Les actes perpétrés par
les tueurs en séries ont beaux révulser lorsque dans le détail ils
sont divulgués par la presse, force est de reconnaître qu'ils
fascinent. Alors, lorsque Lars Von Trier se penche sur le cas de
Jack, un personnage de fiction qui pourtant évoque bon nombre de
serial killer, et dans sa psychologie, et dans sa méthodologie, il y
a de quoi frémir d'impatience. Surtout que pour camper ce tueur
obsédé par la propreté, quitte à mettre sa propre liberté en
danger, le cinéaste danois convoque l'acteur américain Matt
Dillon... le GENIAL Matt Dillon, dont les années ont donné une
patine remarquable à son visage de cinquantenaire bien entamé. Si
cela ne transparaît pas forcément dès les premières minutes, The
House That Jack Built
serait donc l’œuvre testamentaire d'un cinéaste qui fit beaucoup
de bruit durant sa carrière, et pas toujours pour de bonnes raisons
même si ses fans et les cinéphiles d'une manière générale auront
de bon ton de ne retenir que son exceptionnelle filmographie. Une
œuvre testamentaire ET, auto-biographique. Chose étrange, surtout
si l'on considère que le personnage principal de ce long-métrage
fleuve de plus de deux heures trente (de la petite monnaie pour un
Lars Von Trier qui accouchait cinq ans auparavant d'un Nymphomaniac
de cinq heure et vingt-cinq minutes dans sa version longue et
hardcore !) est un tueur en série.
C'est
donc avec un sens du scrupule parfois amusant que le cinéaste danois
nous décrit le long cheminement d'un individu apparemment bien sous
tout rapport se laissant glisser peu à peu vers le meurtre. Le
spectateur n'échappe pas au flash-back nous montrant un Jack enfant
coupant la patte d'un caneton à l'aide d'une paire de cisailles (une
séquence que l'on espère avoir été conçue à l'aide des dernières
technologie en matière d'effet-spéciaux car à défaut de quoi,
Lars Von Trier pourrait bien passer pour le monstre qu'il filme avec
un amour qui semble parfois immodéré). Car on le sait bien, en
général, les futurs tueurs en série en passent pratiquement tous
par là. Les animaux, chats, chiens, et donc ici, caneton, sont les
premières victimes de ces êtres totalement dégagés de toute
contingence morale.
A travers The House That Jack Built, le cinéaste danois parvient à concentrer toute son œuvre et sa créativité.
Constitué
de cinq actes tous reconnus par son auteur sous la forme
'd'incidents',
The House That Jack Built
observe un comportement commun à beaucoup de tueurs en série qui
prennent un immense plaisir à tuer et se révèlent incapables de
s'arrêter après le premier meurtre. L'un des détails significatifs
de ce plaisir ressenti peut s'observer chez Jack à travers cet
étrange sourire qu'il arbore une fois le premier meurtre accompli
alors même que c'est le comportement particulièrement dangereux de
sa victime qui va le pousser à bout. Comme si Lars Von trier
évoquait l'idée que la responsabilité du dit meurtre en incombait
davantage à la victime qu'à son bourreau. Une approche terriblement
arrogante pour L'HOMME et définitivement provocante pour le
CINEASTE, lui-même coutumier de ce genre de comportement. Lars Von
Trier semble donc fasciné par ce double dont l'activité est au
final similaire au métier de cinéaste qu'il accomplit depuis
maintenant trente-cinq ans depuis son Element of
Crime
de 1984 si l'on met de côté sa dizaine de court-métrages réalisés
entre 1967 et 1982. Deux arts que le cinéma a rendu indissociables
depuis que certains se sont penchés sur l'histoire de tueurs en
série authentiques, Lars Von Trier leur donnant de nouvelles lettres
de noblesse à travers son dernier projet...
Si
tout d'abord The House That Jack Built
est comparable au chef-d’œuvre Henry: Portrait
of a Serial Killer
que le cinéaste américain John McNaughton réalisa plus de trente
ans auparavant, Lars Von Trier use d'une rhétorique tantôt
complexe, tantôt parcourue de visions fascinantes, tantôt scolaire
qui pourtant participent toutes à l'élaboration du mythe du tueur
en série. Ce qui pousse très certainement le critique ou le
spectateur à envisager Jack comme un double maléfique du cinéaste
se situe au niveau des nombreuses archives culturelles qui
accompagnent son œuvre et parmi lesquelles il intègre des extraits
de ses propres long-métrages. Parfois très cruel et même éprouvant
(le meurtre des deux enfants et de leur mère durant une partie de
chasse, ou celui de celle que Jack avoue véritablement aimer), The
House That Jack Built s'avère
parfois (involontairement?) drôle malgré son caractère sinistre,
la musique de Victor Reyes demeurant des plus discrète. Atteint de
troubles obsessionnels compulsifs (ce qui donne lieu à une séquence
qui, qu'on le veuille ou non, finit davantage par aspirer au rire
qu'au tragique lors du second acte si je ne me trompe), fétichiste,
asocial et totalement dépourvu de la moindre morale ou d'un
quelconque ressentiment, Jack est admirablement interprété par un
Matt Dillon parfois effrayant (les séquences durant lesquelles il se
mire en train de simuler des émotions dont il est dénué paraîtront
comme parmi les plus sinistres), parfois drôle (ses allées et
venues sur le lieu d'un meurtre, conséquences de ses troubles
obsessionnels compulsifs), et même, parfois, reconnaissons-le,
touchant dans ce portrait d'un individu jamais attaché au moindre de
ses semblables (son amour avéré pour Jacqueline, interprétée par
Riley Keough, n'étant au final qu'un leurre) et plongé dans une
solitude qu'il s'est lui-même créée et qu'il tente de pallier en
conservant le corps de ses victimes dans une pièce réfrigérée.
Déjà très particulier dans sa conception qui laisse planer le
doute entre les visions du tueur et les propres goûts artistiques de
Lars von Trier, le film s'enfonce peu à peu dans une sorte de
catharsis finale comparable au cinéma
''grotesque''
mais définitivement brillant d'un Peter Greenaway période The
Baby of Mâcon
ou d'un David Lynch, lui, toutes périodes confondues. On pourrait
même imaginer cette fin en forme d'apothéose aussi absurde que
numériquement dévoyée (retour d'une cinéma-vérité sous
l'impulsion d'un ''Dogme
95''
renaissant) comme un univers commun à celui d'un Tolkien époque
Seigneur des Anneaux,
plus sombre, plus désespéré, expression définitive de l'âme
torturée de son héros. Si The House That Jack
Built
peut-être envisagé comme un film testament, et de la part des
critiques, du public, et de Lars Von Trier lui-même, ce dernier
avouait en octobre dernier ne pas savoir vraiment s'il s'agissait de
son dernier long-métrage, un projet en amenant souvent un autre.
L'avenir nous apprendra si le génie danois a décidé de raccrocher
les gants ou si une fois encore, il viendra bousculer nos petites
habitudes de cinéphiles...
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