C'est en repensant à un
article consacré à Eraserhead
qui dort dans les entrailles de mon PC, tellement navrant que je n'ai
jamais osé le publier, que je me suis enfin décidé à consacrer un
cycle à l'un de mes quatre ou cinq cinéastes préférés. Si l'on
devait me poser la question et citer instantanément deux ou trois
noms, Alejandro Jodorowsky, David Cronenberg et David Lynch seraient
sans doute parmi les premiers à m'inspirer... L'ami Mike (il se
reconnaîtra) et moi avons eu beau évoquer chacun nos préférences
en la matière de ce génie qui n'a pas refait surface sur grand
écran depuis son incroyable Inland Empire
en 2006, je réalise en fait qu'il m'est presque impossible de
réellement dresser mon top trois des œuvres que David Lynch a
réalisé depuis ses débuts. Il m'est en effet plus simple de
rejeter Sailor et Lula
que de dire si Eraserhead
trouve finalement davantage grâce à mes yeux que Lost
Highway,
Mulloland Drive
ou encore Blue Velvet
qui durant de très nombreuses années demeura mon préféré.
Peut-être parce que je l'avais découvert à l'époque sur grand
écran, contrairement aux autres. ''Dick
Laurent is dead...''.
C'est sur cette simple phrase que démarre véritablement Lost
Highway.
Une forme d'énigme comme le cinéaste aime à les cultiver.
Régurgiter à travers des mots ce que l'on a pu ressentir durant ce
qui s'avère de la part de son auteur une énième expérience
cinématographique est rude (Il n'y a guère que le Jodorowsky de
Santa Sangre,
le Cronenberg de Faux-semblants
ou le Noé de Enter the Void pour
me faire autant vibrer). Terriblement rude. Surtout lorsque le
réalisateur conserve auprès de lui la plupart des clés, laissant
ainsi le spectateur se démerder avec sa propre manière d'envisager
le récit. Autant dire qu'aller chercher chez d'autres les
explications qui permettraient de coucher sur papier dématérialisé
une analyse éclairée ne servirait à rien. Et quitte à se tromper
sur la marchandise, quelle importance ? Qui d'autre que David
Lynch lui-même peut véritablement se targuer de connaître le fin
fond de l'affaire ? Réponse : personne... Comme je m'étais
fait à l'époque la réflexion au sujet de Eraserhead,
la plupart des longs-métrages signés du réalisateur américain
ressemblent à des cours d'eau relativement tranquilles, du moins
jusqu'à un certain point. Jusqu'à ce que la quiétude des eaux soit
dérangée par de tempétueuses cascades brouillant des pistes qui
jusque là s'avéraient étonnamment fluides. Ça n'est bien sûr pas
toujours vrai (Inland Empire),
mais Lost Highway
fait figure d’œuvre bicéphale, où la schizophrénie vient
frapper de plein fouet non seulement le récit mais les spectateurs
eux-mêmes.
Le
film apparaît comme un puzzle qui demande un minimum de réflexion
pour que chaque pièce soit repositionnée au bon endroit. Puis vient
le moment où un type un peu fou débarque dans votre chambre et
vient tout foutre en l'air, chacune des pièces en question retombant
côté pile et révélant un tout autre décor... Je n'en démords
pas : tout ou presque découle de ce geste de ''réconfort''
offert à Fred (Bill Pullman) par la main bienveillante de son épouse
Renée (Patricia Arquette) : Une petite tape dans le dos alors
qu'il peine à lui faire l'amour. Une humiliation. Difficile
d'insinuer autre chose, surtout lorsqu'on a l'art et la manière
comme David Lynch de filmer cet acte théoriquement anodin... On
devine la suite : suspicion, jalousie et au final, le corps de
Renée allongée sur le lit du couple, baignant dans son propre sang.
Fred ? Arrêté, accusé de meurtre, condamné à la peine
capitale et, en attendant, enfermé dans une cellule du couloir de la
mort. Rien que de très classique pour une histoire d'amour virant au
cauchemar. C'est pourtant très précisément au moment où le
générique de fin devrait logiquement dérouler son habituelle
litanie sur fond noir que le récit semble réellement démarrer. Car
un fait extraordinaire vient de se produire : Fred a disparu de
sa cellule et à sa place s'y est retrouvé une jeune garagiste du
nom de Pete (Balthazar Getty). Patatras ! On (ne) reprends (pas)
les mêmes et on (ne) recommence (pas). Si vous choisissez de ne pas
ôter les parenthèses, alors vous et moi sommes d'accord. Avec son
récit à double tiroirs, sa cassure qui intervient après seulement
trois-quart d'heures (le film dure près de cent-trente cinq
minutes), la symbolique de la veuve noire, ces personnages qui se
chevauchent, s'assimilent les uns aux autres, le renversement de
certaines croyances typiquement européennes (la Blonde et la Brune,
l'épouse et la maîtresse), sa figure démoniaque (l'homme mystère
interprété par l'impressionnant Robert Blake), sa part de rêve et
ses zones d'ombre, Lost Highway est
typiquement ''Lynchéen''.
Une œuvre labyrinthique qui à son tour renvoie à cette éternelle
obsession du réalisateur pour les drapés rouges derrière lesquels
s'activent des forces obscures. Retour dans le passé ou voyage dans
le temps, transfiguration, passion charnelle (David Lynch transforme
instantanément Patricia Arquette en icône sexuelle et sensuelle),
le film est l'un des nombreux chefs-d’œuvre de l'artiste. À
regarder encore et encore, sans la moindre réserve et sans
modération, jusqu'à cet ultime instant où peut-être la lumière
complète se fera sur ce projet totalement fou, barré, rare,
complexe, noir mais surtout magnifique...
J'étais passé complètement à côté de Mulholland Drive. Comme du Memento de Nolan (entre autres). Peut-être devrais-je réessayer...
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