Il me semble parfois que
le cinéma horrifique est en bout de course. Que l'on s'illusionne un
peu trop systématiquement sur son devenir en espérant que remakes
et Reboot suffiront à
relancer éternellement la machine. Qu'en proposant dix fois, cent
fois, mille fois le même programme, les spectateurs continueront de
se déplacer dans les salles obscures pour payer le prix d'une place
pour un film qu'ils auront déjà vu à de nombreuses reprises.
Fantômes, tueurs en séries, créatures extraterrestres, monstres
marins, maladies nous ont presque tout raconté sur l'état de
panique dans lequel ils savent nous mettre nous, humains, dénués
que nous sommes parfois de toute carapace émotionnelle ou physique.
Mais alors, où chercher le terreau fertile de nos angoisses sinon
dans une horreur concrète qui ne fait plus appel à un quelconque
bestiaire fantastique ? Terminés depuis longtemps les
Jumpscares. Ou ces
hectolitres de sang qui remplacent en réalité la peur par le
dégoût. Aujourd'hui, c'est à la psychologie que certains
s'attaquent et gagnent le pari de rendre inconfortables certaines
expériences de cinéma. David Cronenberg l'aura compris bien avant
les autres. De la Body Horror,
il glissa lentement vers quelque chose de plus pernicieux auquel on
pourrait imaginer coller, pourquoi pas, l'étiquette de Brain
Horror
(Faux-semblants
en 1988 ou bien Spider en
2002). La descendance aura pris la liberté de prendre plus ou moins
son temps mais lorsqu'elle s'impose à nous, souvent c'est pour mieux
nous dévorer le cerveau. Si en vérité, d'autres ont choisi et
réussi à briser notre résistance psychologique face aux actes
d'individus dont ils nous contèrent un petit bout d'existence
(Schizophrenia
de Gerald Kargl, 1983), il en est certains dont on a que trop peu
parlé en dehors des cercles d'amateurs...
Qui
entendra causer au sujet de The Girl Next Door
de Gregory M. Wilson évoquera sans doute la comédie éponyme de
Luke Greenfield sortie trois ans auparavant. Qui lira le synopsis de
Dans ma peau
de Marina de Van avant de l'avoir vu prendra ses jambes à son cou
afin de fuir et n'aura sans doute pas davantage envie de découvrir
Trouble Every Day
de Claire Denis après être tombé accidentellement sur une séquence
anthropophage particulièrement dérangeante. On parle actuellement
beaucoup de la réalisatrice française Julia Ducournau, auteur de
l'excellent Grave
en 2016 et de Titane
cette année. Peut-être la version féminine du belge Fabrice du
Welz qui au cours de sa carrière n'a cessé (et ne cesse) d'affiner
son approche de l'horreur psychologique même lorsqu'elle s'inscrit
dans des genres aussi divers et théoriquement lointains que le drame
ou le thriller (Alleluia
en 2014 ou Adoration
en 2019). Alors qu'elle n'a même pas atteint la trentaine, la
réalisatrice britannique Rose Glass signait en 2019 avec
Saint Maud
une œuvre percutante, que l'on rangerait facilement du côté du
Locataire
de Roman Polanski (réalisé et 1976) ou du récent Knackningar
de Frida Kempff pour leurs allures de longs-métrages dramatiques
''accentués'' par une approche faussement fantastique. La
réalisatrice nous y raconte l'histoire d'une rencontre. Entre Maud
(époustouflante Morfydd Clark), jeune aide à domicile à
l'indescriptible foi en Dieu et Amanda (Jennifer Ehle), une ancienne
danseuse atteinte d'un cancer condamnée à mourir prochainement.
Lumières tamisées, décors sombres, ambiance emprunte de
religiosité (d'un côté) et de perversité (de l'autre), Saint
Maud
déroule son scénario sans avoir l'air d'être autre chose qu'une
histoire d'amitié entre une femme qui meure et une autre qui la
soutien, la soigne, l'apaise. Une impression trompeuse comme semblent
l'indiquer les premières images, malheureusement inutiles...
Loin
de cette mode qui voudrait lister les choses à intégrer dans tout
bon film qui honore la diversité et le respect de l'autre et de ses
différences, Rose Glass oppose une jeune fille bien sous tous
rapports, croyant avec ferveur en un Dieu qui la ''visite'' parfois
et semble même lui faire l'amour, à une ancienne danseuse dont la
''perversité'' s'exprime à travers sa ''passion'' pour l'alcool et
ses penchants sexuels ! On comprend tout d'abord où se situent
le Bien et le Mal avant que la britannique ne vienne tout remettre en
question, explosant les codes qu'elle a établi jusqu'à maintenant.
Ajoutant au portrait glaçant et déroutant de Maud, celui, perverti,
d'une femme qui n'a plus rien à attendre de la vie et se conduit
alors de manière parfois odieuse, Rose Glass y ajoute un soupçon de
fantastique. Un élément qui se justifie sans pour autant être la
preuve que ce que nous montrent les images est bien réel. Saint
Maud
est une démonstration de force qui tenterait à prouver que
l'horreur, la vraie, moderne et dérangeante ne se situe plus là où
elle tente de nous mener de manière trop fréquente mais dans le
visage de cette jeune femme vouant un culte à Dieu au point de s'y
confondre déraisonnablement. D'ailleurs, est-il question de Dieu ?
De Diable ? De simple croyance ? Ou tout simplement de
folie ? Il y a des œuvres empruntes de mythologie qui vous
marquent. L'exorciste de
William Friedkin fut peut-être dans le genre, le premier en 1973.
Puis vint quarante-trois ans plus tard, l'époustouflant The
Strangers
du sud-coréen Na Hong-Jin. Et enfin, sans doute, Saint
Maud
de Rose Glass, il y a deux ans. Une œuvre qui retourne les
conventions (et notre cerveau) comme un gant...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire