Derrière un titre qui au
mieux ferait passer le premier long-métrage de fiction du
réalisateur allemand Peter Fleischmann pour une œuvre bucolique et
au pire pour un affront envers les défenseurs des animaux se cache
sans doute l'un des films les plus marquants, les plus effrayants et
les plus importants du milieu des années soixante en Allemagne. La
résurgence du nazisme s'y exprimant implicitement même si l'on est
très loin de l'imagerie aryenne déployée prés de trente ans en
arrière, le film évoque le retour dans son village d'Abram, un
jeune homme qui après avoir séjourné en prison pour avoir osé
entretenir une ou plusieurs relations avec des hommes va subir les
quolibets et le harcèlement moral de tout un village. À commencer
par sa propre mère qui plutôt que de vouloir protéger son fils
choisit de se rallier à la cause des villageois auxquels elle se
refuse de se confronter. De bout en bout, Scènes de chasse en
Bavière
(Jagdszenen aus Niederbayern)
porte en lui les germes d'une inculture paysanne dans laquelle se
sont enfermés les habitants d'un petit village de campagne. Tous les
traits de caractère d'hommes et de femmes ne vivant pourtant pas si
loin de la civilisation mais qui pourtant s'expriment à travers des
coutumes et des mœurs régressifs. Le long-métrage de Peter
Fleischmann est inconfortable malgré des débuts joyeux, que l'on
croit résulter de la bonne humeur de ses paysans qui travaillent la
terre et abattent un cochon entre deux pintes de bière !
Mais
cette apparente jovialité cache la mesquinerie et la bassesse de ces
individus crasseux qui n'hésitent pas à harceler ce pauvre Abram
(l'acteur Martin Sperr), seul face à un village qui va tout entier
le pousser à bout. Seul éclat de lumière dans cette fange
immorale où la luxure s'exprime au grand jour, la belle Hannelore
(Angela Winkler). Une fille facile. Une putain qui s'est donnée à
plusieurs reprises aux hommes du village mais qui affirme être
enceinte du jeune homme. On croit pénétrer un monde inconnu
parcouru de visages étranges et de comportements douteux au point de
vouloir les rejeter avant même d'avoir appris à les (re)connaître.
Mais l'étranger n'est pas celui que l'on croit. L'inculte est sans
doute celui qui ne se sent pas capable d'affronter l'ignominie et
préfère laisser sa place à un autre. Œuvre de fiction, Scènes
de chasse en Bavière
n'en est pas moins d'un très grand réalisme comme le prouve
notamment la présence de plusieurs interprètes qui n'iront pas au
delà de cette seule expérience cinématographique. Des amateurs. À
l'image de Johann Lang qui incarne Ernstl, l'idiot du village. Filmé
en noir et blanc, le film de Peter Fleischmann exsude un drôle de
poison qui envahi notre organisme (frissons incontrôlables) jusqu'à
se faufiler dans notre cerveau (ivresse des sens). Le but est
atteint. Pris d'un inexplicable vertige, le spectateur se retrouve
impuissant devant des horreurs qui s'expriment moins à travers la
violence physique qu'à travers la torture morale infligée au jeune
homosexuel. À seulement trente-deux ans, le réalisateur allemand
signe une œuvre coup de poing qui n'use d'aucun autre artifice que
le cadre austère d'un petit village de campagne et de ses
habitants...
D'emblée,
le film s'ouvre sur une iconisation des événements à venir même
si ceux-ci se révéleront finalement bien moins démonstratifs et
physiquement cruels que les peintures qui ornent l'église du
village. Tout est déjà dit en l'espace de quelques minutes. De la
représentation picturale d'un martyr émasculé figurant le sort
auquel pourrait éventuellement prétendre le jeune homosexuel
jusqu'au regard salace jeté par les hommes présents à l'église
sur la belle et délurée Hannelore. En enfermant ses villageois en
un lieu clos et en les éloignant de toute civilisation, Peter
Fleischmann les condamne ainsi à l'ignorance et à cultiver leurs
propres valeurs morales. Un drame qui confine à l'horreur
psychologique. Une épouvante qui ne pioche jamais dans le bestiaire
fantastique mais qui se saisit de l'âme (in)humaine pour en dresser
un portrait particulièrement sombre. Si l'on est loin du mouvement
de foule et de l'esprit de lynchage auxquels on pouvait notamment
assister dans le sublime Fury
de Fritz lang en 1936, la personnalité des villageois n'a ici rien à
envier à celle de ceux qui trente-trois ans plus tôt s'attaquèrent
à Joe Wilson qu'interpréta alors l'acteur américain Spencer Tracy.
Scènes de chasse en Bavière de
Peter Fleischmann n'est rien moins qu'un monument du septième
art...
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