Entendre ou lire au beau
milieu de la nuit la mort de l'un des plus grands cinéastes
américains ayant jamais existé a ceci de très inconfortable que
d'apprendre cette triste nouvelle vous saisit à la gorge.
Impossible, pourtant, de verser la moindre larme tant l'annonce
semble nimbée d'autant d'étrangeté que pour son premier
chef-d’œuvre signé voilà presque un demi-siècle. Eraserhead,
ou ''Tête de
gomme''
pour les intimes. L'on apprend ainsi que celui dont nous attendions
le retour avec la ferveur de disciples trépidants d'impatience de
voir le retour de leur messie, celui de cet authentique génie du
septième art, est mort. Dont l'œuvre fut si remarquable que j'osais
finalement à peine me risquer à en faire la critique... Demeureront
alors de grands regrets. Comme celui de n'avoir découvert sur grand
écran que son formidable Blue Velvet.
Bien des années après être tombé tout à fait par hasard, et à
la télévision, sur son œuvre séminale. Comme beaucoup, sûrement,
je suis tombé sous le charme de cette séduisante bourgade de
Lumberton où la vedette de cinéma en devenir Kyle MacLachlan allait
sous les traits de Jeffrey Beaumont découvrir sur une pelouse, une
oreille humaine. Début d'un récit fascinant, mêlant l'image léchée
du Soap Opera
à des personnages tous plus tordus les uns que les autres ainsi qu'à
des visions cauchemardesques. Et puis, il y eut la rencontre du
cinéaste avec l'actrice Isabella Rosselini, à laquelle il offrit le
rôle de Dorothy Vallens en cette année 1985 (le film ne sortira
qu'en 1986 sur le territoire américain et l'année suivante en
France) et auprès de laquelle il vivra par la suite et ce, jusqu'en
1990. Donnant vie à des tableaux macabres habités par des
''freaks'',
on ne compte plus les chefs-d’œuvre de David Lynch. Elephant
Man
est pour une grand majorité du public, ou du moins pour les
spectateurs les moins en adéquation avec son travail postérieur,
son Grand Œuvre.
Et
même s'il n'en fut pas lui-même le maître d’œuvre absolu
puisque s'inspirant en partie par le livre du chirurgien britannique
Frederick Treves The
Elephant Man and Other Reminiscences et
par celui d'Ashley Montagu The
Elephant Man, a Study in Human Dignity,
difficile de ne pas tomber effectivement en pâmoison devant cette
touchante adaptation cinématographique de l'authentique histoire de
Joseph Carey Merrick qui durant la seconde moitié du dix-neuvième
siècle passa du statut de bête de foire sous le nom
d'Homme-Éléphant (pour cause de difformité physique due au
Syndrome de Protée) avant sa rencontre avec Frederick Treves qui
l'introduisit ensuite dans le cercle de la Haute Société
victorienne. Dans un superbe noir et blanc, Elephant
Man
n'allait donc pas prendre le même chemin que Eraserhead
tout en empruntant parfois quelques gimmicks propres à ceux
généralement employés par David Lynch. Le cas Dune
apparaît ensuite comme une anomalie dans la carrière du cinéaste.
Comme un énorme bubon qu'aujourd'hui certains tentent de résorber à
la suite du diptyque signé ces dernières années par le canadien
Denis Villeneuve que tous ne peuvent s'empêcher de comparer.
Pourtant, en toute vérité, la version de David Lynch reste sans
doute aujourd'hui son œuvre la moins méritante. Un film de
science-fiction, adaptation du Cycle
de Dune
du romancier américain Frank Herbert, dans laquelle, une fois
encore, David Lynch tente d'injecter sa propre vision du septième
art, avec ses zones d'ombre, son brouillard narratif, lequel n'avait
sans doute pas besoin d'être étayé dans ce cas très précis tant
l'ouvrage d'origine s'avérait déjà complexe à adapter sur grand
écran. Décalé, la comédie Sailor et Lula
ne nous préparait sans doute pas en 1990 à la vague déferlante qui
allait ensuite ravager tout ce que l'on pouvait imaginer du rêve
américain vu par le prisme d'un cinéaste visionnaire. Car dès
l'année suivante et à travers l'excellente série Twin
Peaks,
tout aussi étranges qu'ils seront, les longs-métrages de David
Lynch à venir formeront un tout parfaitement indissociable (en
dehors de The Straight Story
en 1999) permettant à ceux que Eraserhead
fascina
des décennies en arrière de replonger une ou plusieurs fois dans
l'univers torturé de l'artiste.
Du
prolongement de la série sur grand écran sous le titre Twin
Peaks: Fire Walk with Me
jusqu'au titanesque mais incompris Inland Empire,
en passant bien évidemment par Lost Highway
et Mulholland Drive,
David Lynch aura signé l'une des filmographies les plus
remarquables. Incommodante, tantôt effroyable, tantôt sublime et
donc indispensable, celui dont nous attendions le retour sur grand et
petit écran nous a donc quitté hier. Atteint d'emphysème aggravé
par les incendies de Los Angeles qui font actuellement les premières
pages des journaux américains, ce Grand, ce très Grand Monsieur du
cinéma va laisser un immense vide autour de lui. Ne nous restera
donc plus que les dizaines, les centaines de documents visuels et
sonores qu'il aura laissé derrière lui. De ses longs-métrages,
donc, mais aussi ses courts, souvent expérimentaux, et parmi
lesquels, à n'en point douter, The
Grandmother servit
sans doute de modèle à Guillermo del Toro pour son remarquable Le
Labyrinthe de Pan
en 2006. Sa discographie, dont je laisserai ceux qui la connaissent
mieux que moi en parler, de sa collaboration avec le compositeur
américain Angelo Badalamenti, mort lui aussi, il y a un peu plus de
deux ans. Avec lequel David Lynch entretint une relation
professionnelle longue d'un demi-siècle et de laquelle déboucha
notamment en 1990 le démentiel spectacle musical Industrial
Symphony No. 1: The Dream of the Broken Hearted,
porté par la voix sublime de la chanteuse Julee Cruise, aujourd'hui
également disparue... Le pire cauchemar qu'aura involontairement
créé David Lynch aura été de nous avoir quitté si subitement,
sans crier gare et sans nous ''avertir'' au préalable. S'il n'aimait
pas évoquer ses films et trouvait tout autant inutile que les autres
s'en chargent à sa place, il est certain que dans les jours à
venir, les discussions seront vives à leur sujet ainsi qu'au sien...
Adieu David, et surtout, merci pour tout ce que vous avez accompli.
David Lynch qui prend la tangente, sans doute pour rouler indéfiniment sur une de ces routes nocturnes qui sillonnent le cercle du temps, alors qu'Hollywood -et le monde- brûle.
RépondreSupprimerFire walks with him.