Second film de la
réalisatrice Jennifer Kent, The Nightingale venait
confirmer en 2018 tout le bien que l'on pouvait penser de
l'australienne qui en 2014, avait déjà su convaincre bien au delà
des seuls amateurs de cinéma d'épouvante avec The
babadook,
un public ivre d'émotions. De cette mode tout sauf inintéressante
qui consiste désormais à aller fouiller au cœur de drames intimes,
une horreur plus psychologique que graphiquement démonstrative. Sur
un postulat bien différent puisque historique, la Tasmanie du
dix-huitième siècle et la colonisation du peuple aborigène par
l'armée britannique, The Nightingale pose
les fondements d'une œuvre puissamment évocatrice des ravages de la
colonisation.qui donnera lieu à un conflit entre les colons
britanniques et les aborigènes de Tasmanie connu sous le nom de
Guerre noire
(Black
War).
Une toile de fond servant à ce qu'il serait si facile de réduire à
un Rape and
Revenge
comme se sont amusés à le faire certains critiques, sous-genre
horrifique auquel les années soixante-dix offrirent ses lettres de
noblesse (The Last House on the Left de
Wes Craven en 1972 ou I Spit on Your Grave
de Meir Zarchi six ans plus tard). Réduit à la seule évocation
d'une jeune bagnarde irlandaise poursuivant deux hommes au cœur
d'une forêt tasmanienne après qu'un lieutenant de l'armée
britannique et son second aient tué son époux et leur bébé, le
long-métrage de Jennifer Kent n'aurait sans doute jamais fait autant
parler de lui. Pourtant, c'est bien dans la procédure engagée par
la réalisatrice australienne, forcément touchée par l'histoire de
son propre pays et de ses habitants d'origine, que le film tire toute
sa force. On retrouve d'ailleurs son goût prononcé pour les
héroïnes désavouées puisque dans The
Babadook,
Amelia (l'actrice Essie Davis,absolument formidable) voyait son
entourage la délaisser devant le comportement inquiétant de son
fils Samuel...
Avec
The Nightingale,
Jennifer Kent monte d'un cran dans les turpitudes de son héroïne
ici interprétée par l'actrice irlando-italienne Aisling Franciosi.
Cette jeune et jolie femme retirée du bagne par un lieutenant qui
exerce sur elle son emprise et son pouvoir et refuse de signer l'acte
qui permettrait à Clare d'être enfin libérée et de vivre en paix
auprès de son mari Aidan (l'acteur Michael Sheasby) et de leur tout
jeune enfant. Le film se caractérise tout d'abord par une première
partie lors de laquelle la femme perd de son identité et de sa
valeur que seule la grande beauté de Clare lui permet encore de
préserver. Emprunt d'une misogynie qui confine au malaise, The
Nightingale
se réfère directement aux actes de barbaries à venir. Relents de
racisme dont les aborigènes ne seront pas les seuls à faire les
frais, les origines irlandaises de l'héroïne étant cesse rappelées
par le lieutenant Hawkins (l'acteur Sam Claflin, ici véritablement
inquiétant) et son second, le sergent Ruse (sinistre Damon
Herriman). Jusqu'à cet acte... CES actes, abominables,
insupportables, mais que Jennifer Kent filme avec brutalité mais
sans voyeurisme, et qui déboucheront sur la traque de Clare à des
fins de vengeance au cœur d'une forêt tasmanienne, aidée par le
guide Billy guide interprété par le formidable Baykali Ganambarr,
acteur d'origine aborigène...
La
haine entre l'homme blanc et l'indigène est palpable. D'autant plus
que la réalisatrice ponctue son œuvre de séquences véritablement
marquantes lors desquelles sont exposés les ravages du colonialisme.
Humiliations, corps pendus à des arbres, femme violée, groupe
d'aborigènes exécutés sans autre forme de procès... Jennifer Kent
ne ménage absolument pas son public. Pour son plaisir mais aussi
pour éveiller chez lui, sans doute, une conscience. Voyage
initiatique aux confins d'un pays en guerre où les dommages
collatéraux se comptent aussi désormais du côté des colons
civils, on rêve de ce qu'aurait donné le récit conté par
l'immense réalisateur allemand Werner Herzog (Aguirre,
la colère de Dieu
ou Cobra Verde)
même si l'australienne filme ici l’œuvre parfaite. Ceux qui
veulent n'y voir qu'un énième Rape
and revenge
peuvent déjà s'octroyer les cent-trente cinq minutes qui viennent
à faire d'autres tâches que de suivre les aventures de Clare et de
Billy. Car The Nightingale,
c'est tout d'abord une initiation, oui. L'apprentissage d'une femme
(blanche et représentative du colonialisme aux yeux des indigènes)
et d'un homme auquel on a arraché la terre de ses ancêtres et
annihilé son peuple. Cru, mais également parfois d'une beauté
sidérante (les deux ou trois dernières séquences sont absolument
inoubliables), The Nightingale
est tout simplement emprunt d'(in)humanité. Bouleversant...
Une très belle photo, une très bonne interprétation du personnage aborigène, mais une violence frontale, parfois sidérante (le viol en ouverture, la mise à mort du soldat en plongée et contre-plongée) que j'ai eu du mal à voir autrement que comme une certaine forme de complaisance dans la violence.
RépondreSupprimerJe suis d'ailleurs très surpris que le film ne soit interdit qu'aux moins de 12 ans, sans même d'avertissement spécial. Une interdiction aux moins de 16 ans m'aurait semblé plus logique eu égard à la violence extrême déployée dans certaines scènes et l'ambiance poisseuse qui se dégage de l'oeuvre en générale.
Pour le reste, le film m'a semblé trop long, 45 minutes de moins, histoire de trancher dans certains tunnels de dialogues n'aurait pas été pour me déplaire afin d'apprivoiser sans doute mieux le film pour ce qu'il est, comme un récit d'émancipation (c'en est un à mes yeux) et un rape & revenge qui tourne pour l'essentiel dans une forme de discours féministe avec un affrontement aussi bien verbal que physique touchant souvent à l'intime.
C'est donc visuellement beau et chiadé pas poseur, c'était un risque et il est évité) mais je n'ai pas été saisi plus que cela par l'émotion alors que j'aurai pu être tétanisé devant l'expérience. Me reste quelques bribes d'émotion mais pas le souvenir indélébile d'un film marquant.