Considéré par beaucoup
comme LE chef-d’œuvre du poète et cinéaste italien Pier Paolo
Pasolini, Teorema
est beau et étrange à la fois. Adapté de l'ouvrage éponyme écrit
par le cinéaste lui-même publié l'année de sortie du
long-métrage, ce dernier est d'abord accusé d’obscénité par un
avocat de Rome qui tente de le faire saisir par un juge qui le
considère au contraire comme une œuvre d'art idéologique et
mystique. Lorsque l'on connaît Pier Paolo Pasolini, l'idéologie
transparaît effectivement très couramment. Quant au mysticisme
qu'évoquait alors le juge lors du procès, il prend ici la forme du
Visiteur,
cet inconnu qui s'impose tout d'abord dans une famille bourgeoise
pour devenir ensuite indispensable, prodiguant tel un esprit saint
guérison et bien-être aux membre d'une famille détachés les uns
des autres (le cinéaste italien les révèle effectivement à tour
de rôle, ne les réunissant véritablement qu'au moment venu où le
Visiteur
à choisit de les quitter...).
Pier
Paolo Pasolini fait souvent l'économie des dialogues pour laisser
parler les images lors de séquences parfois curieusement montées et
qui laissent ainsi s'exprimer l'emprise du Voyageur
(le troublant acteur britannique Terence Stamp) sur ses hotes, et
l'attirance qu'éprouvent à son égard les membres de cette famille
bourgeoise constituée du père Paolo (Massimo Girotti), la mère
Lucia (Silvana Mangano), de la fille Odetta (Anne Wiazmsky), et du
fils Pietro (Andrés José Cruz). La bonne elle-même, incarnée par
l'actrice italienne Laura Betti (qui tournera notamment auprès de
Sergio Corbucci, André Téchiné, Bernardo Bertolucci ou encore
Jacques Deray et Agnès Varda) tombera sous le charme de cet étranger
venu apposer ses mains sur les maux d'une famille rigide et silencieuse
qui sous son influence va laisser s'exprimer ses désirs profonds. On
imagine aisément ce que dû ressentir l'avocat qui tenta de mettre à
mal l'oeuvre de Pier Paolo Pasolini lorsqu'il découvrit sans doute
quelques années plus tard son sulfureux Salò ou
les 120 Journées de Sodome,
car à côté de cet objet cinématographique parfois outrancier,
Teorema fait
œuvre de simplicité dans son traitement.
Nous
sommes en 1968 et Pier Paolo Pasolini ne transgresse pas encore tous
les tabous. Et lorsqu'il lui prend l'envie d'en franchir certaines
limites, le cinéaste le fait avec un luxe de précautions. Teorema,
outre une introduction exposant les ouvriers d'une entreprise face
aux questions de reporters sur le thème de la bourgeoisie, se dote
de deux actes bien distincts. Le premier révèle la présence
impromptue et inexpliquée d'un jeune homme séduisant chaque membre
d'une même famille, se rendant tout à fait indispensable, et
possédant des capacités hors du commun (il soigne par simple
apposition des mains, la maladie de Paolo, le père, cloué jusque là
sur son lit ou dans un fauteuil roulant). La présence du Visiteur
exalte littéralement tous ceux qu'il approche, les révélant, leur
donnant une conception de leur existence qu'ils semblaient renier
jusqu'à maintenant. Qu'il s'agisse de la fille, terriblement timide,
de la mère réprimée sexuellement, du fils perclus de doutes ou de
la bonne, une pieuse femme, chacun se transforme à son contact. Mais
son départ va avoir des conséquences dramatiques ou inattendues sur
chaque membre de la famille... si certains parviendront à s'élever,
d'autres, malheureusement, s'effondreront...
D'une
certaine manière, le cinéaste italien offre l'opportunité à ses
personnages d'ouvrir enfin les yeux sur le monde réel et non plus
celui que délimitent les contours de leur propriété à travers un
acte sacré perpétré par un individu se posant en un Christ
révélateur des pulsions cachées et inassouvies de ses hôtes
(sexuellement frustrée, la mère multipliera les aventures sexuelles
avec de jeunes prétendants, alors que ces séquences semblent
d'abord signifier sa volonté de retrouver l'ivresse qu'elle connut
au contact du Visiteur).
Si dans le fond, le sujet de Teorema est
passionnant, dans la forme, Pier Paolo Pasolini approche son œuvre
sous forme d'abstraction. Tout y est nimbé d'un soupçon
d'imaginaire où la religion prend une importance considérable (de
retour chez les siens, la bonne est dotée de pouvoirs de guérison
et lévite, haut dans le ciel). Malgré la mauvaise réputation
qu'ont voulu lui offrir certains individus à l'époque de sa sortie,
Teorema n'est
pas le vilain petit canard que l'on croit. Beau comme un poème,
affubler du terme de chef-d’œuvre le film de Pier Paolo Pasolini
paraîtra sans doute un peu exagéré. Toujours est-il qu'il s'agit là
encore d'une proposition de cinéma tout à fait honnête et
bouleversante...
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