Curieux long-métrage que
ces Abysses
réalisé en 1963 par le cinéaste grec Nikos Papatakis dont on peut
rapprocher cette première œuvre particulièrement étouffante du
chef-d’œuvre que son homologue Nikos Nikolaïdis réalisa
vingt-sept ans plus tard, Singapore Sling.
Pourtant, à priori, rien de commun entre cette histoire prenant très
objectivement pour cadre le fait-divers entourant l'affaire Papin et
le piège tendu par une mère et sa fille auprès d'un homme parti à
la recherche de la femme qu'il aime. Pourtant, il y a dans l'une
comme dans l'autre, une approche esthétique et scénaristique
commune. Une atmosphère également. Déliquescente, nauséeuse,
et morbide. Le film de Nikos Papatakis revient donc sur les
événements tragiques survenus le 2 février 1933. Le double meurtre
d'une mère et de sa fille (Léonie Lancelin et sa fille Geneviève )
par leurs employées de maison, Christine et Léa Papin. Ici, le
cinéaste grec modifie quelque peu le contexte en commençant par
changer le nom des bourreaux et de leurs victimes. Il prénomme ses
deux sœurs assassines Michelle et Marie-Louise tandis que leurs
patrons se nomment Monsieur, Madame et Elisabeth Lapeyre.
Tandis
que les sœurs Papin étaient richement payées (au point d'avoir
économisé environ 22000 francs, ce qui à l'époque était une
somme importante), le salaire de Michelle et Marie-Louise n'a pas été
versé depuis trois ans. « abandonnées »
à leur triste sort alors que les propriétaires sont partis en
vacances, elles ont eu tout le temps de mûrir leur haine envers ces
derniers. Le spectateur pénètre dans un univers sordide
majoritairement filmé dans l'une des rares pièces où les deux
employées ont encore le droit d'apparaître. Une cuisine délabrée
dans laquelle, telles deux comédiennes de théâtre, elles revendiquent
inlassablement leur rancœur. Telles deux bêtes rendues à la vie
sauvage, elles vont perdre la tête, dévaster les lieux, et au
retour des propriétaires, mener à ces derniers, la vie dure...
jusqu'au drame qui unira à jamais ces deux sœurs dans l'horreur...
Dans
un noir et blanc sublimant l'aspect crasseux des décors, Les
Abysses
est un long-métrage inconfortable. Non pas uniquement en raison du
sujet abordé, mais pour la manière qu'à choisi le cinéaste grec de
diriger ses interprètes, et notamment ses deux principales actrices
Francine et Colette Bergé qui dans la vie étaient de véritables
sœurs (la première ayant effectué une carrière cinématographique
beaucoup plus importante que la seconde). Proche également du
Répulsion du
franco-polonais Roman Polanski, Les Abysses est
très curieusement interprété. Plus que n'importe quel autre
intervenant, les personnages incarnés par Francine et Colette Bergé
hurlent leur désespoir à la manière de comédiennes de théâtre
ce qui peu engendrer un certain agacement de la part des spectateurs. Ce que l'on ne pourra en revanche par reprocher aux deux
sœurs, c'est leur implication physique : Francine et Colette
Bergé se donnent effectivement à fond dans leur rôle, avilissant
physiquement et intellectuellement leur personnage respectif. Face à
elles, Pascale de Boysson, Colette Regis, et dans une moindre mesure,
Paul Bonifas, conspués, humiliés, maltraités par deux sœurs qui
semblent avoir définitivement perdu toute raison. Elles soliloquent
(les personnages interprétés par Francine et Colette Bergé
semblent parfois ne s'adresser qu'à elles-mêmes), échangent des
propos souvent incohérents, miment un quotidien qu'elles jugent
injuste, et se vautrent dans la fange. Quant aux propriétaires, ils
subissent un traitement insupportable. Car même si est évoqué le
fait qu'ils n'ont pas payé leurs deux employées depuis des années
puisque ruinés, et que l'arrivée d'hypothétiques acquéreurs de la
demeure en fin de métrage laisse s'exprimer leur vrai visage de
nantis méprisants envers leurs employées, il est parfois
indéniablement cruel de les voir perpétuellement assaillis par les
deux sœurs.
En
n'offrant aucun moment de répit, Les Abysses
devient
littéralement oppressant. Au vu de son âge (presque une soixantaine
d'années), l’œuvre de Nikos Papatakis peut-être considérée
d'avant-garde dans sa manière d'aborder la tragédie. En tout cas,
une œuvre qui ne peut laisser personne indifférent. Que l'on
rejette en bloc le procédé ou qu'il fascine...
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