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jeudi 23 mars 2023

Alice ou la dernière fugue de Claude Chabrol (1977) & Le secret derrière la porte de Fritz Lang (1947)

 


 

S'il est bien connu que le réalisateur français Claude Chabrol vouait une véritable adoration pour le britannique Alfred Hitchcock, le grand public sait peut-être moins qu'il admirait également d'autres cinéastes. Et parmi lesquels, l'allemand Fritz Lang auquel il rendait hommage ici en lui dédiant en 1977 l'étrange Alice ou la dernière fugue. Œuvre très particulière dans la filmographie de l'auteur de Que la bête meure ou de La cérémonie. À tel point que l'on n'y retrouvait pas vraiment la marque de fabrique de celui qui mit un point d'honneur à égratigner la bourgeoisie provinciale hexagonale. L'un des films de chevet de Claude Chabrol demeurant Le secret derrière la porte réalisé trente ans auparavant par l'auteur de M le maudit ou de Metropolis, il est tout d'abord amusant de noter le rapport qu'entretiennent les affiches respectives des deux longs-métrages qu'il s'agit ici d'évoquer. Cette posture féminine, bras ouverts et visages marqués par une certaine forme d'inquiétude, la première des silhouettes semblant alors se calquer sur la seconde. Comme d'autres avant et après lui, Claude Chabrol aura-t-il eu avant tout lui aussi l'idée d'exploiter la beauté toute naturelle de l'actrice et mannequin néerlandaise Sylvia Kristel, connue pour avoir incarné à cinq reprises le personnage d'Emmanuelle au cinéma ? La réponse est oui, définitivement. Trois ans après son compatriote Jean-Pierre Mocky et son Un linceul n'a pas de poche de joyeuse mémoire, Claude Chabrol invite donc Sylvia Kristel a franchir le pas d'un univers dont les barrières végétales vont contraindre la jeune Alice à demeurer un temps indéfini sur une propriété appartenant à un certain Henri Vergennes (l'acteur Charles Vanel). Un prénom et un univers qui appuient très fortement sur la corrélation qui existe entre le film et le roman de Lewis Carroll, Les Aventures d'Alice au pays des merveilles.
Et comme si cela ne suffisait pas, Claude Chabrol offre à son personnage féminin le même patronyme que l'auteur du dit roman (en lieu et place de Liddell dans cette même œuvre littéraire), histoire qu'il n'y ait plus aucun doute ! Alors oui, le réalisateur français finira par effeuiller la belle néerlandaise mais surtout, il lui offrira l'un de ses plus beaux rôles puisque Sylvia Kristel porte quasiment sur ses seules épaules l'intrigue toute entière de cette
Alice ou la dernière fugue hors du commun. Parions d'ailleurs que si le film avait été interprété par Régine ou Jackie Sardou, notre attention aurait sans doute été moins absorbée par l'héroïne que sur ce récit relativement porté sur le contemplatif. C'est qu'il ne s'y passe pas grand chose durant une grande partie de l'intrigue, telle est la chose qu'il faut retenir. Dans un récit où les rencontres sont rares mais particulièrement énigmatiques (d'André Dussolier à Thomas Chabrol en passant par François Perrot ou Jean Carmet) et où les explications se concentrent dans les tout derniers instants, que conserverons-nous de cette aventure qui n'a que peu de rapport avec l'habituel univers Chabrolien de son auteur ? Une promenade surréaliste au cœur d'un édifice qui recèle des secrets sous une forme pourtant nettement moins fantasmagorique que l’œuvre littéraire dont il emprunte le personnage d'Alice. Bien que n'apportant que très peu d'eau à son moulin durant une bonne partie du récit, Alice ou la dernière fugue mérite que l'on s'y attarde, ne serait-ce que pour la seule présence de l'actrice néerlandaise, pour cette approche inédite du fantastique chez Claude Chabrol, pour ces quelques visions bricolées avec les moyens du bord donnant à l'ensemble un cachet bien spécifique (les images déformées accompagnant l'héroïne), pour son atmosphère tantôt vaporeuse, tantôt inquiétante mais aussi pour son final percutant et en définitive, parfaitement logique...


