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vendredi 17 janvier 2025

David Lynch (1946-2025)

 


 

Entendre ou lire au beau milieu de la nuit la mort de l'un des plus grands cinéastes américains ayant jamais existé a ceci de très inconfortable que d'apprendre cette triste nouvelle vous saisit à la gorge. Impossible, pourtant, de verser la moindre larme tant l'annonce semble nimbée d'autant d'étrangeté que pour son premier chef-d’œuvre signé voilà presque un demi-siècle. Eraserhead, ou ''Tête de gomme'' pour les intimes. L'on apprend ainsi que celui dont nous attendions le retour avec la ferveur de disciples trépidants d'impatience de voir le retour de leur messie, celui de cet authentique génie du septième art, est mort. Dont l'œuvre fut si remarquable que j'osais finalement à peine me risquer à en faire la critique... Demeureront alors de grands regrets. Comme celui de n'avoir découvert sur grand écran que son formidable Blue Velvet. Bien des années après être tombé tout à fait par hasard, et à la télévision, sur son œuvre séminale. Comme beaucoup, sûrement, je suis tombé sous le charme de cette séduisante bourgade de Lumberton où la vedette de cinéma en devenir Kyle MacLachlan allait sous les traits de Jeffrey Beaumont découvrir sur une pelouse, une oreille humaine. Début d'un récit fascinant, mêlant l'image léchée du Soap Opera à des personnages tous plus tordus les uns que les autres ainsi qu'à des visions cauchemardesques. Et puis, il y eut la rencontre du cinéaste avec l'actrice Isabella Rosselini, à laquelle il offrit le rôle de Dorothy Vallens en cette année 1985 (le film ne sortira qu'en 1986 sur le territoire américain et l'année suivante en France) et auprès de laquelle il vivra par la suite et ce, jusqu'en 1990. Donnant vie à des tableaux macabres habités par des ''freaks'', on ne compte plus les chefs-d’œuvre de David Lynch. Elephant Man est pour une grand majorité du public, ou du moins pour les spectateurs les moins en adéquation avec son travail postérieur, son Grand Œuvre.


Et même s'il n'en fut pas lui-même le maître d’œuvre absolu puisque s'inspirant en partie par le livre du chirurgien britannique Frederick Treves The Elephant Man and Other Reminiscences et par celui d'Ashley Montagu The Elephant Man, a Study in Human Dignity, difficile de ne pas tomber effectivement en pâmoison devant cette touchante adaptation cinématographique de l'authentique histoire de Joseph Carey Merrick qui durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle passa du statut de bête de foire sous le nom d'Homme-Éléphant (pour cause de difformité physique due au Syndrome de Protée) avant sa rencontre avec Frederick Treves qui l'introduisit ensuite dans le cercle de la Haute Société victorienne. Dans un superbe noir et blanc, Elephant Man n'allait donc pas prendre le même chemin que Eraserhead tout en empruntant parfois quelques gimmicks propres à ceux généralement employés par David Lynch. Le cas Dune apparaît ensuite comme une anomalie dans la carrière du cinéaste. Comme un énorme bubon qu'aujourd'hui certains tentent de résorber à la suite du diptyque signé ces dernières années par le canadien Denis Villeneuve que tous ne peuvent s'empêcher de comparer. Pourtant, en toute vérité, la version de David Lynch reste sans doute aujourd'hui son œuvre la moins méritante. Un film de science-fiction, adaptation du Cycle de Dune du romancier américain Frank Herbert, dans laquelle, une fois encore, David Lynch tente d'injecter sa propre vision du septième art, avec ses zones d'ombre, son brouillard narratif, lequel n'avait sans doute pas besoin d'être étayé dans ce cas très précis tant l'ouvrage d'origine s'avérait déjà complexe à adapter sur grand écran. Décalé, la comédie Sailor et Lula ne nous préparait sans doute pas en 1990 à la vague déferlante qui allait ensuite ravager tout ce que l'on pouvait imaginer du rêve américain vu par le prisme d'un cinéaste visionnaire. Car dès l'année suivante et à travers l'excellente série Twin Peaks, tout aussi étranges qu'ils seront, les longs-métrages de David Lynch à venir formeront un tout parfaitement indissociable (en dehors de The Straight Story en 1999) permettant à ceux que Eraserhead fascina des décennies en arrière de replonger une ou plusieurs fois dans l'univers torturé de l'artiste.


Du prolongement de la série sur grand écran sous le titre Twin Peaks: Fire Walk with Me jusqu'au titanesque mais incompris Inland Empire, en passant bien évidemment par Lost Highway et Mulholland Drive, David Lynch aura signé l'une des filmographies les plus remarquables. Incommodante, tantôt effroyable, tantôt sublime et donc indispensable, celui dont nous attendions le retour sur grand et petit écran nous a donc quitté hier. Atteint d'emphysème aggravé par les incendies de Los Angeles qui font actuellement les premières pages des journaux américains, ce Grand, ce très Grand Monsieur du cinéma va laisser un immense vide autour de lui. Ne nous restera donc plus que les dizaines, les centaines de documents visuels et sonores qu'il aura laissé derrière lui. De ses longs-métrages, donc, mais aussi ses courts, souvent expérimentaux, et parmi lesquels, à n'en point douter, The Grandmother servit sans doute de modèle à Guillermo del Toro pour son remarquable Le Labyrinthe de Pan en 2006. Sa discographie, dont je laisserai ceux qui la connaissent mieux que moi en parler, de sa collaboration avec le compositeur américain Angelo Badalamenti, mort lui aussi, il y a un peu plus de deux ans. Avec lequel David Lynch entretint une relation professionnelle longue d'un demi-siècle et de laquelle déboucha notamment en 1990 le démentiel spectacle musical Industrial Symphony No. 1: The Dream of the Broken Hearted, porté par la voix sublime de la chanteuse Julee Cruise, aujourd'hui également disparue... Le pire cauchemar qu'aura involontairement créé David Lynch aura été de nous avoir quitté si subitement, sans crier gare et sans nous ''avertir'' au préalable. S'il n'aimait pas évoquer ses films et trouvait tout autant inutile que les autres s'en chargent à sa place, il est certain que dans les jours à venir, les discussions seront vives à leur sujet ainsi qu'au sien... Adieu David, et surtout, merci pour tout ce que vous avez accompli.

 

1 commentaire:

  1. David Lynch qui prend la tangente, sans doute pour rouler indéfiniment sur une de ces routes nocturnes qui sillonnent le cercle du temps, alors qu'Hollywood -et le monde- brûle.
    Fire walks with him.

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