Sanatorium Pod
Klepsydrą,
c'est l'histoire de Joseph, qui, rendant visite à son père, apprend
que celui-ci est déjà mort depuis plusieurs années. Décédé,
oui, mais là-bas, chez lui, dans sa maison, dans son pays. Car ici,
dans cet étrange sanatorium dirigé par le Docteur Gotard, la
conception du temps y est différente. Décalé, immobile, il permet
aux patients du praticien d'espérer pouvoir être sauvés d'une mort
qui ailleurs les a déjà emportés. Alors qu'il est prié de
s'endormir du voyage qui l'a mené jusqu'ici, Joseph s'enfonce peu à
peu dans l'histoire. La sienne tout d'abord. Celle d'un enfant qui
dans une petite ville peuplée de juifs a vécu auprès d'un père
opticien. Un gamin qui y connut ses premiers émois sexuels et
l'amitié auprès du jeune Rodolphe. Puis c'est l'Histoire avec un
grand H qui est évoquée. Se mêlant à celle de Joseph, le jeune
homme explore son passé, le précède, le réinvente, parce que
l'unique but réel de ce fils d'opticien, c'est de sauver son père
d'une mort qui pour l'instant demeure certaine.
Wojciech
Has réalise avec Sanatorium Pod
Klepsydrą,
une œuvre monumentale. Le génie d'un homme qui a su s'accaparer
l'écrit du romancier polonais Bruno Schulz, Le
Sanatorium au Croque-Mort.
L’œuvre de Wojciech Has est difficile à appréhender, et de toute
manière pratiquement impossible à résumer en quelques mots. Dès
lors que l'on est installé dans ce train qui mène le héros vers
son incroyable destinée, on est irrémédiablement happés par le
visuel foudroyant des images. Entre cet édifice apparemment laissé
à l'abandon et au cœur duquel la nature semble avoir repris ses
droits, et les dernières images d'un cimetière baroque planté au
pied d'un village à l'architecture stupéfiante, Sanatorium Pod
Klepsydrą ne
peut en aucun cas laisser indifférent. Les sentiments se partagent.
Entre la poésie onirique et fantasmagorique des dialogues et les
tableaux qui composent cette œuvre de près de deux heures, on
regrette parfois qu'une seule petite phrase puisse être énoncée.
Tout le lyrisme des images se suffit à lui seul pour exprimer tout
le ressenti d'un individu qui comme moi, est malheureusement demeuré
sourd à l'Histoire (toujours avec un grand H) sous toutes ses formes.
Le
spectacle aurait pu donc s'en trouver affaibli par ces dialogues dont
la complexité atteint très vite son apogée, en la maintenant
presque jusqu'au terme du long-métrage. Les personnages de Wojciech
Has, c'est certain, parlent un autre langage. Ils vivent d'ailleurs
dans un univers semblable au notre mais ressemblant davantage encore
à ce monde invisible sur lequel se penchent de plus en plus
d'adeptes. Il est impossible de demeurer mitigé devant un spectacle
d'une telle beauté funeste. Soit le rejet est immédiat, soit l'on
est saisi d'une manière irrévocable. Sanatorium
Pod Klepsydrą
est envoûtant, mystérieux, d'une extraordinaire humanité. Il faut
voir l'amour de ce fils, capable de braver une Histoire pourtant déjà
gravée dans la pierre. Faire ressurgir son passé, avec tout ce
qu'il a pu comporter de doutes et de peurs. Parcourir des terres
arides où la mort demeure la seule alternative... et tout ça, pour
son père.
D'un
point de vue strictement esthétique, je n'avais pas ressenti une
telle émotion depuis très longtemps. En fait, depuis le Stalker
d'Andreï Tarkovski.
Car en choisissant des lieux de perditions, des édifices aux allures
baroques et parcheminés des souvenirs de leur passé, Wojciech Has
intègre le surréalisme à la réalité. Son œuvre est un voyage
sidéral et sidérant. D'une noirceur parfois insondable et révélant
des séquences inouïes. La fête juive se déroulant au cœur d'un
village brumeux est extraordinaire. Le passage dans l'autre monde
(c'est ainsi que je définie la scène) lorsque que Joseph descend
dans la cave du magasin de son père est démentiel. Et des scènes
comme celles-ci, le film en recèle d'innombrables. Sanatorium
Pod Klepsydrąest
une œuvre immense. Un chef-d’œuvre intemporel. Un film magistral
signé par un grand maître du cinéma polonais...
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