Après avoir enchaîné
durant la même soirée Pas très normale activité de
Maurice Barthélémy, Parole
de flic de
José Pinheiro et L'armée
des ombres de
Jean-Pierre Melville, allez savoir pourquoi, mais j'ai choisi
d'écrire sur ce dernier plutôt que sur l'un des deux autres. Le
premier ne méritant probablement qu'injures et dégoût tandis que
le second, de mémoire, eu déjà le ''privilège'' d'avoir été
chroniqué ailleurs par mes soins. J'ai presque honte de l'avouer,
mais je n'ai pas souvenir d'avoir déjà vu l'un ou l'autre des
longs-métrages réalisés par ce cinéaste majoritairement apprécié
des cinéphiles. C'est donc chose faite aujourd'hui. Peut-être le
début d'une passion que viendra, je l'espère, confirmer la
projection prochaine de ses œuvres parmi les plus importantes...
Mais pour commencer, évoquons L'armée
des ombres,
long-métrage inspiré de l’œuvre littéraire de l'écrivain,
journaliste et ancien résistant français originaire de Villa Clara
en Argentine. Hommage à la résistance écrit en 1943 alors qu'il
est installé à Londres, il semble logique que Jean-Pierre Melville
se soit emparé du sujet, lui qui fut lui-même résistant lors de la
Seconde Guerre Mondiale. Adaptation d'un roman dont l'auteur
apportait un message de vérité tout en changeant les lieux et les
noms des protagonistes afin de les protéger, L'armée
des ombres
met en scène quelques-uns des plus grands interprètes de l'époque.
Âgé de seulement vingt-sept ans et alors que la guerre est finie,
Jean-Pierre Melville rêve déjà de devenir réalisateur. Mais
craignant que le sujet ne soit trop ambitieux, il attendra pas moins
d'un quart de siècle avant de mettre enfin son projet initial à
exécution. C'est donc en 1969 que L'armée
des ombres
voit le jour. Antépénultième long-métrage d'un cinéaste dont la
carrière est déjà dotée d'une solide filmographie (Le
Doulos,
L'aîné
des Ferchaux,
Le
samouraï),
L'armée
des ombres
réunit deux des principaux interprètes du Deuxième
souffle
qu'il avait déjà réalisé trois ans auparavant.
Alors
qu'en 1966 tout semblait devoir séparer les personnages que Lino
Ventura et Paul Meurisse incarnaient à l'époque, désormais l'un et
l'autre des nouveaux protagonistes qu'ils interprètent paraissent
unis dans un même élan de patriotisme. L'action débute le 20
octobre 1942 et alors que Philippe Gerbier (Lino Ventura) est
transféré dans un camp de concentration, quelques lignes de
dialogues suffiront pour imposer ce personnage capable de
s’accommoder très facilement de n'importe quelle situation.
Redouté, même par ceux qui en ont désormais la garde du fait de
certaines de ses relations, ce brillant ingénieur des Ponts et
Chaussée se distingue des autres prisonniers et semble même doté
d'un certain mépris vis à vis de trois d'entre eux... Robuste,
portant une paire de lunettes rondes qui ajoutent à la personnalité
du protagoniste la fonction d'érudit (bien qu'il ne semble rien y
connaître au jeu de dominos), Philippe Gerbier prépare aux côtés
d'un jeune électricien de formation leur évasion. Mais entre-temps,
l'ingénieur est une nouvelle fois transféré, cette fois-ci à
l'hôtel Majestic de Paris, pour y être interrogé par la Gestapo.
Il parvient cependant à prendre la fuite après avoir tué un garde
allemand et s'échappe pour se rendre jusqu'à Marseille où se
trouve le réseau de résistance dont il est la tête pensante... Les
principaux partenaires de Lino Ventura vont dès lors apparaître
successivement à l'écran, comme un long passage de témoins. Paul
Crauchet qui incarne le bras droit de Gerbier, Félix Lepercq, passe
la main à Jean-Pierre Cassel, lequel interprète Jean-François
Jardie, l'ami de Félix, avant de laisser à son tour la place à la
formidable Simone Signoret dans le rôle de Mathilde, l'un des
membres les plus importants du réseau avant que ne soit de nouveau
rendu le témoin à Jean-Pierre Cassel qui cette fois-ci ira à la
rencontre de Paul Meurisse qui incarne le rôle de son frère, Luc
Jardie. Les principaux interprètes désormais présentés, revenons
sur l'esthétique générale de L'armée
des ombres.
