Certains cinéastes
possèdent un univers bien à eux. En France également. Il suffit
d'évoquer Quentin Dupieux pour que les passions se déchaînent. Et
encore, lui, a la chance d'être majoritairement apprécié. Du moins
par la presse car le public se partage la part du lion entre
engouement et assassinat sur la place publique. Le cinéma de
Guillaume Nicloux contient également cette part d'incongruité qui
continue à indisposer une partie des spectateurs. Celui qui
n'échappe pas à cette règle en raison d'une filmographie que l'on
jugera en dents de scie, c'est Serge Bozon. Surtout depuis le mal
aimé Tip Top.
Une œuvre, avouons-le, dont le choix de la mise en scène est plutôt
curieux mais qui au final intrigue pour les bonnes raisons. Déjà,
le réalisateur y convoquait notre plus grande actrice féminine
Isabelle Huppert, laquelle accepte de remonter six ans plus tard dans
l'étrange manège d'un cinéaste qui ne souffre d'aucune forme de
concession. Ou bien si peu. Car la seule à laquelle il accorde une
exception est de reprendre à son compte le roman de Robert Louis
Stevenson L'Étrange
Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde
et d'en proposer la relecture la plus étonnante qui soit.
Lui
offrant une version toute féminine, c'est donc Isabelle Huppert qui
incarne le célèbre docteur. Mais ici, point de médecin. Pas d'alambiques, de tubes à essais ou de substances liquides, mais un
curieux laboratoire servant aux expériences d'une professeur de
biologie en mauvais termes avec ses élèves. L'actrice française
n'aura jamais paru aussi frêle. Isabelle Huppert n'aura jamais été aussi
évanescente sur grand écran. Blafarde, menue, et confronté à la
classe d'un lycée technique chargée en loups venus dévorer jour à
près jours la pauvre brebis égarée dans un monde où la violence
verbale cause autant de tort que la violence physique, généralement
beaucoup plus directe. Glissant peu à peu vers une pente dangereuse,
c'est pourtant un phénomène relevant du fantastique qui va
littéralement transformer Madame Géquil en madame Hyde le soir
venu. Et là encore, Serge Bozon propose une relecture du mythe assez
curieuse puisque le pendant sombre de son héroïne n'a aucun
penchant pour le vice. Tout juste ce personnage effacé devient-il
l'arme contre laquelle la jeunesse actuelle ne pourra pas grand
chose. Prenant peu à peu confiance, Madame Géquil prend sous sa
coupe le jeune Malik, handicapé depuis la naissance, rejeté par ses
camarades, qu'elle tentera de convaincre des bienfaits de
l'éducation...
Madame Hyde
est une œuvre étrange. Qui ne remportera pas l'adhésion générale
mais qui provoquera sans doute quelques remous. Bénéficiant de la
personnalité de son auteur et de quelques grands interprètes
français tels que José Garcia (dont le rôle duquel fut à
l'origine pressenti Gérard Depardieu) ou Romain Duris, le
long-métrage de Serge Bozon est une œuvre bicéphale entre réalisme
et fantastique.
Le
réalisme est évoqué à travers ces longues scènes d'enseignement
patiemment inculquées à des élèves d'abord réfractaires
montrant les difficiles conditions dans lesquelles sont désormais
contraints de travailler les enseignants. Le fantastique, lui,
intervient de manière ponctuelle, à travers quelques effets visuels
qui, s'il ne sont pas totalement bluffants, permettent une bonne
compréhension des événements. Le film est porté par
l'interprétation de son héroïne, ainsi que par le jeune Adda
Senani qui dans le rôle de Malik incarne à merveille c'est frange
de l'adolescence apparaissant au départ irrécupérable mais que la
passion d'une enseignante pour son métier parviendra à faire
pencher du bon côté de la balance. Si le film apparaît parfois
rigide, il recèle également quelques jolis moments tranchant
radicalement avec la torpeur dont semble parfois être la victime le
scénario. José Garcia, si peu sollicité soit-il, est un compagnon
touchant. Romain Duris, sous ses airs de proviseur 'perché'
reflète cette nouvelle forme de démagogie qui pourrit tout sur son
passage tout en demeurant juste à quelques occasions envers une
Madame Géquil ne renonçant jamais à ce pour quoi elle a choisit
d'enseigner. Mais ce qui marque avant tout, c'est la relation
élève-professeur que vont entretenir l'enseignante et Malik. Si le
contexte est parfois étrange, Serge Bozon dresse finalement le
bilan relativement classique des conditions pénibles dans lesquelles
sont contraints de travailler les enseignants. Mais avec cette forme
extraordinaire qui empêche toute appréciation subjective. Une très bonne
surprise...
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