Il aura fallut huit ans
et une critique plutôt élogieuse dénichée sur Youtube
pour que je me décide à visionner enfin The Babadook,
premier long-métrage de la réalisatrice et scénariste australienne
Jennifer Kent, ''nouvelle'' venue dans le monde de l'épouvante et du
fantastique avec ce qui demeurera sans doute comme l'un des plus
brillants exercices de style en la matière à avoir vu le jour en
2014. Pourquoi tant d'années ? Parce qu''avec son titre et son
affiche, allez savoir pourquoi, je m'étais mis en tête que The
Babadook
ne devait être rien de plus qu'un ersatz de Candyman,
voire du personnage imaginaire Zé
do Caixão,
un individu parcourant une quinzaine de longs-métrages brésiliens
réalisés entre 1963 et 2008 par le réalisateur José Mojica Marins
et dont À minuit je posséderais ton âme
et Cette nuit je m'incarnerai dans ton cadavre
demeurent
très objectivement considérés comme cultes par les amateurs de
fantastique dans le monde entier. Sauf que The
Babadook n'a
lui, aucun rapport. Ou si peu. À dire vrai, tout ici découle de la
relation qu'entretiennent une mère et son fils ainsi que de la
découverte d'un ouvrage renfermant des contes fantastiques nommés
sous le titre de Mister
Babadook.
Réalisé par une femme, avec sans doute, sa propre sensibilité de
mère, ce premier long-métrage est une œuvre horrifique brillante
mêlant avec justesse le drame et l'épouvante. Le contexte est en
effet très particulier puisque Amelia (époustouflante Essie Davis)
élève seule son fils Samuel (excellent Noah Wiseman), âgé de sept
ans et né le jour où son père est mort (celui-ci perdit en effet
la vie en accompagnant son épouse à l’hôpital). D'où une
relation particulièrement délicate entre l'enfant et sa mère,
celle-ci n'ayant jamais vraiment fait preuve d'amour envers celui qui
causa indirectement la mort de celui qu'elle aimait...
The Babadook
joue d'ailleurs sur le double tableau de la relation entre la mère
et le fils (que l'on décriera instantanément d'un ''tantinet''
turbulent... pour rester poli !) et la présence d'une entité
hostile qui s'est invitée chez eux le jour où découvrant l'ouvrage
en question, Samuel demande à sa mère de lui en raconter une
histoire. Débute alors une œuvre profondément émouvante décrivant
l'incapacité d'une mère à gérer ses propres sentiments ainsi que
les crises intempestives de son fils qui peu à peu, les éloigne
tous les deux de toute vie sociale (leurs proches ne veulent plus les
côtoyer tandis que le jeune garçon est renvoyé de son école).
Vivant quasiment reclus à l'intérieur de leur maison, ils reçoivent
régulièrement les visites nocturnes d'une ''créature'' de nature
particulièrement belliqueuse qui, apparemment, désir jouer avec la
mère et son enfant. Plutôt que de jouer sur l'unique schéma de la
maison hantée ou de l'esprit de l'un de ses occupants possédé par
un démon, la réalisatrice australienne confond l'approche
fantastique avec l'élément psychologique et nous perd ainsi dans un
labyrinthe de questionnements. Un peu à la manière du Locataire
de Roman Polanski où l'enfermement était le signe d'une psychose
profonde de la part du petit émigré polonais interprété par le
réalisateur lui-même presque quarante-ans en arrière. Les limites
entre le réel et l'imaginaire sont ici parfois difficiles à cerner
et il faudra attendre bien plus tard pour que s'affiche à l'image
une séquence répondant à nos attentes.
Mais
d'ici là, Jennifer Kent signe une œuvre esthétiquement magistrale.
Entre l’expressionnisme allemand qui ne s'affiche pas qu'en fond
d'écran mais aussi devant les yeux ébahis de nos deux héros à
travers cet ouvrage que l'on considérera immédiatement de
maléfique. À ce titre, les quelques séquences ''animées'' en noir
et blanc s'avèrent remarquables et s'intègrent parfaitement à
l'intrigue. Les deux principaux interprètes sont plus que
convaincants mais n'effacent cependant pas quelques seconds rôles.
Comme la voisine atteinte de la maladie de Parkinson (l'actrice
Barbara West dont les débuts de carrière remontent tout de même à
1955 avec sa participation à la série télévisée Medic
diffusée à l'époque sur le groupe audiovisuel américain NBC).
En jouant sur les deux tableaux évoqués plus haut, la réalisatrice
opère en outre comme une sorte d'effet miroir horrifique dans lequel
la présence supposée du Babadook
sert de catalyseur aux angoisses de la mère et de son fils.
Véritable film de peur, s'il n'est pas assuré que l'on hurle devant
son poste de télévision, le film est cependant d'une qualité
visuelle mémorable. D'une noirceur presque insondable si l'on omet
le fait que Jennifer Kent ait tout de même choisi une fin plus ou
moins heureuse. Parmi les nominations et les récompenses que le film
obtint l'année de sa sortie, il remporta quatre prix au Festival
international du film fantastique de Gérardmer 2014 : celui du
jury, du jury jeune, du public ainsi que celui de la critique...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire