Il arrive, parfois, que
les astres s'alignent de telle manière qu'un véritable miracle
éclose devant nos yeux. Imaginez : un scénario écrit en un
peu moins d'une semaine. Et pas par n'importe qui. Pas un petit
scribouillard qui voudrait percer dans le cinéma. Non, plutôt un
cinéaste en devenir, écrivant ses propres scripts, quand il
n'adaptera pas simplement un classique de l'épouvante (Cat
people).
Retenez bien ce titre : Hardcore.
Et retenez également le nom de celui qui en fut l'auteur : Paul
Schrader. C'est donc grâce à lui qu'est né Taxi
Driver
de Martin Scorsese dans la forme qu'on lui connaît. Car avant que ce
dernier ne se planque derrière sa caméra pour filmer les turpitudes
d'un chauffeur de Taxi dans la moiteur nocturne de New York, les
immenses Robert Mulligan (s'il le faut, je n'en retiendrai qu'un :
The Other qu'il
réalisa en 1972) et Brian De Palma (Phantom of
the Paradise
forever...!) faillirent lui voler sa place. Paul Schrader eut
finalement le dernier mot. Bernard Herrmann, l'auteur de la
prodigieuse bande musicale pour cordes de Psychose
allait signer pour Martin Scorsese un thème si célèbre que même
celles et ceux qui n'ont jamais vu le film connaissent l'air (Taxi
Driver - Main title).
Le pauvre n'aura malheureusement pas eu le temps de découvrir son
œuvre sur grand écran puisqu'il s'éteindra le 24 décembre 1975,
soit un peu plus d'un mois avant que ne sorte Taxi
Driver
sur les écrans américains. Aux effets-spéciaux : Dick Smith.
Immense maquilleur, spécialisé dans le vieillissement (Max Von
Sydow était âgé de quarante-quatre lors du tournage de L'exorciste
de William Friedkin en 1973 alors même qu'à l'écran il en
paraissait trente de plus). Ensuite, bien sûr, il y a les
interprètes. À commencer par Robert de Niro, qui avant de
rencontrer Martin Scorsese se fit la main chez Marcel Carné, Brian
De Palma (déjà lui), Roger Corman ou chez Francis Ford Coppola. Des
portes d'entrée que l'on pourrait considérer de royales...
À
ses côtés, la sublime Jodie Foster. Cette actrice américaine
cultivée, intelligente et qui parle mieux notre langue que la
plupart de nos compatriotes ! Elle débarque toute menue, toute
fraîche sur le tournage de Taxi Driver
comme si elle faisait son entrée dans le monde merveilleux du
cinéma. C'est oublier un peu vite qu'elle débuta à l'âge de sept
ans dans la série télévisée The Doris Day
Show en
1969 et qu'avant de rencontrer Martin Scorsese et ses partenaires de
Taxi driver,
elle enchaîna trente-cinq rôles dans diverses séries, téléfilms
et longs-métrages cinéma. Ensuite, qui oserait demander qui est
Harvey Keitel ? Acteur dont l'importance est égale à celle de
Robert de Niro auquel il se frottera dans l’œuvre de Martin
Scorsese. Là encore, retenez son nom et ce film monstrueux que
réalisa Abel Ferrara en 1992, Bad Lieutenant.
Ah ! Et tant qu'à faire, gardez également en mémoire Joe
Spinell et son visage grêlé. Lui et le personnage de Frank Zito
qu'il incarna véritablement dans le glauquissime Maniac
de William Lustig. Si maintenant vous rejoignez les trois
longs-métrages que je vous ai demandé de retenir et que vous y
ajoutez celui de Martin Scorsese, nous tenons là le carré d'as du
cinéma new-yorkais underground ''grand public''. Ouais, bon, pour
être tout à fait honnête, je ne suis pas certains que Hardcore
ait été tourné dans les rue de la Grande
Pomme.
Mais les siennes y ressemblent parfois terriblement). Au pire l'on
remplacera ce dernier par un quelconque outsider. Comme le très
glauque Combat Shock
de Buddy Giovinazzo qui d'ailleurs, sorti chez nous chez l'éditeur
Haxan Films au
début des années 90 avec cette très sympathique accroche : La
version ''sale'' de Taxi Driver.
La boucle étant bouclée, passons aux choses sérieuses...
Le
cinéma n'étant plus ce qu'il était, on n'imagine pas aujourd'hui
un tel parterre de célébrités réunies autour d'un film au budget
s'élevant à seulement un million et trois-cent mille dollars. Afin
que celui-ci n'excède d'ailleurs pas la somme mise dans le panier,
Robert de Niro et Martin Scorsese recalculèrent leur salaire à la
baisse... On reconnaît déjà d'emblée cette ''gueule'' incroyable
que traînera durant toute sa carrière l'acteur ou les longs
travelling que Scorsese expérimenta déjà sur un précédant
long-métrage bien connu des cinéphiles, Mean
Streets
trois ans auparavant. Tiens, à propos du bonhomme. Saviez-vous (moi
pas en tout cas) qu'il faillit être l'auteur de ce qui devint en
1970 l'un des portraits les plus saisissant (et authentique) de
couple de tueurs en série, The Honneymoon
Killers
de Leonard Castle ? Et ouais. Mais lorsque d'un point de vue
artistique l'on n'est pas très en accord avec certaines attentes,
c'est la porte de sortie qui se profile à l'horizon. Et pour Martin
Scorsese, la chose survint après une semaine de tournage seulement !
