Chaque année apporte son
lot de bons et même, d'excellents films. Mais pour pouvoir assister
à la projection d'œuvres telles que Pauvres Créatures,
il faut parfois se montrer patient et attendre une décennie toute
entière. Après avoir été profondément interloqué par la
bande-annonce non pas pour l'intérêt que pouvaient engendrer les
quelques images mises à disposition avant la sortie du film sur
grand écran mais pour le désintérêt qu'elles me procurèrent, il
fallait au moins que le nom du réalisateur grec Yórgos Lánthimos
s'affiche à l'écran pour voir naître en moi une certaine
curiosité. Le sien mais aussi celui de l'acteur américain Willem
Dafoe dont la carrière a pris un essor fulgurant depuis le début
des années 2000. Yórgos Lánthimos est l'homme que certains tentent
d'abattre chaque fois que sort l'un de ses nouveaux délires en salle
obscure. Mais ces réducteurs de têtes qui depuis son Canine
de 2009 cherchent par tous les moyens à le prendre dans leurs filets
auront bien du mal en cette année 2024 à faire du réalisateur et
dramaturge leur nouveau trophée de chasse ! Plus de deux-cent
ans après sa toute première publication sur le territoire
britannique, le roman de Mary Shelley Frankenstein
ou le Prométhée moderne continue
à faire des émules. Avec son dernier long-métrage Yórgos
Lánthimos est donc quasiment en terrain conquis. Sauf que le
bonhomme semble avoir des ambitions narratives et esthétiques qui
s'éloignent drastiquement de l’œuvre originale. Le grec convie
aux noces de sa nouvelle égérie, le français Bertrand Mandico,
l'américano-britannique Terry Gilliam, l'américain Wes Anderson et
parfois même le créateur de jeux vidéos Ken Levine, auteur
notamment de Bioshock
Infinite avec
lequel Pauvres créatures
partage certaines ''visions''... De ce dernier, il emprunte
l'approche rétro-futuriste et s'emploie à remanier l'architecture
de Lisbonne ou de Paris en offrant à leurs ruelles et leurs façades
une nouvelle patine et des moyens de locomotion qui demeurent encore
à ce jour, pur fantasmes. Retrouvant Emma Stone après l'avoir
dirigée dans La favorite
cinq ans auparavant, Yórgos Lánthimos la transforme en créature,
en pantin désarticulé dont les origines repoussent le concept
originel sur lequel reposait le roman de Mary Shelley.
Ici,
il n'est plus simplement question de créer la vie à partir de bouts
de cadavres mais bien d'implanter le cerveau d'un bébé né
urgemment sous césarienne dans la boîte crânienne de sa propre
génitrice morte noyée ! Au temps où le féminisme sur grand
écran semble être devenu un genre à part entière, l'on jugera ou
non du bien-fondé du terme employé même si de toute évidence, le
film est presque intégralement porté par l'interprétation d'Emma
Stone qui dans le rôle de Bella Baxter, passera de la marionnette
disloquée dont l'âge mental ne dépassera tout d'abord pas celui en
rapport avec le tout jeune cerveau qui lui fut implanté pour se
diriger ensuite vers sa propre émancipation et le passage en
accéléré à l'âge adulte. Un voyage curieux, inédit,
fantasmagorique mais aussi très drôle, à la limite parfois du
burlesque et de l'incongru. De l'érotisme aussi, parfois, lorsque
l'héroïne découvre sa propre sexualité par des moyens qui là
encore, sont loin de rejoindre l'apprentissage tel qu'il est
généralement enseigné. Willem Dafoe incarne le docteur Godwin
Baxter, ''père'' de Bella et scientifique un brin dérangé qui
poursuit les travaux que son père mena sur lui dès sa plus tendre
enfance. Mark Ruffalo, lui, interprète le rôle du Duncan
Wefferburn, personnage que l'on nommait en un temps ancien ''coureur
de jupons'' et qui désormais est plus couramment connu sous le nom
de ''prédateur sexuel''. Si l'apprentissage de Bella atteint son
aboutissement lors de la conclusion, le chemin sera pavé de très
nombreux pièges auxquels la jeune femme saura faire face du haut de
sa pureté.... virginale... qui ne le demeurera guère longtemps
puisque le film multipliera les séquences de sexe. Peut-être en
trop grand nombre d'ailleurs, trahissant alors sans doute les limites
d'un scénario qui regorge par la suite davantage de séquences
visuellement bluffantes que de réels ressorts dramatiques, lesquels
finissent par s'épuiser. Le film n'aurait-il d'ailleurs pas mérité
d'être quelque peu resserré sur sa durée ? Toujours est-il
que Pauvres créatures
est une expérience cinématographique fort réjouissante, parfois
graphiquement époustouflante et remarquablement interprétée...
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