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jeudi 11 avril 2019

Suspiria de Luca Guadagnino (2018) - ★★★★★★★★★☆



Soyons francs ! Le Suspiria de Dario Argento a très largement été surévalué... On est d'accord là-dessus, non ? Alors que l'on ne pourra sans doute jamais lui arracher son titre d'esthète de l'épouvante et du macabre, quels faits d'arme devrait retenir la postérité de sa filmographie longue d'une vingtaine de long-métrages ? Sa trilogie animale ? Sans doute, oui. Les étourdissants visuels de Inferno ? Sans conteste. Ou encore ce qui demeure sans qu'aucune objection ne soit admise comme son meilleur film, Profondo Rosso ? Oui, oui, oui, et encore oui... Mais après ? Rien d'autre à vrai dire. Ni la surenchère sanguinolente de Tenebrae ni surtout ce Suspiria datant de 1977, justement pris en sandwich entre ses deux meilleurs long-métrages cités un tout petit peu plus haut, et auquel le réalisateur et scénariste italien Luca Guadagnino a décidé d'apporter sa contribution en réalisant lui-même un remake de celui que beaucoup considèrent encore comme son meilleur film... mouais, nous n'avons sans doute pas vu le même alors car Suspiria version 1977 est grotesque. Mal réalisé, ridiculement interprété et assaillis par des couleurs criarde et une musique envahissante relativement pénibles. Qu'allait donc faire du scénario écrit à quatre mains par Dario Argento et Daria Nicolodi (adapté lui-même de l'oeuvre de l'écrivain britannique Thomas de Quincey, Suspiria de Profundis) le cinéaste italien ? Un copier-coller tout juste bon à faire peau neuve d'une histoire vieille d'un peu plus de quarante ans ou se la réapproprier totalement pour en donner une lecture inédite et contemporaine ?

Pour les détracteurs de l’œuvre originale qui comme moi n'ont jamais eu l'outrecuidance d'affirmer que le film de Dario Argento était un chef-d’œuvre incontestable mais qui ont celle d'avancer qu'au contraire, il n'en est rien, le Suspiria de Luca Guadagnino est un véritable miracle. Une relecture adéquate qui enfonce un peu plus encore l’œuvre originale dans la fange dont personne n'aurait jamais dû tenter de l'extraire. Alors qu'en 1977, on pouvait pouffer de rire devant les élucubrations du père d'Asia, l'actrice-réalisatrice de l'hyper surestimé The Heart Is Deceitful Above All Things (plus chiant et prétentieux que véritablement choquant), la version 2018 est nettement plus aboutie et surtout, largement plus angoissante...

Si le projet naît il y a plus de dix ans en arrière sous l'impulsion du cinéaste américain David Gordon Green qui désire lui-même réaliser un remake du classique de Dario Argento, c'est pourtant bien l'italien Luca Guadagnino qui signera sa mise en scène dix ans plus tard. Un projet ambitieux (le cinéaste prend le risque d'incommoder les fans de l’œuvre originale) qui se démarque très nettement de Suspiria version 1977 en étoffant le récit d'innombrables rajouts, la durée du métrage dépassant alors très largement les quatre-vingt dix huit minutes du film de Dario Argento. Esthétiquement, et ce même si l'on retrouve quelques éléments de style baroque, le directeur de la photographie thaïlandais Sayombhu Mukdeeprom opte pour une colorimétrie beaucoup plus nuancée, plongeant ainsi ses interprètes dans le Berlin de la fin des années soixante-dix. Une grisaille qui prédomine et fait écho aux événements dramatiques que relègue le média radiophonique de l'époque (ici, La célèbre Fraction Armée Rouge, ou RAF, une organisation terroriste allemande d'extrême gauche ayant sévit entre 1968 et 1998). Des événements qui viennent ponctuer chacun des six actes constituant un récit mêlant danse et sorcellerie, l'un ne prenant jamais véritablement le pas sur l'autre.

Morbide, sensuel, fiévreux, labyrinthique, cauchemardesque, poétique, festif, enivrant, hystérique et même à quelques entournures, assez gore, le Suspiria de Luca Guadagnino est un sabbat grandiloquent (oui, oui, un terme à prendre également au sens péjoratif) marqué par l'omniprésence de Thom Yorke à la bande-son et d'un sound-design parfois démentiel... Mais plus encore que les décors de Christin Busse et Merissa Lombardo, les costumes de Guilia Piersanti, ou les chorégraphies endiablées de Damien Jalet, c'est bien l'exceptionnel casting qui met un terme définitif au combat entre le Suspiria de Dario Argento et celui de Luca Guadagnino : ce dernier rend un hommage bouleversant à l'auteur de l’œuvre originale et à sa sublime interprète Jessica Harper en confiant à cette dernière le rôle de Anke Meier, l'épouse du Docteur Jozef Klemperer. Le cinéaste intègre également l'actrice néerlandaise Renée Soutendijk, ancienne (et glaçante) égérie de Paul Verhoeven ou encore l'allemande Ingrid Caven dont la présence à l'écran rappellera aux plus anciens, les grandes heures du giallo et notamment l'actrice Clara Calamai, l'effrayante Martha de Profondo Rosso. Et si Dakota Johnson demeure inoubliable dans la peau de Susie Bannion, c'est sans conteste l'actrice britannique Tilda Swinton qui envoûte littéralement l’œuvre de Luca Guadagnino dans un triple-rôle... A noter également la présence de notre Sylvie Testud dans le rôle de Miss Griffith. Un très grand film...

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