Avant d'avoir mis la main
sur le dernier numéro de Mad Movies
en partie consacré à la paranoïa sur grand écran vous n'en aviez
jamais entendu parler ? Vous aimeriez bien avoir le temps d'y
consacrer une heure et quarante sept minutes mais n'avez que trois
minutes à lui accorder ? Ça tombe bien. Pas la peine de vous
asseoir confortablement dans un fauteuil, mais juste celui de lancer
le film et de suivre le générique conçu par le graphiste américain
Saul Bass (auteur du film de science-fiction culte Phase
IV).
Une fois les trois minutes écoulées et qui, ô miracle,
correspondent très exactement à la durée du dit générique, vous
pourrez arrêter le film car ce qui fait suite à ces trois minutes
absolument démentes n'est que pure perte... Ou presque. Et dire que
je me suis laissé embarquer par l'article d'Alexandre Poncet et que
je n'ai plus eu alors qu'une idée en tête : me procurer
Seconds
de John Frankenheimer qui fut, paraît-il, incompris à l'époque de
sa sortie. Avec cette infinie sobriété qui me caractérise, j'ai
tout d'abord pensé : ''Encore
des enc... de critiques qui n'ont rien compris à cet art souvent
subjectif qu'est le septième art''...
Après avoir tourné sept fois ma langue dans ma bouche juste après
avoir pris soin de laver celle-ci avec du savon, j'ai compris sans
mal d'où venait le problème : Seconds est
chiant. Mais attention, ici pas de film léthargique qui laisse des
traces. Non, le genre à vous emmerder au point de consulter votre
montre (réveil, téléphone portable, horloge murale) toutes les
quatre ou cinq minutes. C'était trop beau pour être vrai, le film
n'étant dès lors plus en mesure de tenir ses promesses au delà des
seules trois premières minutes...
Et
pourtant, certains choix demeurent judicieux. Comme l'emploi d'une
caméra subjective, des gros plans filmant le personnage principal de
très près et légèrement en contre-plongée, des vues à
hauteur... d'enfant et l'usage d'optiques anamorphiques carrément
sidérants et faisant peser sur Seconds
le poids d'une paranoïa sans cesse grandissante chez le personnage
d'Arthur Hamilton interprété par l'acteur John Randolf. À dire
vrai, on se demande pourquoi Saul Bass ne s'est pas lui-même chargé
de réaliser le film dans son intégralité car John Frankenheimer,
lui, a alourdi le fond et la forme. Ah ! J'oubliais de préciser
que la musique est l’œuvre du légendaire compositeur Jerry
Goldsmith qui crée une angoissante cathédrale sonore dont le
passage par les Grandes Orgues donne à Seconds
des
airs de film d'épouvante dans ce que le genre représente le mieux.
Peut-être les fans du polonais Roman Polanski trouveront-ils à
redire sur cette approche parfois visuellement proche de son
Répulsion
sorti presque un an auparavant. Mais Polanski lui-même ne se
servira-t-il pas en partie à son tour du long-métrage de
l'américain pour son terrifiant The Tenant
(Le
Locataire)
dix ans plus tard et sa Simone Choule suicidée la tête emmaillotée
sous des bandages ? Un juste retour aux sources. Inspiré, mais
aussi inspirant est Seconds
qui rappellera que la méthode employée par le chef-opérateur
Zbigniew Rybczynski sur le tournage du traumatisant Schizophrenia
de Gerald Kargl était loin d'être tout à fait innovante puisque
déjà dix-sept ans auparavant, James Wong Howe faisait de même en
collant au plus près des personnages du long-métrage de John
Frankenheimer...
À
l'origine, le scénario de Lewis John Carlino est inspiré par le
roman de l'écrivain américain David Ely. Naît alors un
long-métrage au synopsis aguicheur dont on élargira le concept au
delà du simple thriller parano qu'il semble être. Avec un peu
d'imagination (et même parfois énormément), Seconds
évoque une mise à jour de la notion du mort-vivant qui dans le cas
présent n'est pas vraiment mort ni tout à fait vivant. Une vision
cependant beaucoup plus intellectuelle que déliquescente de ce genre
le plus souvent mortifère. Paranoïa encore lorsque le film évoque
d'une certaine manière le classique de la science-fiction Invasion
of the Body Snatchers
signé dix ans plus tôt par Don Siegel et auquel on aura droit de
lui préférer le remake de Philip Kaufman réalisé 12 ans plus tard
(sans parler des versions d'Abel Ferrara en 1993 et d'Oliver
Hirschbiegel en 2007). Rien de plus angoissant que de découvrir
qu'autour du ''héros'' n'évoluent que des hommes et des femmes tout
comme lui ''façonnés'' par la chirurgie esthétique, lavage de
cerveau à l'appui. Le réalisateur se joue également de la
contre-culture hippie avec ses ouailles fêtant la fin d'un cycle en
se vautrant nus dans un fut rempli de raisin lors d'une séquence
évoquant leur nature ouvertement sectaire (fête païenne, sexualité
débridée, chants répétés à l'envi). Seconds
possède
donc quelques moments forts.
Comme
cette incroyable séquence lors de laquelle le héros pas encore
passé sous le bistouri du chirurgien traverse un couloir que
n'aurait sans doute par renié le surréaliste Salvatore Dali pour
aller violer une jeune femme allongée sur un lit. Perspective
déformée comme dans un cauchemar pour un résultat pour le coup,
carrément bluffant. Précision importante qui participe à
l'originalité du film tout en plombant en grande partie l'intrigue,
John Randolph est à l'issue d'une grosse demi-heure, remplacé par
l'acteur Rock Hudson qui dans la peau d'un homme tout neuf dont
l'ancienne existence vient d'être purement et simplement rayée de
l'Histoire avec un grand H à coups de bistouris, campe un
homme-enfant. Apeuré de tout, sensible au contact charnel, le
spectateur est en droit de se poser des questions quant à son
incarnation. Pas toujours très convaincant à l'image, il réagit
souvent tel un pantin qui attend que son réalisateur lui donne des
directives. En résulte un étrange sentiment. Ce qui n'est en fait
que la partie congrue d'un film qui passe trop de temps à se mirer
dans des séquences interminables et sans substance. La faute à des
dialogues incapables de s'élever au niveau du scénario. Au final,
Seconds s'avère
être une très grande déception. À titre personnel, je me voyais
déjà revivre la formidable expérience du Shock
Corridor
de Samuel Fuller. Mais avec John Frankenheimer, ce fut
malheureusement ici la désillusion...
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