Que peut-on attendre
d'une œuvre signée de l'un des plus grands cinéastes canadiens et
interprétée par l'une des valeurs sûres du cinéma britannique et
même, mondial ? Que la magie opérée cinq ans auparavant, en
1988, le soit une fois encore. Juste une fois. Pas seulement pour se
convaincre qu'il se soit simplement agit d'un miracle mais que
l'union artistique de ces deux hommes auxquels se joignirent d'autres
caractéristiques puisse encore et encore produire du sublime sur
support magnétique. Nous sommes en 1993 et cinq ans après le
magnifique et bouleversant Faux-semblants,
David Cronenberg offrait pour la seconde fois le rôle principal de
l'une de ses œuvres à l'acteur originaire de Cowes en Angleterre,
Jeremy Irons. Après s'être offert le pari hautement risqué de
mettre en images une œuvre réputée inadaptable au cinéma (Le
Festin nu
du romancier américain William S. Burroughs), le plus réputé des
réalisateurs canadiens s'attaquait donc à la célèbre pièce de
théâtre M.Butterfly
du dramaturge et scénariste américain David Henry Hwang. Mais
derrière M.Butterfly
se cache en réalité les destins croisés de personnages imaginaires
et de personnalités ayant réellement vécu. Le film emprunte donc à
l'opéra italien de Giacomo Puccini une partie de son intrigue. La
rencontre entre un occidental et une jeune geisha de seulement quinze
ans. L'on retrouve ce brin de cynisme chez le personnage incarné par
Jeremy Irons dont l'arrogance lui fait tenir des propos diffamants
envers une culture que ses semblables et lui semblent tout d'abord
mépriser. René Gallimard rejoint donc l'impudent Benjamin Franklin
Pinkerton pour qui, Cio-Cio-San n'était qu'une récréation teintée
d'exotisme. Dès lors, le récit prend un virage à cent-quatre vingt
degrés, se déleste de l'intrigue propre à l'opéra pour se pencher
davantage sur celle de la pièce de théâtre. Car dans le cas de
M.Butterfly,
la passion est plurielle, se vit à deux et n'est plus exclusivement
portée par la seule personne de Song Liling (l'acteur américain
originaire de Hong-Kong, John Lone). Aïe ! Voilà que tout est
dit. Car oui, mais cela ne devrait logiquement plus être un secret,
la beauté sous le charme de laquelle va tomber le comptable de
l'ambassade France de Pékin René Gallimard est un homme...
C'est
là que se rejoignent alors la réalité et la fiction. Car sous des
dehors improbables (l'hormonothérapie et les premières opérations
consistant à une réassignation sexuelle étaient à l'époque
relativement rares et certainement inenvisageables en Chine à
l'époque où se situe l'action), il faut savoir que le long-métrage
de David Cronenberg s'inspire de l'authentique histoire du
fonctionnaire français Bernard Boursicot et de l'artiste lyrique
chinois Shi Pei Pu qui eurent une relation entre 1964 et 1983.
Derrière l’ambiguïté du propos, le canadien se saisit également
de l'affaire d'espionnage qui envoya Shi Pei Pu en prison durant six
années pour avoir transmis aux autorités de la république
populaire de Chine des documents diplomatiques appartenant à l'état
français. Cette histoire d'amour qui, lorsque l'on étudie son
approche en profondeur ne dépareille finalement pas avec l'univers
habituel de David Cronenberg, apparaît donc biaisée à plus d'un
titre. Espionnage, ''tromperie sur la marchandise'', mais aussi,
malice de la part de Song Liling qui évoque des coutumes ancestrales
chères à sa communauté et adopte ainsi un comportement qui
empêchent tout d'abord le comptable de découvrir la vérité. Sur
fond de révolution culturelle et de reprogrammation mentale, David
Cronenberg signe une œuvre historico-sentimentale qui n'a
malheureusement pas l'ampleur de Faux-semblants.
Ni même son histoire d'amour, aussi belles peuvent s'avérer
certains séquences entre Jeremy Irons et John Lone, on pouvait
espérer de la part de celui qui réalisa l'une des plus belles et
plus tragiques histoires d'amour sept ans auparavant (La
mouche)
qu'il nous drape une fois encore de cette émotion qui s'extrayait
pourtant d'un contexte fantastico-horrifique. Il demeurera de
M.Butterfly
quelques plans sur le visage de Jeremy Irons en clairs-obscurs
tentant de reproduire la saisissante séquence du miroir de
Faux-semblants,
la superbe partition du fidèle compositeur Howard Shore ou les
contacts charnels des deux principaux interprètes. Mais néanmoins,
le films souffre dans sa version originale d'un défaut majeur :
Afin de simuler la féminité du personnage qu'interprète John Lone,
celui-ci semble avoir été doublé dans la langue de Shakespeare
avec un manque de soucis qui paraît à peine pensable chez David
Cronenberg. Une voix féminine qui peine à s'insérer au cœur d'un
récit pourtant parfois mémorable. Loin du Body
Horror,
David Cronenberg signait malgré tout un beau film. Un drame
romantique quelque peu... déviant, et pourtant si réel...
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