Alors que bon nombre
de personnes considèrent Matrix
de
Lana et Lilly Wachowski comme l'une des plus grandes œuvres de
science-fiction cyberpunk (encore faut-il s'accorder sur le fait que
le long-métrage fasse partie du genre cyberpunk ou pas), il faut
remonter beaucoup plus loin qu'en cette année 1999 pour trouver les
origines du terme. Et pourtant, ce n'est que dix ans en arrière
seulement qu'est né le porte-drapeau de ce courant superbement mis en abyme
par le cinéaste japonais Shinya Tsukamoto, Tetsuo.
chef-d’œuvre absolu du cynberpunk underground japonais qui
attirera toute une tribu d'opportunistes dont un certain Shozin Fukui
qui signera deux ans plus tard en 1991, l'une des plus incroyables
bandes cyberpunk avec l'hallucinant 964
Pinocchio. Pourtant,
le postulat de départ est pratiquement aussi classique qu'aurait pu
l'imaginer un cinéaste plus frileux et désirant apporter sa pierre
à l'édifice.
Le
récit tourne autour de 964 Pinocchio, un androïde à l'apparence
humaine, fabriqué clandestinement par une usine dont le PDG ne veut
surtout pas que ses affaires s’ébruitent. L'idée part pourtant
d'un bon sentiment : offrir à de vieilles dames qui n'ont plus
l'opportunité d'avoir des rapports sexuels de s'offrir une machine
capable de leur apporter ce qu'elles attendent d'un homme.
964
Pinocchio (tous les androïdes produits par l'usine portent le même
prénom mais un numéro différent) est l'une de ces machines. Mais
sa très exigeante propriétaire n'étant pas satisfaite des services proposés décide de se débarrasser de son modèle. C'est ainsi que 964 Pinocchio se
retrouve à la rue, errant parmi des passants médusés. C'est là
qu'il croise Himiko, une clocharde vivant dans un souterrain miteux.
La jeune femme prend l'androïde sous son aile. L'emmène avec elle,
et tente de lui apprendre les rudiments du langage, à commencer par
le propre prénom de l'androïde...
A
l'origine, 964 Pinocchio
étant pratiquement impossible à dénicher, le film de Shozin Fukui
s'est auréolé d'une réputation d’œuvre culte. Mais maintenant
que certains petits malins ont trouvé le moyen de le partager à
grande échelle (je pense notamment à l'excellent site Asia-choc.biz
qui le propose en téléchargement, sous-titres français inclus), il
ne reste plus qu'à faire le constat d'un film qui faisait beaucoup
de bruit alors même que peu de personnes l'avaient encore découvert.
Résultat : le film est une tuerie absolue. Un chef-d’œuvre
du genre cyberpunk underground japonais, qui se permet, EN PLUS, de
surpasser allégrement le déjà superbe Tetsuo
de Shinya Tsukamoto dont il s'inspire pourtant énormément.
Chacun
d'ailleurs y trouvera ses propres références. Le canadien David
Cronenberg, l'amércain David Lynch, mais surtout, le polonais
Andrzej Zulawski et son traumatisant Possession
dont
le japonais pille sans ménagement la démentielle scène durant
laquelle Isabelle Adjani, hantée par son personnage, allait sans
doute marquer à jamais le jury du Festival de Canne 1981 en lui
accordant un très mérité prix d'Interprétation Féminine. Le
décor est le même. Un métro. Sauf que celui choisi par le japonais contient
un certain nombre de voyageurs qui sans doute furent très surpris de
voir apparaître l'actrice Onn Chan dans un état de démence
particulièrement effroyable. Alors qu'Andrzej Zulawski trouvait la
juste durée d'une scène hautement éprouvante, Shozin Fukui choisit
de l'étirer à l'envi. De longues minutes d'une agonie durant
laquelle la frontière où jeu d'actrice et réelle hantise demeurent
parfois difficile à cerner.
Le
spectacle prend une allure inédite, prenant le pas sur un démarrage
presque immobiliste, le cinéaste japonais exploite ensuite ses interprètes
jusqu'à la rupture. On s'attend à l'anévrisme de son actrice
principale, incroyable dans la peau de cette femme ambiguë qui passe
du statut d'héroïne à celui de prédatrice auprès d'un Hage
Suzuki-964 Pinocchio proche de certains comportements épileptiques
chers à Andrzej Zulawski (L'Amour Braque).
Encore lui, oui. Le récit, d'abord attentif envers les spectateurs,
semble par la suite se déconnecter d'une certaine réalité pour
s'enfoncer dans une vertigineuse aventure où la folie des
personnages (et donc de leurs interprètes) semble se généraliser.
Lors d'une scène plutôt gore dont les couleurs rappellent très
sensiblement l'unique film du talentueux Jim Muro (Street
Trash),
l’œuvre de Shozin Fukui change de ton. Fonce à vive allure, la
caméra portée à l'épaule poursuivant ses personnages dans des
décors dominés par le béton et les ordures ménagères.
Visuellement,
964 Pinocchio
est tout bonnement ahurissant. Un travail admirable effectué sur les
mouvement de caméra accompagné par l'extraordinaire bande-son
industrielle composée pour l'occasion par le musicien japonais
Hiroyuki Nagashima. Si l'on devait faire ne serait-ce qu'un seul
reproche au cinéaste et à son œuvre, c'est de parfois trop étirer
certaines des scènes. Quelques-unes d'entre elle se révèlent
effectivement trop longues et peuvent générer un sentiment de
lassitude. Mais à part cela, 964 Pinocchio
mérite sans conteste son statut d’œuvre culte. L'un des tout
meilleurs films de science-fiction cyberpunk japonais depuis la
création du genre. Rien de moins...
Revu hier soir, ben il a pas changé, toujours aussi barge ce truc. Certaines scènes s'étirent effectivement un poil trop en longueur, mais ça participe également au côté jusqu'au boutiste je trouve. Et puis ce tournage guérilla, y a qu'a voir la tête des passants dans le métro ou la rue (la scène ou Pinocchio coure en hurlant comme un dératé, juste énormissime!), on se croirait limite en caméra cachée par moment. Mention spéciale à tous les acteurs qui ont du se surpasser pour de tels rôles, si Adjani ne s'est jamais remis de Possession, qu'est-ce qu'on peut dire d'eux?
RépondreSupprimerPour revenir sur la comparaison avec Tetsuo, il me semble un peu exagéré de le considérer comme supérieur. La faute aux quelques longueurs citées plus haut, un côté un peu plus cheap et puis le film de Tsukamoto arrive en plus, au delà d'un déluge sonore et visuel complètement destructeurs, à proposer une légère critique d'un société japonaise de plus en plus deshumanisée et engloutie par la technologie, en plus de cette idée de transcendance par la douleur d'un homme ordinaire, thème qu'on retrouvera assez souvent dans ses futures réalisations comme Tokyo Fist. Après j'avoue c'est plus mon affection pour ce film qui parle, et puis les deux métrages possèdent leur propre style, et restent tous les deux assez différents, donc la comparaison n'a pas trop lieu d'être à mon sens.
Pour info le film a été édité en DVD chez Unearthed Film et trouvable dans quelques boutiques spécialisées.