Dans la longue, très
longue carrière d'acteur de Michel Piccoli, on trouve de tout. Lui
qui toucha un peu à tous les genres. Lui qui, aussi, côtoya les
plus grands. De Jean-Pierre Melville, Luis Buñuel, Jean-Luc Godard,
Constantin Costa-Gavras, Henri-Georges Clouzot jusqu'à Marco
Ferreri, Claude Sautet, Yves Boisset, Claude Chabrol ou Leos Carax et
même Bertrand Mandico pour lequel il narra Notre-Dame des
Hormones en
2015. Une carrière longue de plus de deux-cent quarante
interprétations parmi lesquelles, il lui est arrivé d'accepter de
jouer dans des œuvres qui parfois sortaient des sentiers battus.
Comme Themroc de
Claude Faraldo en 1973 dans lequel il tenait le rôle-titre. Un film
tout en onomatopées et grognements. La même année qui vit
d'ailleurs l'arrivée sur les écrans du ''scandaleux'' La
grande bouffe
du réalisateur italien Marco Ferreri dans lequel il interprétait le
rôle de Michel qui avec trois amis prenaient la décision de se
suicider en mangeant. L'année suivante, ce fut au tour de Francis
Girod de l'engager sur le tournage du poisseux Le
trio infernal
basé sur un fait divers sordide mais surtout, très authentique. Des
exemples de longs-métrages atypiques dans le paysage française de
l'époque, on pourrait en citer beaucoup d'autres. Des œuvres
auxquelles Michel Piccoli participait volontiers. Les plus
improbables étant toutes concentrées en l'espace de quelques
années, c'est donc en 1974 que l'on retrouvait une fois de plus
l'acteur à l'affiche d'un film on ne peut plus inhabituel. Une œuvre
tellement improbable sur un sujet soufflant sur de telles braises que
l'on imaginerait mal voir Grandeur nature
sortir sur les écrans de cinéma de nos jours. Un film
franco-espagnol qui ne semble pas avoir connu de sortie française ou
espagnole récente en DVD
ou
Blu-Ray
(n'hésitez pas à me corriger si je me trompe) tandis qu'il existe
une éditions publiée chez Mercury
Films
qui, s'il s'agit bien de la société fondée par Jennifer Baichwal
et Nicholas de Pencier (là encore, si vous avez des informations),
est d'origine canadienne...
On
ne s'étonnera pas de l'absence sur les étagères de nos magasins
spécialisés préférés du long-métrage du réalisateur espagnol
Luis Garcia Berlanga. Sans doute condamné aux oubliettes par des
distributeurs trop frileux comme semble l'être avec désespoir et
depuis tant d'années le très beau et déprimant La
petite sirène de
Roger Andrieux, Grandeur nature
est typique de cette vague de longs-métrages qui faisaient passer
leurs contestations à travers des messages éminemment provoquants.
Celui-ci n'échappe donc pas à la règle et nous conte l'histoire du
chirurgien-dentiste Michel qui après avoir récupéré un encombrant
colis à Orly le rapporte chez lui pour le déballer. À l'intérieur,
une femme en polyuréthane. Michel est pourtant marié, mais
désormais, sa nouvelle compagne portera tel ou tel prénom, selon
son envie ou son humeur. Inerte, silencieuse, mais à l'écoute de
son nouveau propriétaire, acceptant ainsi tous ses caprices.
Forcément... Les histoires d'amour au cinéma, Michel Piccoli, ça
le connaît. Mais une histoire d'amour, passionnée, avec une poupée
qui ne dit jamais oui, jamais non, c'est peut-être la première que
l'on ait eu l'occasion de voir sur un écran. Du moins le sujet
est-il traité avec davantage de sérieux que les quelques bobines
relativement bouffonnes qui exploitèrent plus tard ce type d'effigie
à des fins grossières. Ce que n'est pas au demeurant Grandeur
nature puisque
le réalisateur espagnol, plutôt que de nous offrir un récit
morbide et dérangeant sur une relation intime contre-nature, nous
offre plutôt une histoire d'amour un peu différente mais comportant
certains codes similaires à toute véritable relation amoureuse
entre une femme et un homme.... sans les inconvénients, bien
entendu... Et c'est peut-être en partie là que le péché
s'installe. Car derrière ce récit passionné et passionnant se
cache peut-être un message plus sournois où la femme n'est
peut-être rien d'autre qu'un objet dont on peut se servir à loisir
sans lui demander son opinion. Encore heureux que Michel Piccoli ne
la contraigne pas aux tâches ménagères...
Là
où le scénario du scénariste et écrivain Rafael Azcona manque de
punch et d'originalité, Luis Garcia Berlanga rattrape les lacunes
d'un récit banal en remplaçant la représentation féminine dans
tout ce qu'elle a de bien vivant par une poupée. Ce petit détail
qui fait toute la différence et qui permet de convaincre le
spectateur d'évacuer le sentiment d'indifférence qui pourrait
l'étreindre pour le remplacer par de la curiosité si bien ou si mal
placée soit elle. La poupée constitue un parallèle avec le concept
de femme-objet et Grandeur Nature
se découvre alors comme un pamphlet ironique à l'encontre du
Mouvement de Libération des Femmes qui
quelques années auparavant fut très officiellement né de
l'impulsion de plusieurs femmes dont une certaine Antoinette Fouque.
Moins virulent et exposant son représentant de la gente masculine
sous un jour bien différent que les deux héros de Calmos
de Bertrand Blier qui eux, tentaient au contraire tout ce qui était
en leur pouvoir pour échapper aux femmes, Grandeur
Nature
s'offre quelques séquences cultes invisibles de nos jours. Le
factice de l'héroïne facilite les choses et la voir nue, exposée
aux caprices de celui qui ira jusqu'à l'épouser, s'avère sans
doute plus acceptable à l'écran. Certains actes ont cependant gardé
de leur caractère provocateur et l'on comprend que les sourcils
puissent encore aujourd'hui se froncer chez certain(e)s
téléspectateur(trice)s. Grandeur Nature est
un OFNI,
témoignage d'une décadence et d'une liberté de ton qui depuis ont
majoritairement disparu. Mais que nos chères épouses et les
fervents défenseurs de la cause féminine se rassurent : ce que
l'on pourrait voir comme un anti-féminisme forcené dans lequel l'excellent Michel Piccoli y libère parfois ses plus bas instincts est contrecarré
dans ses derniers instants. Car c'est bien celle qui fut muette
durant presque une heure trente à laquelle le réalisateur laisse
''le dernier mot''... Culte !
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