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jeudi 11 avril 2019

Les Abysses de Nikos Papatakis (1963) - ★★★★★★★☆☆☆



Curieux long-métrage que ces Abysses réalisé en 1963 par le cinéaste grec Nikos Papatakis dont on peut rapprocher cette première œuvre particulièrement étouffante du chef-d’œuvre que son homologue Nikos Nikolaïdis réalisa vingt-sept ans plus tard, Singapore Sling. Pourtant, à priori, rien de commun entre cette histoire prenant très objectivement pour cadre le fait-divers entourant l'affaire Papin et le piège tendu par une mère et sa fille auprès d'un homme parti à la recherche de la femme qu'il aime. Pourtant, il y a dans l'une comme dans l'autre, une approche esthétique et scénaristique commune. Une atmosphère également. Déliquescente, nauséeuse, et morbide. Le film de Nikos Papatakis revient donc sur les événements tragiques survenus le 2 février 1933. Le double meurtre d'une mère et de sa fille (Léonie Lancelin et sa fille Geneviève ) par leurs employées de maison, Christine et Léa Papin. Ici, le cinéaste grec modifie quelque peu le contexte en commençant par changer le nom des bourreaux et de leurs victimes. Il prénomme ses deux sœurs assassines Michelle et Marie-Louise tandis que leurs patrons se nomment Monsieur, Madame et Elisabeth Lapeyre.

Tandis que les sœurs Papin étaient richement payées (au point d'avoir économisé environ 22000 francs, ce qui à l'époque était une somme importante), le salaire de Michelle et Marie-Louise n'a pas été versé depuis trois ans. « abandonnées » à leur triste sort alors que les propriétaires sont partis en vacances, elles ont eu tout le temps de mûrir leur haine envers ces derniers. Le spectateur pénètre dans un univers sordide majoritairement filmé dans l'une des rares pièces où les deux employées ont encore le droit d'apparaître. Une cuisine délabrée dans laquelle, telles deux comédiennes de théâtre, elles revendiquent inlassablement leur rancœur. Telles deux bêtes rendues à la vie sauvage, elles vont perdre la tête, dévaster les lieux, et au retour des propriétaires, mener à ces derniers, la vie dure... jusqu'au drame qui unira à jamais ces deux sœurs dans l'horreur...

Dans un noir et blanc sublimant l'aspect crasseux des décors, Les Abysses est un long-métrage inconfortable. Non pas uniquement en raison du sujet abordé, mais pour la manière qu'à choisi le cinéaste grec de diriger ses interprètes, et notamment ses deux principales actrices Francine et Colette Bergé qui dans la vie étaient de véritables sœurs (la première ayant effectué une carrière cinématographique beaucoup plus importante que la seconde). Proche également du Répulsion du franco-polonais Roman Polanski, Les Abysses est très curieusement interprété. Plus que n'importe quel autre intervenant, les personnages incarnés par Francine et Colette Bergé hurlent leur désespoir à la manière de comédiennes de théâtre ce qui peu engendrer un certain agacement de la part des spectateurs. Ce que l'on ne pourra en revanche par reprocher aux deux sœurs, c'est leur implication physique : Francine et Colette Bergé se donnent effectivement à fond dans leur rôle, avilissant physiquement et intellectuellement leur personnage respectif. Face à elles, Pascale de Boysson, Colette Regis, et dans une moindre mesure, Paul Bonifas, conspués, humiliés, maltraités par deux sœurs qui semblent avoir définitivement perdu toute raison. Elles soliloquent (les personnages interprétés par Francine et Colette Bergé semblent parfois ne s'adresser qu'à elles-mêmes), échangent des propos souvent incohérents, miment un quotidien qu'elles jugent injuste, et se vautrent dans la fange. Quant aux propriétaires, ils subissent un traitement insupportable. Car même si est évoqué le fait qu'ils n'ont pas payé leurs deux employées depuis des années puisque ruinés, et que l'arrivée d'hypothétiques acquéreurs de la demeure en fin de métrage laisse s'exprimer leur vrai visage de nantis méprisants envers leurs employées, il est parfois indéniablement cruel de les voir perpétuellement assaillis par les deux sœurs.

En n'offrant aucun moment de répit, Les Abysses devient littéralement oppressant. Au vu de son âge (presque une soixantaine d'années), l’œuvre de Nikos Papatakis peut-être considérée d'avant-garde dans sa manière d'aborder la tragédie. En tout cas, une œuvre qui ne peut laisser personne indifférent. Que l'on rejette en bloc le procédé ou qu'il fascine...

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