Samedi 19 Septembre 2020,
Cinéma des Corbières à Sigean. Cinq spectateurs, pas un de plus
pour découvrir le dernier long-métrage de Gustave Kervern et Benoît
Delépine. Est-ce le mauvais temps qui a découragé les gens à
venir en masse ? Ou bien le port du masque obligatoire même si
dans un si petit cinéma, les gérants y sont plutôt cool ?
Peut-être est-ce plus simplement le manque de communication sur la
toile car peu d'informations, voire aucunes, n'a filtré sur sa
diffusion dans cette charmante petite ville qu'est Sigean. Il fallait
pour le savoir, être passé devant le cinéma ou avoir été mis au
courant par une personne au courant de l'événement. Effacer
l'Historique
est le neuvième long-métrage du duo formé par Gustave Kervern et
Benoît Delépine qui se sont d'abord fait connaître sur la chaîne
Canal+ avant
de débuter leur carrière cinématographique en 2004 avec leur
premier long-métrage Aaltra
(Benoît Delépine ayant en réalité fait ses premières armes aux
côtés de Christophe Smith huit ans auparavant avec le court-métrage
À
l'Arrachée).
Seize ans plus tard, rien n'a vraiment changé. Ou plutôt, si. Car
si le fond est toujours le même, la forme a pris une ampleur
incroyable dans la maîtrise de ces deux maîtres es
cynisme. Avec une rigueur ''militaire''
(une expression qui devrait forcément leur déplaire), Gustave
Kervern et Benoît Delépine démontent les maux de notre société
avec aujourd'hui en toile de fond, la technologie dans son ensemble,
et plus précisément certains outils comme les téléphones
portables et les réseaux sociaux. En matière de social, justement,
les deux hommes en profitent notamment pour s'attaquer également de
front à l'administration...
Toujours
aussi mordants et cyniques, Gustave Kervern et Benoît Delépine
plongent le spectateur dans un univers comparable à ceux proposés
par les cinq saisons de la série britannique Black
Mirror.
Mais plutôt que de projeter leurs personnages dans un futur proche,
les deux réalisateurs et scénaristes envisagent leur film sous un
paysage actuel dans lequel la technologie a pris une place si
importante qu'elle emprisonne ceux qui la consomment. C'est dans ce
contexte (sur)réaliste qu'interviennent les trois anciens gilets
jaunes Marie, Christine et Bertrand, trois amis respectivement
interprétés par Blanche Gardin, Corrine Masiero et Denis Podalydès.
Trois individus qui vont régler leurs comptes avec cette put.... de
technologie dont ils sont malgré eux devenus esclaves. En effet,
après une soirée trop arrosée dans un bar lors de laquelle elle a
couché avec un ''Saxetapeur''
(excellent Vincent Lacoste) qui a filmé leur rapport, elle est
menacé par le jeune homme de mettre en ligne la vidéo si elle
refuse de lui donner dix-milles euros. Bertrand, père d'une
adolescente harcelée et filmée par certains de ses camarades à
l'école fait tout ce qu'il peut pour faire retirer la vidéo de
facebook.
Mais après des dizaines de relances par courrier, il n'a toujours
obtenu aucune réponse. Quant à Christine, chauffeur VTC, elle se
désespère de ne recevoir de ses clients que des mauvaises
appréciations. En guerre contre ceux qui minent leur existence, les
trois amis se lancent à leur assaut...
Gustave Kervern et Benoît Delépine signent sans doute leur film le
plus abouti. Bien que la plupart des sujets abordés soient à
l'origine d'une comédie particulièrement amère, on s'étonne de
rire aux éclats à certains moments clés du long-métrage.
L'interprétation du trio de tête y est évidemment pour beaucoup
mais le script lui-même également. Totalement absurde mais
reflétant l'inquiétante dictature des réseaux sociaux et leur
monopole sur les données personnelles, en un peu plus de cent-cinq
minutes seulement Effacer l'Historique propose un
catalogue effarant de situations aussi glaçantes que réalistes même
si elles sont en général enrobées sous des dehors de comédie
bouffonne. Effacer l'Historique est non seulement
l'occasion de découvrir un trio d'interprètes étonnants mais
également des seconds rôles savoureux. Vincent Lacoste donc, mais
aussi Benoît Poelvoorde en livreur ''Alimazone'', Bouli
Lanners dans le rôle de ''Dieu'', un hacker vivant au sommet
d'une éolienne, Philippe Rebbot dans le rôle de l'individu ayant
toutes les clés pour profiter du système ou encore l'écrivain
Michel Houellebecq pour un passage en forme de clin d’œil dans
lequel il incarne un homme suicidaire. Humour noir, cynisme, bourré
d'idées géniales et de répliques déjà cultes, l’œuvre de
Gustave Kervern et Benoît Delépine n'oublie cependant pas de faire
passer un message d'espoir et s'autorise, après la dérision, le
désespoir et la noirceur, une jolie touche de poésie. LE
chef-d’œuvre du duo ? Et pourquoi pas, tiens...
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