Maintenant, observons un instant de silence religieux avant d'entamer la projection du Secret derrière la porte de Fritz Lang, génie de l'expressionnisme allemand qui aux côtés, et pour ne citer que les plus célèbres, de Freidrich Wilhelm Murnau (Nosferatu le vampire en 1922) et Robert Wiene (Le Cabinet du docteur Caligari en 1920), offrit ses lettres de noblesse à un courant aux atours fantastiques qui influença et continue d'influencer tout un pan du septième art... Remontons donc trente ans en arrière avant la sortie d'Alice ou la dernière fugue pour comprendre pourquoi cette passion de Claude Chabrol pour le réalisateur allemand et pourquoi spécifiquement pour cette œuvre ci. L'on passe de la couleur au noir et blanc avec, pour commencer, un générique des plus classique contrairement à celui d'Alice dont le déroulement ressemblait à ceux qu'il est coutume de voir afficher en conclusion de n'importe quel long-métrage (avec le recul, on pouvait d'ailleurs y déceler d'emblée un indice nous aiguillant sur le funeste destin de son héroïne). ''Les Potter vous ont invitée au Mexique, allez-y. Ce sera votre dernière fugue...''. C'est en ces termes que le collaborateur (l'acteur James Seay dans le rôle de Bob Dwight) du frère de l'héroïne Celia Lamphere récemment disparu conseille à la jeune femme de partir quelques temps avant de prendre diverses décisions quant à l'avenir de l'entreprise familiale. Nouvelle connexion entre l’œuvre de Fritz Lang et celle de Claude Chabrol.
Ici, le faste de la mise en scène où les reliquats de l'expressionnisme allemand se répercutent sur les jeux d'ombres et de lumières tranchent avec le minimalisme de
Alice ou la dernière fugue. Si ce dernier débutait par une rupture, Le secret derrière la porte, lui, s'ouvre sur une union. Celle de la jeune beauté qui pour l'instant se fait appeler Celia Barrett avant qu'elle ne devienne Madame Lamphere en épousant Mark Lamphere, un homme qu'elle rencontrera lors de sa visite au Mexique. Mais j'en vois déjà certains s’interroger sur le nom même de ce personnage dont l'attitude s'avérera rapidement étrange. On pourrait accorder à Fritz Lang une certaine malice en usant d'un patronyme dont le sens est chez nous phonétiquement double comme le fera d'ailleurs beaucoup plus tard le réalisateur Alan Parker avec son cauchemardesque Angel Heart dans lequel l'acteur Robert De Niro interprétera le rôle de Louis Cyphre (Lucifer, avec l'accent anglais) ! Pourtant, la version originale tend à démontrer que la chose n'est que pur hasard. Cela discrédite-t-il pour autant l'impression incommodante que l'on ressent devant l'attitude étrange du personnage de Mark Lamphere (L'enfer) qu'incarne l'acteur britannique Michael Redgrave ?


Interprétée par la magnifique actrice américaine Joan Bennett, Celia n'est au départ que l'une des figures cinématographiques de l'une des épouse de Barbe Bleue, personnage imaginaire emprunté au conte de Charles Perrault La Barbe Bleue (édité en 1697) mais néanmoins inspiré à l'écrivain français par le roi d'Angleterre Henri VIII qui non content de porter lui-même la barbe (rousse cette fois-ci), fit exécuter deux des six femmes qu'il épousa. Le cadre de l'immense demeure servant de décor au long-métrage de Fritz Lang est un personnage à part entière. Avec ses chambres reconstituant des faits marquants et particulièrement sordides, et notamment celle que refuse d'ouvrir à quiconque et pas même à Celia l'époux tant admiré. Le secret derrière la porte arbore à travers les décors, la passion amoureuse de ses deux principaux protagonistes et la bande musicale du hongrois Miklós Rózsa, des atours romanesques auxquels l'allemand injecte une forte dose de suspicion à laquelle n'est sans doute pas demeuré insensible Claude Chabrol. Au delà même de cette chambre qui semble enfouir un secret si terrible que Mark s'emporte à la seule évocation de l'ouvrir au regard de son épouse, c'est bien ce personnage lui-même énigmatique qui façonne le côté angoissant du récit.
Collectionneur de scènes de crimes ambigu, Fritz Lang en rajoute une couche avec le personnage de David (Mark Dennis), fils de Mark et d'une épouse disparue, un adolescent glaçant dont la personnalité paraît tout aussi préoccupante que celle de son propre père. Durant sa carrière, Fritz Lang aura mis en scène autant de criminels que d'innocentes victimes accusées à tort ou à raison. Avec un réalisme sociologique qui parfois donna des frissons dans le dos (
Furie en 1936 et sa traque du héros par une foule déchaînée ou L'Invraisemblable Vérité en 1957 qui à n'en point douter inspira probablement le troublant La vie de David Gale que réalisa Alan Parker quarante-six ans plus tard), le réalisateur exilé sur le territoire américain depuis huit ans signait avec Le secret derrière la porte une œuvre parfois suffocante, étouffée sous des lambris d'aspect gothique et sous une lumière nocturne renvoyant parfois aux grandes heures du cinéma d'épouvante britannique. Si l'on s'attend à une découverte sans surprise une fois la clé introduite dans la serrure de la fameuse chambre, la stupéfaction, en réalité, n'en sera que plus grande. La force du scénario écrit par Silvia Richards sur la base du roman Museum Piece No. 13 de Rufus King est en tout point remarquable, servi par une interprétation tout aussi admirable et par la mise en scène sans faille du réalisateur allemand...

 

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