Une composition des couleurs qui est l’œuvre du directeur de la
photographie Pierre Lhomme qui jusque là avait notamment œuvré
chez Jean-Paul Rappeneau, Philippe de Broca, Costa-Gavras, Yves
Boisset ou encore William Klein.
Un
travail remarquable dû à des choix artistiques de la part d'un
Jean-Pierre Melville pour qui le noir et blanc restera une marque de
fabrique durant la moitié de sa carrière et dont celle de L'armée
des ombres ne
se démarque pas tout à fait. En effet, afin de retranscrire le
pesant climat de l'époque, le directeur de la photographie opte pour
des teintes grisâtres presque permanentes et où la couleur a bien
du mal à se faire une place. Le soleil lui-même préférant se
cacher derrière d'épais nuages, le long-métrage ressemble parfois
à une longue succession de cartes postales d'époque ou de
témoignages photographiques propres au contexte de guerre mondiale
et d'oppression que le film dépeint à la perfection. Ce qui
n'empêche pas quelques micro-ratés comme lorsque est filmée une
maquette exposée à quelques pathétiques flammes lors d'une attaque
aérienne... Le montage de Françoise Bonnot qui en outre travailla
plusieurs fois auprès de Henri Verneuil dans le courant des années
soixante ou collabora la décennie suivante avec l'italien Dario
Argento sur
Quatre
mouches de velours gris,
le polonais Roman Polanski sur Le
locataire
ou le français Jean-Jacques Annaud sur La
victoire en chantant
(sans parler de son travail lors des décennies suivantes) est
significatif de cette pression que semble vouloir exercer Jean-Pierre
Melville sur le spectateur, chaque séquence ou presque étant
l'occasion pour lui de présenter l'aventure de ses personnages sous
son aspect le plus périlleux... La mort du traître. L'évasion de
l'hôtel Majestic ou du tunnel d'exécution sont autant de séquences
anxiogènes et sidérantes à mettre sur le compte d'une mise en
scène et d'une interprétation minutieuses. Quelques séquences
émouvantes elles aussi sont à marquer d'une pierre blanche. Des
actes du quotidien dont la simplicité émeut. Comme lorsque Luc
Jardie boit son café, heureux de revoir son frère ou lorsque
Mathilde prend la main de Gerbier dans la sienne... Malgré la
noirceur quasi pernanente, il peut même parfois arriver au
spectateur de laisser s'échapper un sourire discret d'entre ses
lèvres comme lors de ce passage où Gerbier s'amuse de la tenue
exotique de certains représentants de l'armée britannique portant
le fameux kilt ! Ceci avant que n'intervienne bien évidemment
un retour cruel à la réalité. Notons enfin la superbe partition
musicale du compositeur français Eric Demarsan à l'occasion de
laquelle l'on entendra notamment un extrait de Spiritual
for String Choir and Orchestra composé
en 1941 par l'américain Morton Gould et qui chez nous devint célèbre
en devenant le générique de l'émission Les
dossiers de l'écran
diffusée sur la deuxième chaîne de l'ORTF
puis sur Antenne 2 entre 1967 et 1991...
C'est sûr que Melville et Barthélémy, ça ne boxe pas vraiment dans la même catégorie (même si j'aime bien les Robins des Bois quand ils étaient ensemble) ! :-)
RépondreSupprimerAussi curieux que ça puisse paraître, je n'ai pas vu ce classique de notre cinéma. Peut-être à cause de l'histoire car je fais un peu une overdose des films sur la Seconde Guerre Mondiale. Enfin, un jour peut-être...