Alors que les extérieurs
de Bunker Palace Hôtel
rappelaient parfois un Belgrade décrépit, embrumé, sous les
bombes, et dystopique, ceux de Tykho Moon
semblent parfois se diriger tantôt vers une architecture, du moins
une ambiance, moyenne-orientale, et tantôt vers un Paris reconstitué
sur la Lune, celle-ci recouvrant intégralement la ville de ses
cendres. Alors que dans le ciel, notre planète n'est plus désormais
que modérément perceptible et qu'une étrange maladie laisse sa
marque bleue sur l'épiderme de la population, Anikst débarque en
ville et croise le chemin de Lena, jeune femme aux mœurs légères,
et de Glenbarr, un reporter tout droit venu des États-Unis
d'Amérique. Tandis que le frère jumeau du dictateur McBee est mort,
que celui-ci est atteint du même mal étrange qui touche une grande
partie de la population, et bien qu'un chirurgien lui confirme la
possibilité de vivre éternellement grâce à une drôle de machine
de sa conception, McBee ordonne que l'on mettre la main sur Tykho
Moon, qui contrairement à ce que l'on imaginait, est toujours en
vie, semble être de retour en ville, et surtout, est le donneur
potentiel qui pourrait enrayer la maladie qui ronge McBee...
Julie
Delpy, Michel Piccoli, Richard Bohringer, Johan Leysen, Marie
Laforêt... mais aussi, une fois encore après Bunker
Palace Hôtel,
Jean-Louis Trintignant, Yann Colette, et Roger Dumas. Le cinéaste et
dessinateur Enki Bilal poursuit son travail de création visionnaire
et poétique à travers un second long-métrage tout autant
énigmatique et déconcertant que le premier. Autant dire que ceux
qui refoulèrent avec force conviction son œuvre précédente ne
verront dans Tykho Moon,
rien de mieux à se mettre sous la dent. Pourtant, Enki Bilal, encore
une fois, frappe juste. Ne ménageant pas son public, il lui offre un
récit alambiqué, pétri de dialogues autistes et de séquences
remarquables (l'enterrement du jumeau sur fond de musique baroque, ou
encore un Paris poussiéreux et monochrome). Il y a du Gaspar Noé
avant l'heure (le travelling en contre-plongée rappelant en couleurs
éteintes ce que sera le sublime et très coloré Enter
The Void),
du Terry Gilliam, et sans doute même du Jean-Pierre Jeunet et Marc
Caro ( Le Bunker de la Dernière Rafale ).
Michel
Piccoli en dictateur, est parfait. Éructant, crachant, délirant.
Paranoïaque, schizophrène, et comme son personnage l'indique au
beau milieu du parcourt, dissuasif et immortel. Yann Colette y est,
comme toujours, magistral, le comédien surgissant du costume
d'Alvin/Edward, le fils de McBee. Richard Bohringer reste fidèle à
ce personnage que l'on aime et que d'autres détestent. Cynique,
ambigu, et dont la personnalité, ici, demeure ardue à définir.
Julie Delpy, le charme, la féminité, la sensualité, incarnés dans
un monde asséché et majoritairement masculin. Les décors du film
embrassent parfois le cinéma noir américain des années cinquante.
C'est là qu'y traîne le charismatique acteur belge Johan Leysen
dans le rôle de Anikst. Enki Bilal intègre des notes de couleur à
son cinéma tout d'abord pensé en monochrome, mêlant décors réels
et matte-painting
comme ce fut déjà le cas dans son précédent long-métrage.
Histoire
d'amour, science-fiction post-apocalyptique, catastrophisme,
policier, contagion, thriller, Tykho Moon
mixe imperturbablement les genres pour un résultat fascinant et
perturbant. Les repères classiques sont balayés. Le divertissement
y conçoit la réflexion. Difficile de se laisser guider simplement
par le récit, la vigilance du spectateur y étant sans cesse
introduite. Nanar? Chef-d’œuvre ? Exercice de style abouti ou
puéril ? C'est à chacun d'y percevoir le potentiel. Pénétrez
l'univers fascinant d'un Auteur avec un grand A...
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