Il y a des artistes qui
transforment quasiment tout ce qu'ils touchent en or. David
Cronenberg fait partie du cercle prestigieux des cinéastes si
remarquables qu'ils peuvent prétendre au titre de génies du
septième art. De ses débuts dans le milieu des années soixante
jusqu'à la sortie en 1983 de Vidéodrome,
il fut l'auteur exclusif des scénarii de ses propres longs-métrages.
Moins d'un an après sort sur les écrans The
Dead Zone
qui marque une rupture importante dans sa carrière puisque le
réalisateur et scénariste d'origine canadienne ne fera pas
seulement appel à sa propre imagination mais à celle du plus
célèbre écrivain de littérature d'épouvante, l'américain
Stephen King. En effet, The Dead Zone
est l'adaptation par Jeffrey Boam du roman éponyme qui vit le jour
en 1979 aux États-Unis et quatre ans plus tard sur le sol français.
Surtout, David Cronenberg aborde son œuvre généralement portée
sur le Body Horror
sous un jour nouveau. Peu à peu, les débordements graphiques
laissant place à une horreur beaucoup plus psychologique. Des
prémices qui furent tout d'abord visible à travers Chromosome
3
et plus encore avec Vidéodrome
mais une approche qui trouve avec The Dead Zone,
une sensibilité qui éclatera sans doute dans sa forme ultime en
1988 avec Faux-semblants
et en 2002 avec Spider.
Mais d'ici à ce que le réalisateur nous serve les véritables plats
de résistance de sa carrière (n'omettons surtout pas
l'impressionnant, tragique et bouleversant La
mouche
en 1986 ni les complexes Le festin nu
en 1991 ou Crash en
1996), David Cronenberg va, comme une majorité de grands cinéastes,
s'attaquer à l'un des romans de l’œuvre tentaculaire de Stephen
King. Pas un ouvrage d'horreur. Plutôt un roman fantastique mettant
en scène John Smith, un homme qui à la suite d'un grave accident de
voiture et d'un coma de cinq années va se réveiller avec un don :
au contact d'un objet ou d'une personne, il s'avère en effet capable
de lire dans le passé et l'avenir. The Dead Zone
version cinéma applique soigneusement le récit de l'écrivain
américain tout en excluant certains passages et met donc en scène
les mêmes personnages. L'on retrouve donc dans le rôle de Johnny
Smith le formidable acteur Christopher Walken qui compose ici l'une
de ses plus fameuses interprétations. Un personnage touchant,
bienveillant, touché par des malheurs successifs (son accident, la
perte de Sarah qui depuis a refait sa vie avec un autre homme, et
puis ce ''don'' qui ne lui apportera pas que le bonheur). Sarah
Bracknell, elle, est interprétée par l'actrice Brookes Adams que
l'on avait notamment déjà pu voir dans deux autres films du
''genre'' avec Le commando des morts-vivants en
1979 de Ken Wiederhorn et surtout L'Invasion des
profanateurs
de Philip Kaufman un an auparavant. Si le film tourne majoritairement
autour de Christopher Walken puis de cette dernière, David
Cronenberg ajoute au casting d'autres brillants interprètes. Tom
Skeritt (Alien, le huitième passager
de Ridley Scott en 1979) y incarne le rôle du shérif Bannerman,
Herbert Lom (La panthère rose de
Blake Edwards en 1963) celui du docteur Sam Weizak, quant à Martin
Sheen, il endosse le costume du futur candidat à l'élection
présidentielle, Greg Stillson...
''Pour toi bien sûr, cinq ans ont passé mais pour moi c'est comme si on était... le lendemain...''
David
Cronenberg s'éloigne donc sensiblement de son univers habituel et
signe avec The Dead Zone
l'une des quatre ou cinq meilleures adaptations de l'univers de
Stephen King. Créant une extraordinaire cohésion entre divers
genres puisque s'y rencontrent le surnaturel, le drame, le policier
et l'épouvante, le film cherche et parvient à toucher un large
panel de spectateurs. En réalité, dire que le canadien s'est
éloigné de son univers n'est pas tout à fait exact. Autrefois
vampires assoiffés de sexe (Frissons)
ou de sang (Rage),
créatures dotées de protubérances (Chromosome
3)
ou du pouvoir de télékinésie (Scanners),
John est comme certains personnages chers à David Cronenberg, un
''monstre''. Un ''phénomène de foire'' qui fascine autant qu'il
révulse comme le fut à peu près à la même époque le personnage
central de Elephant Man
de David Lynch ! Des centaines, voire des milliers de lettres
dans lesquelles des inconnus demandent l'aide de John, des médias
qui s'emparent du phénomène avec ironie, une police impuissante
face aux meurtres commis par un tueur de femmes qui fait appel à
lui. Face à la pression, un John dont les forces s'amenuisent et un
cas de conscience qui amènera à une conclusion aussi bouleversante
que celle de The Hidden
de Jack Sholder. L'enjeu véritable du récit est bien entendu ce
don. Et cette question qui s'impose : doit-il être traité
comme une bénédiction ou plutôt comme une malédiction ?
David Cronenberg y répond à travers toute une succession de
séquences chocs (les visions, l'affaire du tueur en série et son
suicide, etc...) qui tendent à démontrer que ses conséquences sont
bienfaitrices pour celles et ceux qui bénéficient de l'aide
apportée par John. Contrairement à celles qui l'entourent lui-même
et qui le voient dépérir à mesure qu'il use de ses nouvelles
facultés. Mais la vie de ce bienfaiteur, de ce messie ne vaut-elle
pas le coup d'être sacrifiée au bénéfice du plus grand nombre ?
The Dead Zone mêle
les sous-intrigues à travers diverses séquences toutes reliées par
ce même phénomène. Le réalisateur et son principal interprète
brossent le portrait d'un être pur dont le destin et le cheminement
semblent être directement liés à ceux d'un individu corrompu qu'il
sera le seul à pouvoir arrêter... au péril de sa propre existence.
Œuvre dense et pourtant limpide, le déroulement de The
Dead Zone n'a
au fond pour unique but que la rencontre entre le héros et le
candidat à l'élection présidentielle Greg Stillson. Personnage au
demeurant sinistre, dément et excellemment interprété par Martin
Sheen. Si Stephen King n'a sans doute jamais été aussi humain que
dans son approche dramatique d'un univers pourtant généralement
constitué d'ouvrages horrifiques, David Cronenberg a su se saisir du
matériaux de base pour en faire un film authentiquement
bouleversant. Notons que le fidèle compositeur Howard Shore est aux
abonnés absents. Remplacé par Michael Kamen, le choix de ce dernier
ne bouleversera pas les habitudes de ceux qui apprécient en général
les denses compositions du canadien. Celles de l'américain se
confondent d'ailleurs si bien avec celles d'Howard Shore que l'on
n'en distingue quasiment aucune différence. Passé entre diverses
mains dont celle de Stephen King, la version du scénario qui sera
finalement retenue sera celle de Jeffrey Boam une fois remaniée par
le cinéaste et la scénariste et productrice Debra Hill. Comme
l'indiquent la plupart des images, The Dead Zone
fut
tourné durant l'hiver 1983 à Toronto et dans ses environs. Un
tournage rendu compliqué en raison des basses températures pour un
résultat absolument magistral...
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