Soyons francs ! Le
Suspiria
de Dario Argento a très largement été surévalué... On est
d'accord là-dessus, non ? Alors que l'on ne pourra sans doute
jamais lui arracher son titre d'esthète de l'épouvante et du
macabre, quels faits d'arme devrait retenir la postérité de sa
filmographie longue d'une vingtaine de long-métrages ? Sa
trilogie animale ? Sans doute, oui. Les étourdissants visuels
de Inferno ?
Sans conteste. Ou encore ce qui demeure sans qu'aucune objection ne
soit admise comme son meilleur film, Profondo
Rosso ?
Oui, oui, oui, et encore oui... Mais après ? Rien d'autre à
vrai dire. Ni la surenchère sanguinolente de Tenebrae
ni surtout ce Suspiria datant
de 1977, justement pris en sandwich entre ses deux meilleurs
long-métrages cités un tout petit peu plus haut, et auquel le
réalisateur et scénariste italien Luca Guadagnino a décidé
d'apporter sa contribution en réalisant lui-même un remake de celui
que beaucoup considèrent encore comme son meilleur film... mouais,
nous n'avons sans doute pas vu le même alors car Suspiria
version
1977 est grotesque. Mal réalisé, ridiculement interprété et
assaillis par des couleurs criarde et une musique envahissante
relativement pénibles. Qu'allait donc faire du scénario écrit à
quatre mains par Dario Argento et Daria Nicolodi (adapté lui-même
de l'oeuvre de l'écrivain britannique Thomas de Quincey, Suspiria
de Profundis)
le cinéaste italien ? Un copier-coller tout juste bon à faire
peau neuve d'une histoire vieille d'un peu plus de quarante ans ou se
la réapproprier totalement pour en donner une lecture inédite et
contemporaine ?
Pour
les détracteurs de l’œuvre originale qui comme moi n'ont jamais
eu l'outrecuidance d'affirmer que le film de Dario Argento était un
chef-d’œuvre incontestable mais qui ont celle d'avancer qu'au
contraire, il n'en est rien, le Suspiria
de Luca Guadagnino est un véritable miracle. Une relecture adéquate
qui enfonce un peu plus encore l’œuvre originale dans la fange
dont personne n'aurait jamais dû tenter de l'extraire. Alors qu'en
1977, on pouvait pouffer de rire devant les élucubrations du père
d'Asia, l'actrice-réalisatrice de l'hyper surestimé The Heart Is
Deceitful Above All Things
(plus chiant et prétentieux que véritablement choquant), la version
2018 est nettement plus aboutie et surtout, largement plus
angoissante...
Si
le projet naît il y a plus de dix ans en arrière sous l'impulsion
du cinéaste américain David Gordon Green qui désire lui-même
réaliser un remake du classique de Dario Argento, c'est pourtant
bien l'italien Luca Guadagnino qui signera sa mise en scène dix ans
plus tard. Un projet ambitieux (le cinéaste prend le risque
d'incommoder les fans de l’œuvre originale) qui se démarque très
nettement de Suspiria
version 1977 en étoffant le récit d'innombrables rajouts, la durée
du métrage dépassant alors très largement les quatre-vingt dix
huit minutes du film de Dario Argento. Esthétiquement, et ce même
si l'on retrouve quelques éléments de style baroque, le directeur
de la photographie thaïlandais Sayombhu Mukdeeprom opte pour une
colorimétrie beaucoup plus nuancée, plongeant ainsi ses interprètes
dans le Berlin de la fin des années soixante-dix. Une grisaille qui
prédomine et fait écho aux événements dramatiques que relègue le
média radiophonique de l'époque (ici, La célèbre Fraction
Armée Rouge, ou RAF, une organisation terroriste allemande
d'extrême gauche ayant sévit entre 1968 et 1998). Des événements
qui viennent ponctuer chacun des six actes constituant un récit
mêlant danse et sorcellerie, l'un ne prenant jamais véritablement
le pas sur l'autre.
Morbide,
sensuel, fiévreux, labyrinthique, cauchemardesque, poétique,
festif, enivrant, hystérique et même à quelques entournures, assez
gore, le Suspiria
de Luca Guadagnino est un sabbat grandiloquent (oui, oui, un terme à
prendre également au sens péjoratif) marqué par l'omniprésence de
Thom Yorke à la bande-son et d'un sound-design parfois démentiel...
Mais plus encore que les décors de Christin Busse et Merissa
Lombardo, les costumes de Guilia Piersanti, ou les chorégraphies
endiablées de Damien Jalet, c'est bien l'exceptionnel casting qui
met un terme définitif au combat entre le Suspiria
de
Dario Argento et celui de Luca Guadagnino : ce dernier rend un
hommage bouleversant à l'auteur de l’œuvre originale
et
à sa sublime interprète Jessica Harper en confiant à cette dernière le rôle de
Anke
Meier, l'épouse du Docteur Jozef Klemperer. Le cinéaste intègre
également l'actrice néerlandaise Renée Soutendijk, ancienne (et
glaçante) égérie de Paul Verhoeven ou encore l'allemande Ingrid
Caven dont la présence à l'écran rappellera aux plus anciens, les
grandes heures du giallo et notamment l'actrice Clara Calamai,
l'effrayante Martha de Profondo
Rosso.
Et si Dakota Johnson demeure inoubliable dans la peau de Susie
Bannion, c'est sans conteste l'actrice britannique Tilda Swinton qui
envoûte littéralement l’œuvre de Luca Guadagnino dans un
triple-rôle... A noter également la présence de notre Sylvie Testud dans le rôle de Miss Griffith. Un très grand film...
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire