En vingt-six ans de
carrière, le réalisateur, scénariste et producteur américain
Joseph L. Mankiewicz aura réalisé vingt et un longs-métrages pour
le grand écran. Une assez bonne moyenne comptant quelques grands
chefs-d’œuvre du septième art. À lui seul, Cléopâtre
étant
représentatif de son génie. C'est en 1972 que Joseph L. Mankiewicz
met un point final à sa carrière en adaptant pour le cinéma la
pièce de théâtre Sleuth
du romancier et dramaturge britannique Anthony Shaffler. À l'écran,
Le limier
reprend le concept en mettant en scène deux personnages. Celui
d'Andrew Wyke, richissime écrivain de romans policiers qui convoque
chez lui l'amant de sa femme Milo Tindle. Vouant une passion pour le
jeu et pour les automates qui recouvrent l'intégrale de sa demeure,
Andrew Wyke entame alors une conversation avec son rival et lui
propose de se rendre mutuellement service. Possédant un coffre
renfermant des bijoux pour une valeur se montant à plusieurs
centaines de milliers de livres, l'écrivain propose au costumier de
les lui dérober et de les revendre à un receleur de sa
connaissance. Le méfait accompli permettra à Andrew Wyke d'empocher
l'argent de l'assurance et à Milo Tindle d'assurer le confortable
train de vie auquel est habituée la future ex-épouse de l'écrivain.
Après mûre réflexion, le jeune amant accepte sans malheureusement
se rendre compte qu'il s'agit d'un piège. Déguisé en clown, il
comprend que tout n'est que stratagème de la part de Wyke qui pour
rendre crédible le cambriolage décide finalement de tuer Tindle...
Deux jours ont passé et alors que l'écrivain s'apprête à s'offrir
des toasts tartinés de caviar, sonne à la porte l'inspecteur
Doppler. Celui-ci enquête sur la disparition supposée du jeune
costumier. Son principal suspect : le célèbre écrivain Andrew
Wyke lui-même...
Divisé
en deux parties, Le limier est
l'un de ces films pernicieux qui établissent une manœuvre visant à
tromper les spectateurs au même titre que l'un des personnages.
Brillamment campés par Laurence Olivier et Michael Caine, les deux
principaux protagonistes du récit se jaugent à grands coups de
phrases judicieusement choisies. C'est bien là l'un des points
fondamentaux d'un récit situant son action presque exclusivement au
cœur de la luxueuse demeure d'un génie de la littérature policière
dont l'intérieur décrit parfaitement son état d'esprit. Un décor
riche et passablement enfantin dans lequel l'homme affiche son statut
ainsi que son goût pour l'exubérance. Face à lui, un artisan,
simple, mais dont l'un des plus grands défauts, du moins aux yeux du
romancier, est d'être l'amant de sa femme. Viennent alors des propos
blessant qui participeront de l'élaboration d'une seconde partie
incroyablement diabolique. Entre vengeance et rancœur, l'élève
semble avoir dépassé le maître au point d'avoir haussé le
principe à des hauteurs vertigineuses. Les deux interprètes se
révèlent formidables, aidés en cela par des dialogues savoureux,
entre cynisme et sérieux. Abordant le mépris des basses classes et
l'esprit de vengeance, Le limier
est un grand film qui reprend peu ou prou l'esprit théâtral de la
pièce d'origine. Personnage à part entière, le décor fourmille de
détails participant directement à l'intrigue. Bien que le sujet du
film semble avoir été traité avec une certaine légèreté, la
cruauté incarnée par Laurence Olivier noirci drastiquement un
tableau originellement divertissant. Et si ce dernier aspect perdure,
c'est parfois avec une certaine gêne que l'on assiste aux suppliques
éplorées d'un Michael Caine/Milo Tindle humilié. Le caractère
dérangeant de certaines situations perdure d'ailleurs durant le
second acte et ira même jusqu'à se prolonger jusqu'à cette
conclusion amèrement vécue par nos deux protagonistes. Notons que
Michael Caine revivra dix ans plus tard le même genre d'expérience
avec l'adaptation sur grand écran de la pièce d'Ira Levin,
Deathtrap,
sous le titre Piège Mortel
face à l'acteur Christopher Reeve. Son rôle sera cependant
inversé...
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