Le retour de l'immense
David Cronenberg sur grand écran est forcément un événement de
taille pour tout cinéphile ou fan du réalisateur qui se respecte.
Surtout que sur le long format, l'auteur de La mouche,
Spider
et Faux-semblants
n'avait plus rien donné de sa personne depuis 2014 et la sortie sur
grand écran de Maps to the Stars.
LE spécialiste du Body
Horror
ne s'était d'ailleurs plus engagé dans cette veine horrifique
depuis plus de vingt ans et eXistenZ.
2022 signe donc le retour de l'un des cinéastes canadiens les plus
importants, toutes générations confondues. Et même, de très loin,
l'un des plus importants tout court. 2022 marque également le retour
à ce genre de prédilection qui vit naître les quelques
chefs-d’œuvre cités ci-dessus et auxquels on pourra ajouter au
hasard, Chromosome 3,
Crash
et bien évidemment Videodrome...
Reprenant étonnamment le titre de l'une de ses premières œuvres
tournée en 1970, Crimes of the Future
n'entretient cependant aucun rapport avec le film en question. Alors
que son fils Brandon semble avoir décidé de reprendre brillamment
la suite de son père en signant à sept ans d'intervalle les très
réussis Antiviral
en 2012 et Possessor
en 2019, on peut se demander dans quelles mesures David Cronenberg
n'aurait-il pas lui-même été influencé par les travaux de son
rejeton. On s'attendait à ce que Crimes of the
Future
soit le dernier long-métrage de son auteur mais apparemment,
celui-ci semble avoir finalement décidé de relancer sa carrière
puisque un certain The Shrouds
semble actuellement en pré-production. Mais d'ici là, voyons si le
nouveau pavé de David Cronenberg vaut que l'on dépense une poignée
d'euros pour aller le découvrir en salle...
En
abordant le thème de la performance façon Body-Art,
le nouveau long-métrage du canadien tend à s'y faire accoupler ce
concept artistique parfois extrême à celui du transhumanisme,
mouvement qui consiste en un dépassement de l'homme, le transformant
en un individu aux capacités nettement supérieures à celles du
commun des mortels. Une idée pas vraiment neuve puisque la seule
évocation du complot central de la série X-Files
et des super-humains qui étaient greffés au récit démontre à
elle seule que le thème fut déjà abordé des décennies en
arrière. On remontera même jusqu'aux ''origines'' du cinéma
fantastique puisque dès le début du vingtième siècle et
l'adaptation du roman Frankenstein ou le
Prométhée moderne
de Mary Shelley par J. Searle Dawley à travers le court-métrage
Frankenstein,
manipulations génétiques et transhumanisme furent déjà développés
(la créature du plus célèbre des scientifiques de fiction
n'est-elle pas censée être reconstituée à partir de membres en
parfait état la dotant d'une force peu commune ?). David Cronenberg
met en scène de manière très concrète le concept de beauté
intérieure tout en délaissant l'aspect extérieur de ses
personnages. L'épiderme n'est alors plus qu'usuel, une couche
protectrice renfermant des néo-organes (tumeurs) dont les
''propriétaires'' sont contraints de révéler l'existence afin
qu'ils soient inscrits dans un registre officiel. Au cœur du récit,
Saul Tenser (Viggo Mortensen en mode ''fantomatique''
en phase terminale d'un cancer), un performeur dont l'organisme est
détérioré par une série de tumeurs grosses comme des œufs de
poule qu'il cultive comme autant d'objets de fascination dont il
nourrit l'appétit insatiable d'un public avide de sensations fortes.
Alors que la concurrence se fait rude (un autre performeur au corps
parsemé d'implants d'oreilles attire une foule importante à chacune
de ses exhibitions), un homme propose à Saul de participer à un
concours de beauté intérieure. De ces actes où la souffrance
rejoint le plaisir, une organisation aimerait profiter de l'éclat
qui entoure les performances de Saul afin de mettre en avant
l'évolution prochaine de l'espèce humaine...
