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dimanche 4 mars 2012

Singapore Sling de Nikkos Nikolaidis (1990)

 
Lorsque l'on murit et que nos gouts changent, on se rend compte que certains souvenirs cinématographiques que l'on croyait impérissables finissent dans l'oubli. Combien parviennent-ils vraiment à demeurer ancrés dans notre esprit bien des années après que nous les ayons découverts? Si les gouts et les couleurs ne se mélangent pas, il existe parfois au cinéma des impressions qui se dégagent et qui nous unissent tous dans un même sentiment de joie, de peine, de souffrance, de dégout, de peur ou de bien-être. Et même s'il se révèle à des degrés différents, on ne peut jamais nier l'efficacité de certaines mises en scènes, à moins d'être totalement hermétique au septième art..

"Singapore Sling" fait partie de ces œuvres qui ne peuvent laisser insensibles. On peut l'aimer, l'adorer, l'idolâtrer. Comme l'on peut tout aussi bien le détester, nier le concept ou même fuir du regard certaines scènes. Pourtant le cinéma d'aujourd'hui devrait habituer les plus fragiles d'entre nous puisque plus aucune retenue n'est de mise et que l'on montre autant de sang qu'il y a de sexe au cinéma. Toutes notions mises à part et chaque scène décortiquée et mise à l'écart des autres, le film peut paraître d'un faible intérêt mais c'est bien l'imprégnation qui commence dès les premiers plans et qui ne se termine qu'à la toute fin du film qui opère sur la conscience du spectateur.

Déjà, en lieu et place de l'Homme, deux femmes, une mère et sa fille, creusent un trou dans le sol gorgé d'eau de leur jardin. Quelle espèce de mise en scène a-t-elle pu pousser ces deux là à finir la soirée agenouillées dans la gadoue et sous une pluie battante? Peut-être un jeu qui aurait mal tourné et dont le principal acteur, pas encore mort mais toutes tripes dehors, attend que ces dames daignent le pousser jusque dans le trou. Les deux femmes se désaltèrent lorsque Singapore Sling s'évanouit au volant de sa voiture garée non loin de là. Lancé à la recherche de celle qu'il aime, il est cependant persuadé qu'elle est morte.
Lorsque la mère aidée de sa fille tente de jeter le corps de l'homme dans le trou qu'elles viennent de creuser, ce dernier tente d''un dernier geste de sauver sa peau. Il finit assommé à coups de pelle et termine son existence allongé dans sa tombe.
La fille retourne dans la demeure familiale et se lance dans une curieuse litanie, révélant ainsi la perversité dont elle et sa mère font preuve depuis un certain temps. Assumant son rôle de meurtrière, elle avoue être, en compagnie de sa mère, responsable de l'assassinat de Laura, la femme que recherche Singapore. Cette dernière ayant choisit d'échapper à son existence s'est retrouvée entre les serres d'un duo de femmes perverses dont l'imagination débordante n'a d'égal que la violence des jeux auxquels elles se livrent.
Lorsque celles-ci pleurent la mort de l'homme qu'elles viennent de tuer et d'enterrer, on sonne à la porte. La conversation entre les deux femmes s'interrompt et la fille, armée d'un pistolet, s'approche, ouvre, et tombe nez à nez avec Singapore qui finit assommé d'un coup de crosse.


Filmé dans un noir et blanc somptueux, "Singapore Sling" est un film à part dans le paysage cinématographique. D'abord parce qu'il n'est pas courant de se retrouver face à une œuvre nous venant de Grèce. Ensuite parce qu'elle est régulièrement traversée de séquences d'une fulgurante beauté. Une œuvre poétique pervertie par de nombreuses outrances. Catalogue subversif des déviances engendrées par l'esprit tourmenté et l'ambiguïté des rapports entre une mère et sa fille, le premier mot qui vient à l'esprit est "scabreux".

