Comme je n'aimerais pas
être à la place des fans de David Lynch qui, il y a dix ans, se
sont précipités pour découvrir ce qui demeure à ce jour son
dernier long-métrage. Pour moi, Inland Empire est
sorti aujourd'hui, dans cette minuscule salle de cinéma que
représente mon salon. Pas de voisins bavards, pas de pop-corn ni de
soda, mais pas non plus le sentiment d'être orphelin d'un génie qui
n'a pas réalisé un seul long-métrage depuis 2006. Quelques
courts-métrages mais rien d'autre. Je sors donc tout neuf d'une
projection de presque trois heures. Neuf ? Pas tout à fait.
Plutôt lessivé même. Éreinté, épuisé par un trop grand nombre
d'émotions, d'interrogations et de sentiments contradictoires qui
pourtant, tendent tous vers une même et seule appréciation: « David
Lynch demeure toujours l'un des rares génies du septième art ».
Les habitudes risquent
pour une fois d'être sérieusement contrariées puisque je ne vous
proposerai par de résumé. D'ailleurs, comment faire lorsque
l'auteur du film lui-même possède à lui seul l'unique jeu de clés
ouvrant les portes des innombrables énigmes qu'il sème au gré de
son extraordinaire imagination ? Inland Empire est
donc vieux de dix ans. Et si David Lynch avait ainsi clôt un cycle,
demeurant silencieux jusqu'à aujourd'hui ? L'avantage d'une
œuvre aussi complexe et touffue, c'est que l'on peut y déceler à
peu près n'importe quel concept sans même savoir s'il correspond à
ce qu'avait imaginé son auteur.
Mais ce qui demeure
presque une certitude, c'est qu'il a une nouvelle fois repoussé les
limites de son univers pour nous offrir un choc visuel et auditif
d'un intensité rare. Comme une optimisation des visions macabres
d'Henry Spencer, le héros de son tout premier long-métrage
Eraserhead. David Lynch affirme son amour du cinéma à
travers le portrait de Nikki Grace, actrice, dont on prédit qu'elle
obtiendra le premier rôle dans un film intitulé On High in Blue
Tomorrows. Dès les premiers
instants, on plonge dans l'univers si particulier du cinéaste. Une
mise en abîme diablement maîtrisée. Car ce qu'apprennent les deux
personnages principaux, c'est que le scénario du film a déjà fait
l'objet d'un long-métrage inachevé en raison de la mort de ses deux
plus importants protagonistes.
C'est
à ce moment très précis que les événements prennent une tournure
curieuse pour les personnages, mais pour nous-mêmes également.
David Lynch construit pièce par pièce les murs d'un labyrinthe dans
lequel s'engouffre l'héroïne (admirablement interprétée par
l'actrice Laura Dern). Entre fiction et réalité. Entre passé,
présent et futur, chaque temps se rejoignant inexorablement, Inland
Empire projette sa star dans
un monde où se confondent sa vie d'épouse et celle du personnage
qu'elle incarne à l'écran, sur fond de légendes polonaises et de
mystères insondables.
On
a parfois l'impression de saisir où veut en venir David Lynch, mais
cette appréciation est souvent très vite mise en déroute, et avec
une telle élégance, qu'on lui pardonne de vouloir sans cesse nous
perdre. Entièrement filmé caméra à l'épaule, filmant souvent ses
personnages en plans excessivement serrés, le cinéaste convie pour
l'occasion les acteur Jeremy Irons, Harry Dean Stanton et Justin
Theroux. Tout comme Laura Dern, ce dernier campe d'ailleurs un double
rôle, donnant ainsi l'impression que les personnages baignent dans
les eaux troubles de la schizophrénie tout en portant un double
costume. Plus encore qu'un film signé David Lynch, Inland
Empire demeure
également d'une noirceur absolue qui le cantonne parfois dans le
domaine de l'horreur pure. Véritable cauchemar sensitif, phénoménal
trip visuel, et extraordinaire expérience de perception auditive, le
film est un immense chef-d’œuvre...
10 ans déjà !!!! C'est marrant : tu dis que Lynch aurait achevé un cycle avec Inland Empire - pour moi, un premier cycle avait été achevé avec Lost Highway, parce que sa boucle narrative englobait l'ensemble de son oeuvre. Straight Story, cette ligne droite, m'apparaissait comme un interlude. En sortant Mulholland Drive, j'avais le sentiment qu'il changeait et s'orientait plus vers les mises en abîmes du cinéma, ce que confirmait Inland Empire... et puis, effectivement, plus rien : Inland Empire n'est pas mon film de Lynch préféré (je reste sur Eraserhead et Twin Peaks) mais pour moi c'est son véritable chef d'oeuvre ! Ce que tu en dis, ce serait prétentieux pour ma part de dire que c'est tout à fait juste vu que c'est surtout du ressenti, du subjectif, mais nous partageons au moins un certain ressenti devant ce film sublime.
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