse du
franco-polonais malgré les multiple et rudes épreuves rencontrées
par le cinéaste, celle-ci débute sa carrière en 1984 dans L'année
des Méduses de
Christopher Frank avant d'apparaître tout au long de sa filmographie
dans diverses œuvres de son mari (parmi lesquelles, elle incarnera
la troublante Mimi dans Lune de fiel
en 1922). Grégory Gadebois (Délicieux
d'Éric Besnard, en 2021) incarne le commandant Hubert Henry,
véritable traître qui savait l'innocence de Dreyfus et qui garda
secrète la culpabilité de son ami Ferdinand Walsin Esterhazy).
Viennent ensuite des seconds rôles qui valent à l'écran au moins
autant que les principaux intéressés. Au hasard, Wladimir
Yordanoff, Melvil Poupaud (excellent Didier Mathure dans la série
télévisée OVNI(s)),
Mathieu Amalric en graphologue, Laurent Stocker dans le rôle du
Georges-Gabriel de Pellieux, Vincent Perez dans celui de Maître
Louis Leblois, un ami de longue date de Marie-Georges Picquart ou
encore Denis Podalydès en avocat de la défense lors du procès de
Dreyfus et André Marcon dans la peau d'Emile Zola, celui-là même
qui fut à l'origine de l'article ''J'accuse''
adressé au président de la République Française de l'époque et
qui donne son nom au titre du film. Un véritable catalogue où sont
réunis de formidables interprètes incarnant autant de célèbres
personnages. Plus qu'un long-métrage tiré d'un fait-divers
judiciaire parmi les plus célèbres qu'ait connu notre pays, Roman
Polanski met en scène un véritable thriller dans lequel le
personnage interprété par Jean Dujardin s'impose comme une figure
Agatha
Christienne.
J'accuse
n'est peut-être pas le plus grand film de son auteur mais le
spectateur gardera à l'esprit que le nonagénaire en a encore sous
la botte. C'est donc avec fébrilité que l'on attendra la sortie de
son prochain film intitulé The Palace...
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