J'ai beau être en
admiration devant l’œuvre du cinéaste français Bertrand Blier et
avoir été aussi bouleversé par sa disparition en janvier dernier
que par celle du réalisateur américain David Lynch survenue
quelques jours avant lui, il est des films qui passent moins bien le
cap de l'émerveillement. Ce n'est d'ailleurs qu'en me remémorant la
''répétition générale'' du Bruit des glaçons
que je n'avais pas supporté autrement que par petits bouts avant
d'adhérer finalement au concept que je me suis promis d'essayer à
nouveau de me plonger dans l'univers des personnages de Mon
homme.
Une œuvre presque entièrement à la gloire des femmes et de SA
femme Anouk Grinberg. Celle qui donna à Bertrand Blier un fils à
l'époque où ils vécurent ensemble. De leur union naquit Léonard
mais aussi trois longs-métrages. Trois œuvres qui laissèrent sur
le carreau certains critiques et firent l'admiration des autres. Du
moins pour l'excellent Merci la vie
qui, s'il n'est pas le meilleur film de son auteur demeure sans doute
l'un des plus tentaculaires dans sa mise en scène et son écriture.
Là, Anouk Grinberg y incarnait la jeune Joëlle, causant chez les
spectateurs des sensations inédites et presque honteuses vu l'âge
que semblait vouloir donner à l'une des héroïnes le cinéaste. Sa
voix de petite fille, l'actrice la perpétuera deux ans plus tard, en
1993 avec Un, deux, trois, soleil.
Œuvre sans doute mineure chez Bertrand Blier mais qu'on lui
pardonnera puisque après cela, il reviendra donc avec Mon
homme.
Recouvrant ainsi la mémoire des plus anciens souvenirs des
cinéphiles qui le découvrirent au moment où sortaient
successivement en 1974 et 1976 Les valseuses
et Calmos
(qui se souvient réellement avoir découvert en 1967 le pourtant
génial Si j'étais un espion?),
Mon homme est
comme souvent chez le réalisateur, scénariste et écrivain français
l'occasion de plonger ses protagonistes dans un univers teinté de
surréalisme. Un concept pas toujours évident à accueillir dans un
foyer lorsque l'on n'est pas habitué au style ''Blier''. Regards
face caméra qui interrogent le spectateur, le font complice et même
voyeur d'une aventure dont le schéma d'hommage à la Femme n'est pas
toujours évident. Un film dans la lignée des plus anciens films de
leur auteur qui, il est vrai, sent parfois la naphtaline à force de
redondance, de gimmicks, de tics répétés à profusion et ne semble
s'adresser qu'à un cercle très restreint de fans ! Anouk
Grinberg incarne Marie, jeune prostituée autonome qui vit dans au
dernier étage d'un appartement qui accueille chez elle Jeannot. Un
clochard qu'elle trouve endormi dans l'entrée de son immeuble et
auquel elle propose un repas avant de l'inviter à dormir chez elle,
bien au chaud devant un radiateur brûlant. Marie aime
l'argent et le sexe. Maris aime aussi les gens dans leur globalité.
Succédant à une valse de passes qui voient des acteurs aussi divers
que Jacques François, Michel Galabru, Jacques Gamblin ou encore
Mathieu Kassovitz monter les six étages menant à l'appartement de
la jeune femme pour trouver leur plaisir entre ses bras, Gérard
Lanvin débarque vêtu d'oripeaux que l'on devine malodorants mais
dont les effluves, cependant, ne semble pas incommoder Marie.
Mon homme fait
écho au cultissime Tenue de soirée
qu'avait déjà réalisé Bertrand Blier une décennie plus tôt, en
1986. Axant ici le récit autour de deux principaux personnages avant
qu'un troisième en la personne de Sanguine (excellente Valeria Bruni
Tedeschi) ne vienne s'y rattacher, le film explore les différentes
possibilités d'un couple tout en penchant comme à son habitude vers
la luxure et l'ascendance de l'homme sur la femme. Drôle d'hommage à
la gente féminine diront alors certains. Surtout lors de l’hilarante
séance de baffes durant laquelle Jeannot explique à Marie qu'il
faut savoir esquiver les gifles. Une séquence très amusante qui
préfigure la suite du récit où la cloche une fois rasée, parfumée
et apprêtée va prendre de l'assurance et devenir le maquereau de
Marie sur demande express de celle-ci !!! Amour, passion, violence et
avarice se mêlent dans une histoire passionnée et parfois
passionnante entre des individus qui tous n'ont pas forcément le
même but. Si Anouk Grinberg se met littéralement à nue, sans la
moindre pudeur en faisant ainsi preuve d'un véritable courage et
d'une détermination certaine pour son compagnon Bertrand Blier,
Valeria Bruni Tedeschi est touchante, fragile, amoureuse, sacrifiant
jusqu'à sa pudeur et ses principes pour les beaux yeux d'un Gérard
Lanvin toujours plus avide d'argent. Résurgence d'un passé de
proxénète dont la fin de carrière tragique le condamna à vivre
dans la rue ou nouvel et véritable appétit pour l'argent ? En
intercalant le récit de séquences d'interrogatoire trop rares
puisque jubilatoires, Bertrand Blier semble nous parler au présent
mais aussi au passé. Et pas simplement par le truchement de
personnages secondaires dont on regrette la courte présence à
l'écran (Sabine Azéma, blaffarde en Bérangère rappelle
curieusement Jeanne Moreau en Jeanne Pirolle dans les Valseuses
tout en inversant leur point de vue respectif) mais parce que
certains actes se présentant comme étant actuels semblent être le
reflet d'un passé peu glorieux. Sans être un grand Blier, Mon
homme reste
une œuvre qui parfois marque d'une empreinte indélébile le
spectateur. Le cinéaste offrant ainsi quelques séquences dont la
beauté est irréfutable. Filmant les corps, leurs entrelacements et
la sensualité de l'acte sexuel avec une force émotionnelle rare. Il
faut voir en effet Gérard Lanvin chevaucher Anouk Grinberg sur fond
de Beatus Vir op.
38
de Henryk Mikolaj Górecki et ainsi nous bouleverser pour enfin se
convaincre que Bertrand Blier n'était pas qu'un sale garnement,
provocateur et irrévérencieux. Des décennies après le misogyne
Calmos,
le réalisateur rendait effectivement un bel hommage à toutes celles
qui nous accompagnent dans la vie. Certes, à sa manière faussement
maladroite, mais qui aujourd'hui, et depuis sa disparition, oserait
encore lui en vouloir... ?
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