Nécrophilie, scatologie, sadomasochisme sont dilués dans leur accumulation et leur impact s'efface à mesure qu'ils nous sont assénés. On espère donc que la poésie prendra une place assez importante pour nous faire oublier les monstruosités qui nous sont imposées. Et c'est effectivement le cas puisque ce débit volontiers horrifique qui dépasse de loin des œuvres telles que "La Grande Bouffe" de Marco Ferreri et "Sweet Movie" de Dusan Makavejev finit par se tarir après le premier tiers du film pour laisser enfin s'exprimer les personnages.

Meredyth Herold et Michèle Valley sont les deux interprètes féminines du film et campent respectivement les rôles de fille et de mère. Ensemble, leurs deux troublants personnages vivent dans une demeure fouettée par le vent et la pluie, jouant ensemble à d'inquiétants et très violents jeux teintés d'érotisme. Elles mettent en scène les forfaits dont elles se sont rendues coupables (le meurtre de Laura trois années plus tôt) avant que ne surgisse et ne vienne troubler leur ambiguë relation, Singapore, qui va très vite se retrouver désarçonné par le comportement étrange du duo féminin. Panos Thanassoulis est cet homme à la recherche d'une illusion qui va se retrouver dans un monde qui lui est étranger. Un univers concret, sinistre, puis douloureux et fantasmatique. Les rapports qu'il entretiennent tous les trois sont tendus et morbides. Si la complicité féminine est ici représentée de manière évidente, les premiers agissements de Singapore ne font que confirmer notre impression: résister ne fera qu'accentuer la blessure et le maintien de ses liens. C'est pourquoi il choisit de feindre la soumission, et même intellectuellement désarçonné, il tentera dans le flou le plus total de convenir à ses prédatrices afin de mieux leur échapper. Silencieux jusqu'à la mort, il n'ose entrouvrir les lèvres qu'au moment où son esprit s'ouvre enfin à nouveau. Pourtant, pas un son, pas un souffle d'air ne s'en échappe. Juste une voix-off dont l'extinction est programmée mais à laquelle fut déjà offert au début du film le privilège d'asséner d'intelligentes répliques.


On peut se demander à quoi est dû cet acharnement envers le sexe fort (le mort du début et les souffrances subies par Singapore) et pourquoi cette jeune femme ne parvient-elle toujours pas à quitter le monde de l'enfance pour entrer dans celui des adultes. Sans doute à cause du père qui la viola alors qu'elle n'était qu'une enfant. Probablement que le temps s'est figé à une date indéterminée, le jour peut-être où mère et fille se sont chargées de faire payer au père le prix fort pour les outrages subit. Un père dont le souvenir se reflète dans le visage des hommes de passage qui ont le malheur de se présenter à leur porte. Le père disparu, c'est la mère qui élève seule sa fille. Tenant alors les deux rôles, elle ne mesure plus le degré de sévérité dont elle fait preuve et devient dure et dominatrice. Singapore n'a pas d'autre alternative que d'accepter son sort, espérant ainsi y trouver son salut. Et pourquoi pas même en la personne de la fille dont le comportement laisse parfois penser qu'elle pourrait être de son côté. Les enjeux personnels de chacun les obligent à jouer de manière pondérée, calculée et insoupçonnée, et ce dans leur unique intérêt. C'est finalement Singapore qui gagnera... le droit de creuser sa propre tombe. Une semi-victoire qui le plongera dans les ténèbres éternelles mais qui indéniablement lui permettra d'échapper à ses bourreaux.  

La bande-son apporte beaucoup à l'harmonie de certaines scènes qui sans elle sans doute manqueraient d'une certaine émotion. "Singapore Sling"ne plaira pas à tout le monde. Certains y verront un petit film camouflant ses faiblesses derrière une accumulation de plans et d'idées sordides mais en réalité il s'agit ici d'un grand film. De ceux qui marquent par leur originalité et leur poésie. Qui font mal et réjouissent par leur absence de pudeur. Qui parlent aux vrais amoureux du septième art, de ceux qui ne rechignent pas devant la réflexion sans y omettre de se divertir. 

 

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