Lorsqu'un long-métrage
s'intitule Piercing,
que son auteur est connu pour avoir réalisé l'étrange The
Eyes of my Mother
en 2016 et que son dernier-né est l'adaptation d'un roman de
l'écrivain, scénariste et réalisateur japonais Ryūnosuke
Murakami, auteur entre autre du percutant (et assez dégueu) scénario
de Audition
de Takashi Miike, on peut s'attendre à ce que Piercing
soit tout sauf une promenade de santé. Dans le fond comme dans la
forme, le second film du réalisateur Nicolas Pesce interroge tout en
se refusant dans la majeure partie des cas, de répondre aux
questions que pourraient éventuellement se poser les rares
téléspectateurs errant dans les parages et tombant dessus tout à
fait par hasard (ce qui fut en partie mon cas). Dire que Piercing
est
unique en son genre serait sans doute exagéré. Surtout pour
l'amateur de cinéma extrême, trash, gore et dérangeant. L'autre
public, celui qui se nourrit de pop-corn par poignées en se
lobotomisant volontairement jour après jour et de manière
scrupuleuse devant ces dizaines de blockbusters riches en CGI qui
sortent sur les écrans risquerait quant à lui de rendre son repas
du jour. On ne conseillera donc pas tout de suite au spectateur
lambda de se plonger dans l'univers torturé de Nicolas Pesce. Du
moins, pas avant qu'il ne se soit sevré devant des œuvres
faussement crapoteuses mais ayant tout de même l'avantage de
l'accoutumer avant le sabbat sadomasochiste auquel le cinéaste nous
convie.
Sans
doute vais-je un peu trop loin déjà dans le descriptif car certains
pourraient être déçus de ne pas voir des litres de sang à
l'écran. L'horreur, chez Nicolas Pesce, prend des chemins de travers
psychologiques. C'est sans doute alors pourquoi l'impact y est
sensiblement plus profond. Si dans sa chair, le spectateur ne peut
s'empêcher parfois de ressentir un certain dégoût (ce qui semble
tout à fait naturel et même, plutôt rassurant), c'est dans son âme
qu'il éprouvera sans doute la plus grande difficulté à conserver
tout son intégrité psychologique. Avec une infinie délicatesse,
Piercing
nous conte la curieuse histoire d'un homme, marié et père d'un tout
jeune enfant, qui, allez savoir pourquoi, éprouve le besoin d'aller
tuer une prostituée adepte de sadomasochisme. Même si de vagues
visions laissent entrevoir un traumatisme lointain, rien n'est plus
nébuleux que ce récit qu'un David Lynch dépressif aurait pu nous
conter au temps de son cultissime et premier chef-d’œuvre
Eraserhead.
C'est ainsi que le bonhomme, Reed, incarné par l'acteur TRES habité
Christopher Abbott, fait la connaissance de Jackie, superbe et
envoûtante Mia Wasikowska, une jeune prostituée adepte de
sadomasochisme. Reed a tout prévu. Il a réservé une chambre et a
mimé plusieurs fois l'acte criminel qu'il s'apprête à commettre
sur Jackie. Sauf que rien ne va se dérouler comme prévu et que le
bourreau deviendra victime, et vice-versa...
J'avoue...
concernant le scénario, on est proche du néant. Mais l'intérêt de
ce huis-clos très étrange se situe ailleurs. Dans la relation qui
naît entre ces deux individus ''borderline''. Entre attirance et
rejet, on ne sait jamais où se situe réellement la frontière entre
le jeu dans lequel Jackie se lance et les véritables intentions de
celui qui a l'origine avait prévu de la tuer. Le climat est trouble,
filmé dans des décors étriqués, sombres et dominés par des
rouges malsains. L'actrice australienne d'origine polonaise s'amuse à
séduire son hôte ET les spectateurs. Difficile de rester de marbre
devant cette femme-enfant au sourire aussi attrayant qu'inquiétant.
L'acteur américain Christopher Abbott n'incarne peut-être pas à
lui seul LE schizophrène au cinéma, mais il s'avère tout de même
convaincant. Son attitude à l'écran est d'ailleurs si étrange
qu'elle participe au sentiment de malaise qui étreint forcément le
spectateur peu coutumier de ce genre d'incarnation. Les Cinéphiles
auront quant à eux l'agréable et inattendue surprise d'entendre quelques airs
empruntés à quelques classiques du cinéma italien des années
soixante-dix puisque l'on peut notamment entendre le thème principal
du chef-d’œuvre de Dario Argento Profondo
Rosso composé
par le groupe italien Goblin ainsi
que celui de Tenebrae,
lui-même réalisé par le cinéaste italien et composé à cette
occasion par Keith Emerson. Piercing
est définitivement un drôle d'objet. Intriguant, parfois paresseux,
mais à découvrir sans conteste...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire