Parmi les cinéastes
actuels qui comptent, le réalisateur américain Ari Aster n'est pas
des moindre. Avec à son actif une dizaine de courts et (surtout) de
longs-métrages (Hérédité,
Midsommar
et Beau is Afraid),
le new-yorkais s'est forgé une solide réputation. Un peu à la
manière de son compatriote Robert Eggers qui en seulement trois
brillantes œuvres a lui aussi prouvé sa valeur (The Witch,
The Lighthouse et
The Northman).
Contrairement à Jordan Peele dont le très prometteur Get Out
fut suivi de deux déceptions : Us
et Nope...
En 2011, soit sept ans avant qu'il passe du court au long format, Ari
Aster réalisa un second court-métrage qui pour beaucoup semble
atteindre un degré d'horreur difficile à décrire. Le réalisateur
et scénariste y aborde l'un des derniers tabous (avec la
nécrophilie, la pédophilie ou le cannibalisme) qui, vu
comme le vent tourne actuellement, risque malheureusement de n'être
prochainement plus un problème. Celui de l'inceste. The
Strange Thing About the Johnsons
débute par l'un de ces instants de malaise que certains jeunes
garçons connurent certainement durant leurs années d'adolescence.
Une porte mal fermée, un père qui entre sans frapper, et voilà
qu'Isaiah est surpris en train de se masturber sous sa couette. Vous
me direz, y'a pire. Imaginez que ce soit la mère qui ait
choisit d'entrer sans frapper dans la chambre de son fils. Ou si au
contraire, ce dernier était entré dans celle de ses parents au
moment même où ils étaient en train de lui faire cadeau d'un petit
frère ou d'une petite sœur... Sidney (Billy Mayo) quitte
précipitamment la chambre de son fils (Brandon Greenhouse) avant d'y
revenir afin de lui expliquer que se masturber est naturel et qu'il
n'y a donc dans cet acte, rien d'anormal. Le spectateur observera
qu'Ari Aster joue avec les regards de ce père attentionné qui
n'oublie malgré tout pas de jeter un œil en direction de ce que
l'on supposera être l’entrejambe de son fils avant de le
laisser ! Mais peut-être ne s'agit-il que d'une simple
impression.......
Attendez,
ça n'est pas terminé. Une fois Sidney ayant quitté la chambre de
son fils, ce dernier sort de sous les draps une photo sur laquelle
est imprimé le visage... de son père !!! En un peu moins de
quatre minutes, Ari Aster pose les bases de ce court projet d'une
demi-heure environ. Une famille apparemment idyllique que l'on
retrouve ensuite quatorze ans plus tard. L'adolescent a bien grandit
et le voici marié à sa jeune épouse. Un photographe immortalise
leur union, l'un et l'autre sont entourés de leurs parents
respectifs et au moment d'être pris en photo, tout le monde sourit
sauf Sidney... Ensuite.... Et bien, comment dire.... Ari Aster nous
sert la recette qu'il emploiera plus tard notamment avec Midsommar.
Cette esthétique du bonheur, colorée, fleurie, mais au sein de
laquelle viennent s'inscrire des visions authentiquement
traumatisantes. Les personnages interagissent à travers des éléments
du quotidien. Comme le trou d'une clôture crée tel un judas à
travers lequel la mère d'Isaiah (Angela Bullock dans le rôle de
Joan) découvre l'horrible vérité. Ce court travelling qui expose
les ouvrages écrits par le père et témoignant du lourd
traumatisme, ou quelques secondes plus tard, cet écran d'ordinateur
sur lequel il pose la question de sa propre responsabilité... Rien
ici n'est gratuit. Sans vulgarité et débarrassé du cynisme qui
fait notamment figure de marque de fabrique chez le réalisateur Todd
Solondz (Bienvenue dans l'âge ingrat,
Happiness,
Storytelling,
etc...), Ari Aster assène en permanence aux spectateurs des
uppercuts qui chaque fois touchent au but ! Si l'on comprend
qu'ici le monstre n'est pas celui auquel on pense dans les tous
premiers instants, The Strange Thing About the
Johnsons
développe également l'idée sous-jacente de la ''transmission''. Ce
qui une nouvelle fois n'est pas pour ménager les spectateurs...
Comme il le démontrera brillamment plus tard à travers ses
longs-métrages, Ari Aster est passé maître dans l'art d'inscrire
ses personnages dans un quotidien apparemment quelconque mais en
réalité, objectivement monstrueux, voire décadent... Dingue !
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