Passant à côté du mythe, le bonhomme s'est heureusement très vite
rattrapé... Travelling nocturne dans les rues de New-York : ''
Y'a toute une faune qui sort la nuit. Putes,chattes en chaleur,
enculés, folles,pédés, pourvoyeurs, camés... Le vice et le
fric''.
En l'espace de deux phrases seulement, le ton est donné. Tout
l'esprit du personnage et du monde dans lequel il va désormais
évoluer sont ainsi réunis. D'une certaine manière, Travis Bickle
(Robert De Niro) allait ouvrir la voie à une longue série de
personnages à l'extrémité desquels l'on retrouverait plus de
trente ans après le boucher de Carne
et Seul contre tous
de Gaspar Noé ! Ancien marine, le jeune chauffeur de taxi
déclame de longs monologues intérieurs. Pour cet ancien soldat, la
guerre n'a pas pris fin et s'inscrit désormais dans les rues d'un
New-york aux mains des proxénètes et autres marchands de sexe.
Martin Scorsese et Paul Schrader développent un personnage
relativement complexe et parfois presque illogique dans son mode de
pensée et certains de ses agissements. Crachant son dégoût de la
société dans laquelle il vit, le voilà qui se détend dans une
salle de cinéma miteuse projetant... un film porno.
Il
y a donc un peu du boucher de Noé chez Travis. De grandes et muettes
paroles qui ne dépassent tout d'abord pas sa pensée (un état dans
lequel demeurera d'ailleurs jusqu'au bout le personnage
formidablement incarné par Philippe Nahon dans Seul
contre tous).
Et pourtant, on le découvre sous son meilleur jour. Cherchant à
communiquer avec autrui mais se retrouvant face à un mur. Et même,
DES murs... Du moins jusqu'à sa rencontre avec la jolie assistante
du candidat à l’élection Charles Palantine, Betsy qu'interprète
Cybill Sheperd. Une relation éphémère dont les conséquences
seront terribles puisqu'elle sera la première pierre d'un édifice
moral et intellectuel qui emportera Travis dans un tourbillon de
violence. Bruyant, fourmillant, le New York décrit pas Martin
Scorsese est sordide et malfaisant. Les seules notes d'espoir mènent
fatalement au désenchantement. Tenant un journal intime, le
chauffeur de taxi va se construire une carapace. Un nouveau modèle
de ''vertu''. Un justicier du bitume, en somme. Mais pour cela, il
lui faut un but. Et ce but sera personnifié par Iris (Jodie Foster),
une gamine d'à peine douze ans se prostituant pour le compte du
proxénète Sport (Harvey Keitel). La transformation du personnage
n'est pas que mentale mais également physique. Travis retrouve le
haut kaki qui constitua une partie de son uniforme lors de la guerre
du Vietnam, muscle son corps et transforme ses cheveux en crête
iroquoise...
À
ce propos, selon certains peuples d'amérindiens, porter une telle
coiffure permettait d'encourager les troupes durant les
affrontements. Un détail qui sans doute ici a son importance et
laisse entrevoir l'action que mènera le chauffeur de taxi lors du
dernier acte. Un moyen de se donner la force, la motivation et le
courage nécessaires pour mener à bien sa mission. Si l'issue du
récit laisse augurer une conclusion dramatique et si l'environnement
dans lequel vit le héros est éminemment anxiogène, Martin Scorsese
traite parfois son sujet avec un certain cynisme. Voire, beaucoup
d'humour. Le réalisateur nous immerge en outre dans un espace ouvert
mais se rétrécissant à mesure que Travis se replie sur lui-même.
Enfermé chez lui ou à ''l'abri'' de son véhicule, il regarde le
monde tel qu'il est, tel que veut tout d'abord nous le montrer Martin
Scorsese avant qu'un fossé ne se creuse entre le spectateur et le
héros. Cette distinction qui permet au public de faire la différence
entre le bien et la mal tandis que Travis, lui, n'as plus
l'objectivité nécessaire qui lui permettrait encore de séparer le
premier du second. Martin Scorsese filme la ville qui l'a vu naître
avec passion. Un décor mais aussi et surtout, un personnage à part
entière, vecteur d'angoisse,. Cette même appréhension qui jour
après jour, année après année enfante des monstres à visage
humain...
Fait (évidemment) partie de ma DVDthèque d'environ 45 pièces...
RépondreSupprimer"Quand on a ton âge, on tringle... De toutes façons, t'as pas l'choix, on est tous baisés. Enfin, plus ou moins..."
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