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vendredi 10 mai 2019

The House That Jack Built de Lars Von Trier (2018) - ★★★★★★★☆☆☆



Les actes perpétrés par les tueurs en séries ont beaux révulser lorsque dans le détail ils sont divulgués par la presse, force est de reconnaître qu'ils fascinent. Alors, lorsque Lars Von Trier se penche sur le cas de Jack, un personnage de fiction qui pourtant évoque bon nombre de serial killer, et dans sa psychologie, et dans sa méthodologie, il y a de quoi frémir d'impatience. Surtout que pour camper ce tueur obsédé par la propreté, quitte à mettre sa propre liberté en danger, le cinéaste danois convoque l'acteur américain Matt Dillon... le GENIAL Matt Dillon, dont les années ont donné une patine remarquable à son visage de cinquantenaire bien entamé. Si cela ne transparaît pas forcément dès les premières minutes, The House That Jack Built serait donc l’œuvre testamentaire d'un cinéaste qui fit beaucoup de bruit durant sa carrière, et pas toujours pour de bonnes raisons même si ses fans et les cinéphiles d'une manière générale auront de bon ton de ne retenir que son exceptionnelle filmographie. Une œuvre testamentaire ET, auto-biographique. Chose étrange, surtout si l'on considère que le personnage principal de ce long-métrage fleuve de plus de deux heures trente (de la petite monnaie pour un Lars Von Trier qui accouchait cinq ans auparavant d'un Nymphomaniac de cinq heure et vingt-cinq minutes dans sa version longue et hardcore !) est un tueur en série.

C'est donc avec un sens du scrupule parfois amusant que le cinéaste danois nous décrit le long cheminement d'un individu apparemment bien sous tout rapport se laissant glisser peu à peu vers le meurtre. Le spectateur n'échappe pas au flash-back nous montrant un Jack enfant coupant la patte d'un caneton à l'aide d'une paire de cisailles (une séquence que l'on espère avoir été conçue à l'aide des dernières technologie en matière d'effet-spéciaux car à défaut de quoi, Lars Von Trier pourrait bien passer pour le monstre qu'il filme avec un amour qui semble parfois immodéré). Car on le sait bien, en général, les futurs tueurs en série en passent pratiquement tous par là. Les animaux, chats, chiens, et donc ici, caneton, sont les premières victimes de ces êtres totalement dégagés de toute contingence morale.

A travers The House That Jack Built, le cinéaste danois parvient à concentrer toute son œuvre et sa créativité.

Constitué de cinq actes tous reconnus par son auteur sous la forme 'd'incidents', The House That Jack Built observe un comportement commun à beaucoup de tueurs en série qui prennent un immense plaisir à tuer et se révèlent incapables de s'arrêter après le premier meurtre. L'un des détails significatifs de ce plaisir ressenti peut s'observer chez Jack à travers cet étrange sourire qu'il arbore une fois le premier meurtre accompli alors même que c'est le comportement particulièrement dangereux de sa victime qui va le pousser à bout. Comme si Lars Von trier évoquait l'idée que la responsabilité du dit meurtre en incombait davantage à la victime qu'à son bourreau. Une approche terriblement arrogante pour L'HOMME et définitivement provocante pour le CINEASTE, lui-même coutumier de ce genre de comportement. Lars Von Trier semble donc fasciné par ce double dont l'activité est au final similaire au métier de cinéaste qu'il accomplit depuis maintenant trente-cinq ans depuis son Element of Crime de 1984 si l'on met de côté sa dizaine de court-métrages réalisés entre 1967 et 1982. Deux arts que le cinéma a rendu indissociables depuis que certains se sont penchés sur l'histoire de tueurs en série authentiques, Lars Von Trier leur donnant de nouvelles lettres de noblesse à travers son dernier projet...

Si tout d'abord The House That Jack Built est comparable au chef-d’œuvre Henry: Portrait of a Serial Killer que le cinéaste américain John McNaughton réalisa plus de trente ans auparavant, Lars Von Trier use d'une rhétorique tantôt complexe, tantôt parcourue de visions fascinantes, tantôt scolaire qui pourtant participent toutes à l'élaboration du mythe du tueur en série. Ce qui pousse très certainement le critique ou le spectateur à envisager Jack comme un double maléfique du cinéaste se situe au niveau des nombreuses archives culturelles qui accompagnent son œuvre et parmi lesquelles il intègre des extraits de ses propres long-métrages. Parfois très cruel et même éprouvant (le meurtre des deux enfants et de leur mère durant une partie de chasse, ou celui de celle que Jack avoue véritablement aimer), The House That Jack Built s'avère parfois (involontairement?) drôle malgré son caractère sinistre, la musique de Victor Reyes demeurant des plus discrète. Atteint de troubles obsessionnels compulsifs (ce qui donne lieu à une séquence qui, qu'on le veuille ou non, finit davantage par aspirer au rire qu'au tragique lors du second acte si je ne me trompe), fétichiste, asocial et totalement dépourvu de la moindre morale ou d'un quelconque ressentiment, Jack est admirablement interprété par un Matt Dillon parfois effrayant (les séquences durant lesquelles il se mire en train de simuler des émotions dont il est dénué paraîtront comme parmi les plus sinistres), parfois drôle (ses allées et venues sur le lieu d'un meurtre, conséquences de ses troubles obsessionnels compulsifs), et même, parfois, reconnaissons-le, touchant dans ce portrait d'un individu jamais attaché au moindre de ses semblables (son amour avéré pour Jacqueline, interprétée par Riley Keough, n'étant au final qu'un leurre) et plongé dans une solitude qu'il s'est lui-même créée et qu'il tente de pallier en conservant le corps de ses victimes dans une pièce réfrigérée. 

Déjà très particulier dans sa conception qui laisse planer le doute entre les visions du tueur et les propres goûts artistiques de Lars von Trier, le film s'enfonce peu à peu dans une sorte de catharsis finale comparable au cinéma ''grotesque'' mais définitivement brillant d'un Peter Greenaway période The Baby of Mâcon ou d'un David Lynch, lui, toutes périodes confondues. On pourrait même imaginer cette fin en forme d'apothéose aussi absurde que numériquement dévoyée (retour d'une cinéma-vérité sous l'impulsion d'un ''Dogme 95'' renaissant) comme un univers commun à celui d'un Tolkien époque Seigneur des Anneaux, plus sombre, plus désespéré, expression définitive de l'âme torturée de son héros. Si The House That Jack Built peut-être envisagé comme un film testament, et de la part des critiques, du public, et de Lars Von Trier lui-même, ce dernier avouait en octobre dernier ne pas savoir vraiment s'il s'agissait de son dernier long-métrage, un projet en amenant souvent un autre. L'avenir nous apprendra si le génie danois a décidé de raccrocher les gants ou si une fois encore, il viendra bousculer nos petites habitudes de cinéphiles...

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