Chaque
plan, chaque séquence et chaque idée du scénario écrit par David
Cronenberg lui-même transpire l'hommage à sa propre création. À
cet univers qu'il a développé durant des décennies et qui
participe de sa légende. Les décors et leur exotisme renvoient au
Festin nu.
Les tumeurs qui poussent comme par la simple volonté du ''porteur''
rappellent celles de Chromosome 3.
Cette femeture-éclair abdominale dont est doté le personnage
incarné par Viggo Mortensen se rapproche du ventre béant de James
Wood dans Videodrome.
Quant aux instruments chirurgicaux et tout ce qui constitue
l'appareillage permettant à Saul d'extraire ses tumeurs lors de
spectacles organiques repoussants, il évoquent aussi bien ceux du
fabuleux Faux-semblants
dans lequel les frères Mantle (Jeremy Irons) créaient de toutes
pièces de nouveaux outils de chirurgie, que le Pod
de Existenz
auquel des amateurs de mondes virtuels y étaient reliés. On
pourrait ajouter ce que ressentent parfois ses personnages lors
d'opérations chirurgicales souvent très gratinées, lesquels sont
en extase, en transe, et jouissent comme les accidentés de Crash.
L'enfant qui ouvre le bal avant de réapparaître bien plus tard
semble quant à lui symboliser le Seth Brundle de La
mouche
avec lequel il partage cette manière si peu commune de liquéfier
les ''aliments'' avant de les absorber. Crimes of
the Future
dépeint une vision jusqu’au-boutiste où l'importance de ce que
l'on a à offrir au public revient à s'ouvrir littéralement aux
autres lors de spectacles underground mortifères. David Cronenberg
ne badine pas avec l'horreur et nous offre quelques séquences qui
chcoqueront surtout celles et ceux qui ne sont pas habitués à ce
genre de péripéties...
Le
principal soucis du dernier long-métrage de David Cronenberg, c'est
l'hermétisme avec lequel il traite son sujet. Viggo Mortensen a beau
être souvent impressionnant, le visage blafard comme celui d'un
malade en fin de vie, fantômatique, le visage et le corps planqués
sous une tenue et une capuche noire, Saul Tenser se révèle au final
très peu attachant. Comme n'importe quel interprète d'ailleurs,
qu'il soit incarné par Léa Seydoux, Scott Speedman, Kristen
Stewart, Don McKellar ou n'importe quel autre second rôle. Aussi
abjects que puissent paraître certains actes chirurgicaux, on reste
indifférent à ce qu'éprouvent les uns et les autres. Crimes
of the Future est
un Freak Show
sans âme qui ne se départit cependant pas d'une certaine ironie
comme en témoigne notamment la séquence lors de laquelle les
néo-tumeurs de Saul sont comparées à certains maîtres de la
peinture. Passage lors duquel l'un des personnages cherche le sens de
cet art avant-gardiste que Léa Sédoux/Caprice comparera plus tard à
du ''nouveau sexe'' (en opposition à Videodrome
dans lequel James Woods/Max Renn évoquait ainsi le concept de
l'intrigue : ''Longue
vie à la "nouvelle chair'').
Froid et loin, très loin d'atteindre le degré d'émotion des plus
grandes œuvres de David Lynch, Crime of the
Future est
néanmoins doté de grandes qualités. Nous y retrouvons notamment le
fidèle compositeur Howard Shore qui compose une partition musicale
véritablement glaçante. Quant aux décors de Carol Spier,k la
direction artistique de Dimitris Katsikis et la photographie de
Douglas Koch, ils demeurent tous exemplaires. Le dernier long-métrage
du réalisateur canadien s'avère donc au final relativement
décevant. Un film qui au fond ne vaut guère mieux que le Titane
de Julia Ducournau sorti un an plus tôt...
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