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jeudi 25 juin 2020

Seconds de John Frankenheimer (1966) - ★★★★★☆☆☆☆☆



Avant d'avoir mis la main sur le dernier numéro de Mad Movies en partie consacré à la paranoïa sur grand écran vous n'en aviez jamais entendu parler ? Vous aimeriez bien avoir le temps d'y consacrer une heure et quarante sept minutes mais n'avez que trois minutes à lui accorder ? Ça tombe bien. Pas la peine de vous asseoir confortablement dans un fauteuil, mais juste celui de lancer le film et de suivre le générique conçu par le graphiste américain Saul Bass (auteur du film de science-fiction culte Phase IV). Une fois les trois minutes écoulées et qui, ô miracle, correspondent très exactement à la durée du dit générique, vous pourrez arrêter le film car ce qui fait suite à ces trois minutes absolument démentes n'est que pure perte... Ou presque. Et dire que je me suis laissé embarquer par l'article d'Alexandre Poncet et que je n'ai plus eu alors qu'une idée en tête : me procurer Seconds de John Frankenheimer qui fut, paraît-il, incompris à l'époque de sa sortie. Avec cette infinie sobriété qui me caractérise, j'ai tout d'abord pensé : ''Encore des enc... de critiques qui n'ont rien compris à cet art souvent subjectif qu'est le septième art''... Après avoir tourné sept fois ma langue dans ma bouche juste après avoir pris soin de laver celle-ci avec du savon, j'ai compris sans mal d'où venait le problème : Seconds est chiant. Mais attention, ici pas de film léthargique qui laisse des traces. Non, le genre à vous emmerder au point de consulter votre montre (réveil, téléphone portable, horloge murale) toutes les quatre ou cinq minutes. C'était trop beau pour être vrai, le film n'étant dès lors plus en mesure de tenir ses promesses au delà des seules trois premières minutes...

Et pourtant, certains choix demeurent judicieux. Comme l'emploi d'une caméra subjective, des gros plans filmant le personnage principal de très près et légèrement en contre-plongée, des vues à hauteur... d'enfant et l'usage d'optiques anamorphiques carrément sidérants et faisant peser sur Seconds le poids d'une paranoïa sans cesse grandissante chez le personnage d'Arthur Hamilton interprété par l'acteur John Randolf. À dire vrai, on se demande pourquoi Saul Bass ne s'est pas lui-même chargé de réaliser le film dans son intégralité car John Frankenheimer, lui, a alourdi le fond et la forme. Ah ! J'oubliais de préciser que la musique est l’œuvre du légendaire compositeur Jerry Goldsmith qui crée une angoissante cathédrale sonore dont le passage par les Grandes Orgues donne à Seconds des airs de film d'épouvante dans ce que le genre représente le mieux. Peut-être les fans du polonais Roman Polanski trouveront-ils à redire sur cette approche parfois visuellement proche de son Répulsion sorti presque un an auparavant. Mais Polanski lui-même ne se servira-t-il pas en partie à son tour du long-métrage de l'américain pour son terrifiant The Tenant (Le Locataire) dix ans plus tard et sa Simone Choule suicidée la tête emmaillotée sous des bandages ? Un juste retour aux sources. Inspiré, mais aussi inspirant est Seconds qui rappellera que la méthode employée par le chef-opérateur Zbigniew Rybczynski sur le tournage du traumatisant Schizophrenia de Gerald Kargl était loin d'être tout à fait innovante puisque déjà dix-sept ans auparavant, James Wong Howe faisait de même en collant au plus près des personnages du long-métrage de John Frankenheimer...

À l'origine, le scénario de Lewis John Carlino est inspiré par le roman de l'écrivain américain David Ely. Naît alors un long-métrage au synopsis aguicheur dont on élargira le concept au delà du simple thriller parano qu'il semble être. Avec un peu d'imagination (et même parfois énormément), Seconds évoque une mise à jour de la notion du mort-vivant qui dans le cas présent n'est pas vraiment mort ni tout à fait vivant. Une vision cependant beaucoup plus intellectuelle que déliquescente de ce genre le plus souvent mortifère. Paranoïa encore lorsque le film évoque d'une certaine manière le classique de la science-fiction Invasion of the Body Snatchers signé dix ans plus tôt par Don Siegel et auquel on aura droit de lui préférer le remake de Philip Kaufman réalisé 12 ans plus tard (sans parler des versions d'Abel Ferrara en 1993 et d'Oliver Hirschbiegel en 2007). Rien de plus angoissant que de découvrir qu'autour du ''héros'' n'évoluent que des hommes et des femmes tout comme lui ''façonnés'' par la chirurgie esthétique, lavage de cerveau à l'appui. Le réalisateur se joue également de la contre-culture hippie avec ses ouailles fêtant la fin d'un cycle en se vautrant nus dans un fut rempli de raisin lors d'une séquence évoquant leur nature ouvertement sectaire (fête païenne, sexualité débridée, chants répétés à l'envi). Seconds possède donc quelques moments forts.

Comme cette incroyable séquence lors de laquelle le héros pas encore passé sous le bistouri du chirurgien traverse un couloir que n'aurait sans doute par renié le surréaliste Salvatore Dali pour aller violer une jeune femme allongée sur un lit. Perspective déformée comme dans un cauchemar pour un résultat pour le coup, carrément bluffant. Précision importante qui participe à l'originalité du film tout en plombant en grande partie l'intrigue, John Randolph est à l'issue d'une grosse demi-heure, remplacé par l'acteur Rock Hudson qui dans la peau d'un homme tout neuf dont l'ancienne existence vient d'être purement et simplement rayée de l'Histoire avec un grand H à coups de bistouris, campe un homme-enfant. Apeuré de tout, sensible au contact charnel, le spectateur est en droit de se poser des questions quant à son incarnation. Pas toujours très convaincant à l'image, il réagit souvent tel un pantin qui attend que son réalisateur lui donne des directives. En résulte un étrange sentiment. Ce qui n'est en fait que la partie congrue d'un film qui passe trop de temps à se mirer dans des séquences interminables et sans substance. La faute à des dialogues incapables de s'élever au niveau du scénario. Au final, Seconds s'avère être une très grande déception. À titre personnel, je me voyais déjà revivre la formidable expérience du Shock Corridor de Samuel Fuller. Mais avec John Frankenheimer, ce fut malheureusement ici la désillusion...

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