David Hotyat et Alberto
Stranieri auraient pu en faire leur film de chevet. Ces criminels qui
se rêvaient dans la peau d'un autre, quitte à débarrasser la Terre
de sa présence et ainsi prendre ''tout naturellement'' sa place.
L'auteur de Alucarda
en 1977 débutait sa carrière de cinéaste quatre ans auparavant
avec l'improbable La Mansión de la Locura (The
Mansion of Madness
à l'internationale et Le manoir de la folie
dans notre pays). Le genre de long-métrage qui ne rentre pas dans
les cases habituelles et qu'il est donc de bon ton de ranger dans la
catégorie des OFNIs.
Au vu du titre et de l'affiche (qui elle demeure tout à fait dans
l'esprit de ce qui deviendra en 1977 le troisième long-métrage du
mexicain), on pouvait s'attendre à un film d'horreur ou d'épouvante.
Pourtant, il n'en est rien. Ici, pas de créatures provenant d'un
quelconque bestiaire fantastique, ni de suppôts de Satan (le sujet
évoque en arrière-plan le phénomène de secte). Le récit relate
l'histoire de Gaston Leblanc, un médecin désirant visiter l'asile
tenu par son confrère le Docteur Maillard. À son arrivée, il est
accueilli par celui-ci, lequel lui fait visiter ses installations,
lui parle des méthodes employées auprès de ses patients et lui
présente accessoirement Eugénie, sa nièce. Nous retiendrons ce
choix étrange qui devrait mettre la puce à l'oreille du visiteur
concernant l'étrange relation qui noue et la jeune femme, et le
docteur Maillard. Une aberration que semble pourtant assumer le
réalisateur mexicain Juan López Moctezuma qui nous offre ici avec
La Mansión de la Locura,
une œuvre très originale. Un théâtre de l''absurde, décadent,
jusqu’au-boutiste, sans doute moins trash que certains de ses aînés
ou de ses contemporains, mais au demeurant, stupéfiant !
Une
spectaculaire usurpation d'identité, voilà donc le sujet. Une
ambition démesurée. Un autoritarisme et un despotisme comme
l'Histoire en aura connu bon nombre à travers le temps. Original,
donc, est La Mansión de la Locura.
Surtout si l'on fait fi de tout ce qui a été avant, et sera réalisé
ensuite puisque chez Juan López Moctezuma, on retrouve l'humour
absurde des Monty
Pyton. L'imagination foisonnante et l'outrance d'Alejandro
Jodorowsky. La mise en place de décors dantesques à la manière
d'un Peter Greenaway ou naturalistes d'un Wojciech Has. La poésie
fangeuse de Dušan Makavejev, ou encore la décadence selon Tinto
Brass. Inspiré
mais aussi et surtout, inspirant puisqu'une partie de ces références
viendront plus ou moins empiéter les mêmes territoires fertiles de
leur imagination seulement quelques années plut tard. En effet, si
l'on omet le chilien ou le yougoslave qui étaient là les premiers,
combien d'autres eurent peut-être un révélation le jour où ils
découvrirent ce premier essai fort convaincant du réalisateur
mexicain ? La Mansión de la Locura
est découpé au moins en deux parties. La première expose l'univers
dans lequel baignent les personnages. Un asile on ne peut plus
inattendu, perdu aux abords d'une forêt touffue et dans lequel les
patients qu'il abrite sont libres de vaquer à des occupations que le
Jodorowsky de El Topo ou
La montagne sacrée
n'aurait sans doute pas renié. Et à sa direction, le docteur
Maillard. Un être étrange qui semble aussi fou que ceux qu'il est
chargé de soigner de leur affection. À dire vrai, tout ce petit
monde semble être atteint d'un même mal. Une contagion qui se
répercute bien au-delà des simples patients. Bref, une balade dans
la tête d'un aliéné...
Puis
c'est au tour de la seconde partie de venir enfin donner une raison
d'être à ce récit qui pour l'instant ne tient debout que grâce à
sa mise en scène et son interprétation débordantes de générosité.
Demeuré en l'état, le film de Juan López Moctezuma n'aurait été
qu'un long délire sous acide. Une mise en forme somptueusement
avilissante de notre humanité quand le fond, lui, semblait encore se
chercher. Usurpation, disais-je ? Car le propos est là. Comme
les visions de grandeurs d'un individu au dessus des lois prenant
l'identité du véritable directeur de l'institution psychiatrique au
grand dam des employés et du vrai Docteur Maillard qui tous seront
enfermés et laissés affamés (regardez donc Hysteria
de Brad Anderson, réalisé quatre décennies plus tard pour vous
convaincre que le réalisateur américain ne fut pas simplement
inspiré par la nouvelle d'Edgar Allan Poe, The
System of Doctor Tarr and Professor Fether).
La Mansión de la Locura
est réellement stupéfiant. Visuellement, le spectacle est parfois
aussi magnifiquement sordide que certains décors ''festifs'' du
Sweet Movie
de Dušan Makavejev (sans les séquences pipi, caca, vomi, soit dit
en passant). Si dans son ensemble, le film exploite le côté
décrépit, voire malade, des environnements, l’œuvre de Juan
López Moctezuma trouve sans doute son aboutissement lors du dernier
acte qui voit une parodie de procès se transformer en un banquet
sabbatique pas tout à fait digne (et encore moins luxuriant) de ceux
du Caligula
de Tinto Brass et situé dans une porcherie transformée à cette
occasion en cours des miracles. Pourtant, rien de vraiment choquant
ici. Le mexicain y va avec le dos de la cuillère et l'aspect
subversif du propos est finalement traité sous une allure beaucoup
moins ''marécageuse'' que l'on aurait pu craindre (toutes
proportions gardées, bien entendu). Reste une œuvre incroyable, ode
à la souillure, la folie et la tyrannie. Une œuvre définitivement
culte...
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