Quatre années après avoir signé le remarquable The Witch,
le réalisateur et scénariste américain Robert Eggers revenait en
2019 avec son second long-métrage The
Lighthouse.
Une œuvre différente, moins portée sur le fantastique et qui outre
plusieurs nominations remporta notamment la même année, le prix
FIPRESCI (prix
de la critique internationale) au festival de Cannes. N'abandonnant
pas pour autant son style visuel et narratif, Robert Eggers plonge
avec The Lighthouse ses
deux principaux interprètes (auxquels s'ajoute l'actrice Valeriia
Karaman) au cœur d'une œuvre troublante, fantomatique et
terriblement anxiogène filmée en noir et blanc et au format 4/3
dont l'usage remonte au tout début du vingtième siècle. Un choix
relativement étonnant mais encore utilisé avec parcimonie de nos
jours. Si ce choix peut sembler curieux, son utilisation s'avère en
revanche tout à fait appropriée puisque resserrant autour des deux
personnages, une intrigue déjà fortement emprunte d'anxiété.
Celle qui dans le cas présent concerne deux gardiens de phares qui
vont non seulement devoir se confronter à une tempête à venir mais
aussi et surtout à des secrets que chacun d'eux semble vouloir
préserver. Situant son action sur un îlot, loin des terres
habitées, The Lighthouse
saisit presque immédiatement par son ambiance. Le noir et blanc et
le format jouant un rôle prépondérant dans l'évolution du récit,
du caractère des personnages qu'interprètent admirablement Willem
Dafoe, fidèle collaborateur du réalisateur Abel Ferrara ainsi que
Robert Pattinson dont la carrière a véritablement explosée dès
l'année 2008 avec la franchise Twilight)...
Ici,
les deux acteurs s'affrontent lors d'un véritable duel de
caractères. Le premier figurant un ancien capitaine au long cours,
ayant tout vu, tout vécu, transformé en gardien de phare bourru
jusqu'à la moelle face à une nouvelle recrue ayant quitté son pays
d'origine, le Canada, où il exerça le métier de bûcheron avant
d'être transporté jusqu'à cette île afin de changer d'existence.
Robert Eggers imprime à son second long-métrage une atmosphère
sombre, étouffante et putride. Un caillou balayé par les vents,
humide, glissant, plongé le plus souvent dans une obscurité que
seule la lanterne du phare semble encore capable d'illuminer. Un
objet de convoitise pour le jeune Ephraim Winslow mais que compte
bien conserver comme privilège personnel, le bougon Thomas Wake.
Drame au cœur duquel les légendes maritimes (celle de la sirène,
notamment, qu'interprète donc Valeriia Karaman, ou les récits de
capitaine de navire que conte à la jeune recrue, le vieux Thomas
Wake) s’amoncellent en couches successives pour arriver à un point
de non retour où ces récits fantastiques (au sens propre comme au
figuré) prennent forme. L’œuvre n'est pas très éloignée de
l'univers d'un certain Howard Phillips Lovecraft, écrivain dont
l'approche romancée de l'indicible explose ici à diverses
occasions. Le film de Robert Eggers nous happe par son incroyable
ambiance faite d'images en noir et blanc sombres et mortifères. Une
carte postale de fin du monde à l'échelle d'un îlot où les
vagues, menaçantes, ne cessent de grandir jusqu'à nous donner
l'impression que celui-ci sera prochainement englouti sous des eaux
tempétueuses...
Légende
encore lorsqu'est évoqué le mythe selon lequel tuer une mouette
pourrait porter malheur. Un signe qui ne trompe pas et qui dans le
cas présent fait sans doute porter à Ephraim Winslow une part de
responsabilité dans les événements qui vont se produire. La notion
du temps perdant ici de sa valeur, nos deux gardiens vont souffrir de
manques importants. Isolement, solitude, appétit sexuel, remords, et
si l'on tient compte du réalisateur lui-même qui évoquait que
''Rien de bon ne
peut arriver quand deux hommes sont isolés dans un phallus géant'',
les rapports de maître à... ''esclave'' que porte en lui le
long-métrage ne peuvent engendrer que désordre moral et
désobéissance. Il serait facile d'encourager celles et ceux qui
n'ont toujours pas découvert ce joyau en exposant les nombreuses
fulgurances visuelles dont est doté The
Lighthouse.
Mais ce serait sans doute prendre le risque de faire perdre un peu
d'intérêt à une œuvre qui mérite que l'on en conserve tout ou
partie de ses secrets. Un long-métrage véritablement envoûtant,
porté par deux très grands interprètes. Un cauchemar sublimé par
la photographie de Jarin Blaschke et par l'exceptionnelle bande-son
de Mark Korven qui en outre collabora déjà avec Robert Eggers sur
son premier long-métrage. Après deux longs-métrages plus que
convaincants, nul doute que l'on attende son prochain film intitulé
The Northman
actuellement en post-production...
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