Planté comme un furoncle
au beau milieu du paysage français en cette année 1986, entre le
Mocky de La Machine à Découdre,
le Veber des Fugitifs
(également interprété par Gérard Depardieu en compagnie de
l'irrésistible Pierre Richard), le Jean-Marie Poiré de Twist
Again à Moscou
ou le Bernard Nauer de l'assez vulgaire (et beaucoup moins bon que la
pièce de théâtre qui en est à l'origine) Nuit
d'Ivresse,
le dixième long-métrage du réalisateur, scénariste, écrivain
et fils de l'immense Bernard Blier, Bertrand de son prénom, devait
précéder une certaine rupture dans la continuité, sans doute
entamée deux ans auparavant avec Notre Histoire.
Dans une veine similaire aux quelques films cultes qui ont firent sa
renommée (et que je ne ferai l'affront à personne de citer),
Tenue de Soirée
est l'un des longs-métrages les plus acerbes, frondeurs, libres et
radicaux de leur auteur. Drôle, tendre, parfois très osé dans sa
forme et dans le fond, il ne s'agit assurément pas du dernier grand
film de Bertrand Blier, mais sans doute celui qui dans la course
effrénée à laquelle le réalisateur semble vouloir se raccrocher,
est de ceux qui demeurent indissociables de ses première et
brillantes tentatives dans le domaine de la comédie.
Si
évidemment les plus coutumiers du cinéaste reconnaîtront ici
l'immense valeur de son écriture, Bertrand Blier a aussi une nouvelle fois
su s'entourer des plus grands. Qu'ils agissent à l'écran en tant
que principaux interprètes, ou qu'ils ne nous honorent de leur
présence que pour un trop court instant (Jean-Pierre Marielle, Bruno
Cremer, Mylène Demongeot ou bien Jean-François Stévenin), chaque
apparition à l'écran est un moment de pure magie voluptueuse et
incisive que l'on ne retrouve que très rarement chez d'autres
cinéastes français. Du moins, rares sont ceux bénéficiant d'une
écriture aussi mordante et maîtrisée.
''Pauvre
type, espèce de con, t'es vraiment rien qu'une merde...''
Monique
(Miou-Miou) à Antoine (Michel Blanc)
...
Bertrand Blier a l'art et la manière de faire entrer ses personnages
en scène. Ici, une salle de bal où dansent quelques couples sur un
air d'accordéon et en arrière-plan, un autre, isolé, et au bord de
la rupture. Entre une Monique qui ne supporte plus ses conditions
d'existence et Antoine, son homme, qui dans l'esprit, rêve sans
doute encore pour longtemps de vivre d'amour et d'eau fraîche. Puis
débarque Bob. Premier contact, une gifle. Celle que se prend
Monique. Les choses sont d'ors et déjà mises en place. D'un côté
l'amoureux transit, de l'autre, la brute épaisse, ancien taulard,
cambrioleur à ses heures. Et puis Monique, la troisième roue. Celle
que veut à tout prix conserver auprès de lui Antoine mais dont Bob
aimerait bien se défaire...
Car
au delà des rapports complexes qui vont être bientôt mis en place
dans ce trio on ne peut plus discordant, Bertrand Blier réinvente
les codes du romantisme à sa sauce pour un résultat inédit et haut
en couleurs. Si de prime abord, les dialogues échouent entre les
lèvres des interprètes comme un assemblage (sophistiqué) de termes
propre aux charretiers, il n'en demeure pas moins qu'il se dégage
de Tenue de Soirée,
une très grande poésie. Des dialogues sur lesquels pose surtout son
incroyable timbre, un Gérard Depardieu au sommet de son art. Ses
deux complices et lui participent à un étrange numéro qui, même
s'il a un peu de mal à être aussi rondement mené que LE
chef-d’œuvre de Bertrand Blier, Buffet Froid,
demeure une expérience de cinéma rare, portée par un jeu d'acteur
sublime et des dialogues au diapason. Plus encore qu'une succession
de scènes à la cohérence qui pour un néophyte pourrait paraître
douteuse, le découpage et le scénario de Tenue
de Soirée
recèlent une richesse évocatrice incroyable. Car le réalisateur ne
se contente pas d'une simple accumulation de séquences portées
uniquement sur les bons mots de son propre cru. Non, Bertrand
Blier ose avec intelligence aborder des sujets de fond tels que la
prostitution, la solitude, le désespoir, mais aussi l'amour et
l'amitié. Tout ceci, bien entendu, sous un angle qui n'appartient
qu'à lui. Un grand ''Putain de film'' qui aura révélé au public,
un Michel Blanc formidable et surtout très largement éloigné des
rôles qu'il tenait jusqu'à maintenant...
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