On a eu beau raconter des
tas de choses sur le dernier long-métrage du réalisateur italien
Pier Paolo Pasolini... Qu'il s'agissait d'une œuvre arty mêlant
horreur et scatologie, critique de l'Italie Fasciste et cri de
révolte, censure (italienne) jusqu'au bannissement, acceptable sur
le papier, mais répugnant à l'écran, extrême et angoissé,
historique et sociopolitique... mais qu'en demeure-t-il au fond, une
fois les critiques digérées et surtout, ses images consommées... ?
Une œuvre visionnaire, oui, sans aucun doute possible. Il suffit
pour cela de se rendre aujourd'hui sur la toile pour y assouvir le
fruit de n'importe quel fantasme, même le plus déviant, le plus
explicite et le plus repoussant. Et pourtant, Salo ou les 120
journées de Sodome fut,
lui, inspiré, adapté (il s'agit d'une adaptation libre des Cent Vingt Journées de Sodome du Marquis de Sade), imaginé sur pellicule alors même
qu'Internet n'existait pas encore. Il fallait donc trouver le moyen
d'assouvir, d'abord, sa curiosité sur grand écran... mais encore
fallait-il vivre dans un pays acceptant de passer dans les salles
obscure cet objet innommable. Infernal. Dégueulasse. Abject. Plus
proche des critères que connaissent ceux qui s'intéressent de près
au cinéma déviant et underground qui circule non plus sous le
manteau mais sur le ''Dark
Web'',
que du cinéma de papa ou familial qui repose uniquement sur le
divertissement rose-bonbon...
Afin
de bien comprendre l'objet du délit, il faut tout d'abord se
remettre dans le contexte. Mais ici, il ne s'agit pas de dresser une
quelconque analogie avec l'Italie Fasciste de Benito Mussolini, mais
plutôt de comparer les habitudes du spectateur lambda nourrit en
cette même année 1976 (nous prendrons comme exemple la sortie
française du long-métrage, le 19 mai) d'un nombre important de
films et qui aurait pu se satisfaire des quelques Douze
Travaux d'Astérix
ou L'Aile ou la Cuisse
hexagonaux et non pas du dernier chef-d’œuvre de Pier paolo
Pasolini. En matière ''d'horreurs'',
quelques cinéastes allaient cependant franchir un pas très
important dans la digression cette année là : on pense
notamment à Martin Scorsese et son pessimiste et cultissime Taxi
Driver,
à Ettore Scola et son remarquable et très réjouissant Affreux,
Sales et Méchants,
ou plus près de chez nous, au misogyne mais néanmoins fort
délectable Calmos
de Bertrand Blier... Rien de vraiment méchant ou de dangereux donc,
mais le genre de mises en bouche qui auraient pu ou dû préparer le
spectateur au choc, au tsunami, Salo ou les 120
journées de Sodome...
Plus
de quarante ans après, et malgré l'aura persistante que conserve le
film, il faut reconnaître que Salo ou les 120
journées de Sodome
a quelque peu perdu du charme de son abominable contenu. La faute,
sans doute, à une descendance plus ou moins reconnue et assumée comme telle,
ayant repoussé les limites contenues dans chacun des compartiments
que compte l’œuvre du cinéaste italien. Quatre ''cercles''
durant
lesquels divers représentants de la bourgeoisie s'adonnent dans ces
temps troublés, à des actes barbares sur de jeunes filles et
garçons rendus à l'état de viande, torturés psychologiquement,
physiquement, dans le seul but d'assouvir leur ''vénérables''
bourreaux dans un institut qui a tout l'air du respectable internat
mais qui demeurera leur geôle durant les cent-vingt prochains
jours... c'est toute l'inhumanité qui sommeille en chacun de nous
que révèle Pier paolo Pasolini à travers cette fresque décadente
qu'une certaine Rome Antique coïncidant avec la chute de l'empire
romain aurait pu lui jalouser. Libéré de toute contrainte morale,
l'homme dans ses plus hautes institutions s'y adonne aux plus viles
bassesses. Des milieux ruraux, il vient piocher dans le vivier de la
jeunesse italienne pour en faire les martyrs de ses fantasmes les
plus inavouables...
Supporter tant d'horreur sans
fermer les yeux, c'est forcément être du côté des salopards...
Alors
c'est vrai, Salo ou les 120 journées de Sodome
n'a
sans doute pas conservé toute sa puissance évocatrice. Sans doute
les dernières générations de spectateurs ne comprendront jamais
pour quelles raisons le public et les critiques d'alors s'emballèrent
à ce point... Pourtant, est-ce dû à l'effet boomerang ?
Toujours est-il que pour celui qui découvrit l’œuvre de Pier
Paolo Pasolini au milieu des années soixante-dix, ou pourquoi pas la
décennie suivante, il demeure des évocations qui résistent au
temps et à la surenchère actuelle. Comment, en effet, rester de
marbre devant le ''Cercle
de la Merde'',
dans lequel on punit et l'on nourrit ses enfants à l'aide de leurs
propres excréments ? Aujourd'hui encore, ces quelques séquences
finissent par donner la nausée au point que le spectateur finit par
avoir un sale goût dans la bouche. Mais plutôt que de s'arrêter
là, le cinéaste en rajoute encore une couche. Surtout lors du
dernier acte. Qui repousse encore plus loin le principe du voyeurisme
puisque c'est le spectateur lui-même qui finit par être le témoin
direct des atrocités perpétrées dans la cours extérieure au
bâtiment. Jusqu'ici, il pouvait encore se cacher derrière les
personnages, même les plus immondes d'entre eux. Mais lorsque Pier
Paolo Pasolini le contraint à assister à toute une série de
torture filmées à travers une paire de jumelles, c'est le
spectateur qui choisit lui-même (ou non) d'aller jusqu'au bout et
d'y assister.
A lui de faire le choix entre subir ou détourner le
regard... Le cinéaste jauge ainsi de manière plus consciente qu'il
n'y paraît l'appétence du spectateur pour les actes les plus
immoraux. Il semble vers lui, pointer un doigt accusateur et
sentencieux, proférant que s'il est capable de regarder en face
toutes ces horreurs, c'est qu'il est du côté des bourreaux. Si la
forme a pris quelques rides, le fond, lui, reste toujours aussi
choquant, l'esthétisation du propos n'y étant sans doute pas tout à
fait étrangère. Un classique indispensable qu'il faut, au pire,
n'avoir vu qu'une fois dans sa vie, ou au mieux, avoir eu le courage d'y replonger
bien des années après. Une œuvre dans laquelle brillent par leur
cruauté, les acteurs Paolo Bonacelli, Umberto Paolo Quintavalle,
Giorgio Cataldi, Aldo Valletti, Caterina Boratto, Elsa de Giorgi,
Hélène Surgère et par leur sacrifice, ces jeunes filles et ces
jeunes garçons qui ont donné de leur personne pour que prenne vie l’œuvre de Pier Paolo Pasolini...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire