Pour ce quatrième
article consacré à la carrière de Joel et Ethan Coen, j'aurais pu,
j'aurais dû même, respecter une certaines chronologie. Et si, de
fait, c'est le cas puisque The Hudsucker Proxy demeure
postérieur au dernier article leur étant dédié (Arizona
Junior), je reviendrai plus tard sur ce que je considère
toujours être l'un de leurs meilleurs films (Barton Fink).
Quant à Miller's Crossing, c'est la deuxième fois en
plus de vingt-cinq ans que je tente l'expérience tout en m'y
ennuyant toujours aussi prodigieusement. Ce qui n'est évidemment pas
le cas avec le cinquième long-métrage qu'en France nous avons
traduit sous le titre Le Grand Saut. Que l'on soit fan
ou pas des Frères Coen. Qu'on les adule ou qu'on les déteste, que
l'on soit « pro » ou « anti », j'ai encore
beaucoup de mal à imaginer que l'on puisse rester de marbre devant
une œuvre aussi brillante.
Une fois de plus, les
frangins sont aux commandes du scénario, mais pas seulement eux
puisque le cinéaste Sam Raimi, leur copain de toujours vient les
soutenir et rembourse la monnaie de leur participation à l'écriture
de son excellent Crimewave sorti neuf ans auparavant.
C'est un nouveau venu
dans la filmographie des cinéastes qui tient ici le haut de pavé.
Le génial Tim Robbins qui cinq ans plus tôt interpréta le
principal rôle du traumatisant L’échelle de Jacob et
jouera dans l'adaptation cinématographique Les Évadés,
une nouvelle à l'origine écrite par le romancier Stephen King.
Trois années après leur fabuleux Barton Fink qui
obtint au festival de Cannes en 1991 la Palme d'or ainsi que le Prix
de la mise en scène et le Prix d'interprétation masculine,
difficile d'imaginer Joel et Ethan Coen pouvoir réitérer l'exploit
de réaliser et produire une œuvre aussi forte. Et pourtant The
Hudsucker Proxy
a réussi à chatouiller les sceptiques. Il signent avec leur
cinquième long-métrage, l'un des plus importants de leur carrière
et prouvent à ceux qui en doutaient encore que les prix remportés
quatre ans plus tôt à Cannes ne furent pas le fruit du hasard mais
bien d'un travail acharné et à la précision chirurgicale.
Sept
ans après la bouffonnerie Arizona Junior,
Les frères Coen explorent à nouveau le même univers cartoonesque
tout en s’immunisant du caractère parfois lourdingue de leur
première comédie. Désormais, les frangins sortent les couverts en
argent. Décors sublimes, lumière éclatante, musique envoûtante
signée une fois de plus par le fidèle compositeur Carter Burwell,
interprétation impeccable (d'énormes seconds rôles) et enfin, un
scénario en bêton qui ménage une floppée de bonnes surprises.
Et
dire que The Hudsucker Proxy a
faillit ne jamais voir le jour. Ou du moins, de manière peut-être
sensiblement différente. En effet, Joel et Ethan Coen projettent de
réaliser le film depuis une dizaine d'années déjà. Mais vue
l'ampleur du projet, ils n'auraient sans doute jamais accepté de
tourner le film sans un budget important. La palme d'or du Festival
de Cannes leur ouvrant les vannes, grâce au producteur Joel Silver,
lequel, dès lors, fera tout pour que le projet arrive à terme.
Alors que le producteur souhaitait offrir le rôle principal à
l'acteur Tom Cruise (infamie !!!), c'est finalement le géant Tim
Robbins qui l'obtient. A ses côtés, une galerie de portraits
saisissants dont les collaborateurs de l'opportuniste Sidney J.
Mussburger (l'excellent Paul Newman) ne sont pas des moindres. On
retrouve également Bruce Campbell, le chouchou de Sam Raimi dans un
rôle similaire à celui qu'il interprétait dans Crimewave,
ainsi que Steve Buscemi qui fera une belle carrière chez les Coen
jusqu'en 2000, année de sortie de O'Brother,
John Goodman, fidèle depuis Arizona Junior,
ou encore Jon Polito. Quant au principal rôle féminin, c'est
l'actrice Jennifer Jason Leigh qui l'obtient alors-même que Winona
Ryder et Bridget Fonda étaient tout d'abord pressenties.
Les
frères Coen et Sam Raimi laissent ici s'envoler leur imaginaire.
Nombre de séquences filent le vertige. L'écriture est sublime et
certaines scènes renversantes d'ingéniosité. Qui pourra oublier
cette tentative de suicide échouée aux trois-quart du film, ou
cette invention que traîne derrière lui le héros, synonyme de
railleries mais qui au final paraît tellement évidente. Là est
tout le génie du duo. Reprendre une invention et la mettre au crédit
de leur héros sans trahir son concepteur original dont on ne
connaîtra sans doute jamais l'identité (en effet, cette invention
dont je terrai le nom pour préserver la surprise remonterais
trois-mille ans en arrière et serait originaire d'Égypte avant que
deux américains n'en reprennent le principe à leur compte dans les
années cinquante). The Hudsucker Proxy est
une bande-dessinée vivante. Le crayon est ici remplacé par des
actrices et acteurs en chair et en os. Un véritable conte de fée à
l'attention des grands plus que des petits, et une jolie critique du
loup dévorant l'agneau avant que ne soit renversée la vapeur. Un
petit chef-d’œuvre...
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