Des rapports difficiles,
ambigus et œdipiens entre une mère et son fils. De l'absence du
père. De l'épreuve de vivre dans un monde où chaque élément
culmine vers la peur de vivre seul, Ari Aster a accouché d'un œuvre
monstrueuse. Un long-métrage aux ramifications si nombreuses que
l'on finit forcément par s'y noyer pour n'en ressortir la tête et
l'esprit des profondeurs que très tardivement. Un film au visuel et
au narratif dont la grandiloquence ne cessent de nous sauter aux
yeux, de résonner dans notre crâne, faisant ainsi bouillir notre
cerveau pour rejoindre le héros lors de cette explosion finale et
définitive qui clôt un récit en forme de labyrinthe. Le
réalisateur et scénariste américain nous enjoigne ici à
accompagner cet homme qui n'a jamais véritablement quitté ses
préoccupation et ses peurs enfantines. Un quadragénaire que son
auteur prend par la main pour l'emmener dans un voyage aux confins de
l'esprit humain. Avec ses zones d'ombre, mais également ses passages
éclairés qui mènent vers la lumière. Cette clarté qui après
avoir enfoncé la tête du spectateur dans le sable durant deux
heures va enfin nous permettre de discerner le vrai du faux. Le réel
de l'imaginaire. Et dire que Beau is Afraid
faillit
durer trois heure..... et demi.... Ramené à cent-quatre vingt
minutes, le film n'en est pas moins très long. Trop, sans doute,
penseront certains qui lui trouveront une myriade de défauts. Comme
d'avoir pour Ari Aster préféré laisser parler son imaginaire au
détriment d'un spectateur qui se retrouve alors en apnée, une main
au dessus de son crâne, l'empêchant de sortir la tête hors de
l'eau pour reprendre son souffle. Décomposé en divers actes, le
dernier long-métrage du cinéaste met donc en scène Beau. Un homme
psychologiquement fragile qui semble avoir encore beaucoup de mal à
sortir des jupes de sa mère même s'ils ne vivent plus ensemble.
N'ayant jamais connu son père, décédé le jour de sa conception
d'un souffle au cœur, Beau n'a pour référence que sa génitrice.
Une femme dont l'amour pour son fils fut toujours si fort et
accaparant qu'il exerça et continue d'exercer sur l'enfant,
l'adolescent et l'homme qu'est devenu notre héros, une pression qui
se jauge à l'image à travers des séquences relevant tantôt de la
psychiatrie et tantôt de l'imaginaire.
L'une
rejoignant finalement l'autre dans ce dédale aussi flamboyant
qu'exaspérant. L'on conseillera en préambule la vision du film dans
sa version française plutôt qu'en anglais. Non pas que le
remarquable travail artistique ne souffre de la lecture prolongée de
sous-titres en français mais, sachant que Beau
is Afraid
est déjà particulièrement ardu à aborder dans son plus simple
appareil, mieux vaut se préserver et repousser à une prochaine
projection le projet de le redécouvrir dans sa langue originale.
Tourné en partie à Saint-Bruno-de-Montarville, au Québec, le
long-métrage est objectivement difficile à prendre en main. Si l'on
a assez rapidement l'air de comprendre que la première partie du
long-métrage se concentre majoritairement sur l'esprit tourmenté de
son héros, vivant dans un monde peuplé de créatures monstrueuses
révélant sa phobie de la solitude et des grands espaces, il devient
par la suite beaucoup plus compliqué de saisir la portée de
certaines séquences. Néanmoins, il devient très rapidement évident
que l'acteur Joaquin Phoenix tient là, entre ses mains, l'un de ses
plus grands rôles. Tour à tour attachant, puis repoussant et enfin
émouvant, il incarne un Beau Wassermann lancé non seulement à la
recherche de sa mère prétendument morte après avoir reçu un
lustre sur la tête, mais également à la poursuite de sa propre
histoire. Celle marquée il y a bien longtemps par des faits si
traumatisants que l'homme ne s'en est toujours pas encore remis. Mais
plutôt que de nous conter son récit sous la forme la plus simple
qui soit en suivant un fil conducteur classique, Ari Aster fait du
personnage central le guide de sa propre histoire. Comme si le
réalisateur avait lâché la bride pour la confier au héros, pour
mieux nous perdre dans les méandres de son cerveau, entre les phases
lors desquelles Beau (et donc les spectateurs) arrive à voir le
monde tel qu'il est réellement et celles durant lesquelles il se
réfugie dans des univers fantaisistes. Entre l'horreur de certaines
situations et la poésie qui se dégage d'autres séquences, Beau
is Afraid est
d'abord un film d'aventure(s). Un voyage fabuleux (au sens
métaphorique du terme) qui laisse parfois entendre que tout n'est
qu'imagination. Que Beau est peut-être resté chez lui, dans son
sordide appartement. Involontairement séquestré par des démons
façonnés par son imagination (mais aussi et surtout par sa mère)
et dont le traitement imposé par son psychiatre (Stephen McKinley
Henderson dans le rôle du docteur Jeremy Friel) réduit
difficilement l'impact.
Une
œuvre qui pulse d'un amour pour l'art créatif du point de vue de
son auteur comme il respire une odeur de mort chez Beau lorsque la
mère (successivement incarnée par Patti LuPone et Zoe Lister-Jones)
explique à son fils qu'il est né le jour où son père est décédé.
Une histoire d'emprise. D'un complexe œdipien qui frise parfois
l'inceste. Découlant d'une incapacité à vivre pour soit. Rejet et
fascination semblent antinomiques et c'est pourtant ce que l'on
ressent devant le dernier long-métrage d'Ari Aster. Des débuts
hallucinants et délirants qui renvoient à certaines séquences
traumatiques du Mother !
signé de Darren Aronofsky voilà sept ans en arrière, jusqu'à
cette magnifique fable initiatique située dans une forêt, lors
d'une représentation théâtrale, filmée en animation et lors de
laquelle Beau entreverra l'espoir de retrouver son père bien vivant.
En passant par une série de séquences qui demeurent encore à ce
jour parfaitement énigmatiques, incompréhensibles et qui dénotent
peut-être du narcissisme de leur auteur très attaché à garder le
contrôle sur certains événements dont seul lui a le secret. Rares
sont les films qui comme Beau is Afraid
peuvent se vanter d'être au centre d'autant de sentiments
contradictoires. Fascinant et révulsant. Beau et laid. Mais aussi,
divertissant, chiant à mourir, obscure et lumineux, tragique et
drôle. C'est un fait, le dernier Ari Aster ne plaira pas à tout le
monde. Je faillis moi-même jeter l'éponge à plusieurs reprises.
Comme ma compagne qui ne tint pas plus d'une demi-heure devant le
nihilisme de la première séquence. Ce qui me contraignait alors à
repousser la vision à des semaines pour le découvrir seul, dans mon
antre. Bref, Beau is Afraid
bat le chaud et le froid. Mais si vous vous laissez embarquer par
l'histoire, par son étrange montage cerné de flash-back et de
flash-forward (ces derniers pouvant laisser un moment supposer que la
mémoire de Beau serait capable de voyager dans le futur), c'est
alors le jackpot. Une œuvre dont on parlera encore très longtemps,
sur laquelle ses détracteurs continueront de vomir durant des
décennies et à laquelle ses admirateurs ne cesseront jamais de
vanter ses nombreuses qualités tout en en découvrant d'autres à
chaque nouvelle projection...
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