En 1968, le réalisateur
japonais Kōsaku Yamashita inaugurait l'une des plus belles sagas de
yakuza eiga de l'histoire du
cinéma asiatique avec le premier des huit volets consacrés à Oryū,
surnommée la Pivoine Rouge en rapport au tatouage qu'elle porte à
l'épaule gauche. Hibotan bakuto
démarre
l'aventure avec celle qui à la mort de son père ne se considère
plus comme une femme, mais comme un homme. Car c'est bien connu, les
clans de yakuzas sont une histoire qui en général ne concernent pas
la gente féminine, ici reléguée au titre d'épouse ou de geisha.
Mais d'un fort caractère, Oryū considère les choses autrement.
Après la mort de son père, chef du clan Yano
respecté, tous ceux qui lui avaient juré fidélité sont partis,
laissant seule la jeune femme excepté son fidèle bras droit
Fugushin. Désormais abritée par le clan Doman
dirigé par Otaka, Oryū n'a qu'un seul désir : retrouver
l'homme qui a tué son père afin de venger sa mort. La jeune femme a
pour seul indice un portefeuille qu'elle soupçonne d'appartenir à
celui qui a commis le meurtre. Limitant les affrontements avec le
despotique et fourbe chef du clan Sennari,
Oryū fait notamment la connaissance de Naoji Katagiri, lequel semble
en savoir plus qu'il n'en dit sur l'identité du tueur. Frère d'arme
de Gozo Kakurai, le chef du clan Sennari,
Katagiri se tait. Mais bientôt l'inévitable se présente lorsque
après s'être rendue chez Kakurai afin de lui demander de laisser
libre la fiancée de Fujimatsu, autre fidèle membre du clan Yano
autoproclamé immortel, le chef du clan Sennari
subit un affront de la part de Oryū qu'il n'est pas prêt de lui
pardonner. Si jusqu'ici les clans Sennari
et
Doman
sont parvenus à divers accords, l'affrontement semble désormais
inexorable...
Interprété
pour la première fois à l'écran par l'actrice Junko Fuji qui
assurera le rôle tout au long de la saga, Oryū est décrite comme
une femme volontaire mais parfois fragile. À ses côtés, le
charismatique Naoji Katagiri dont endosse le costume l'acteur Ken
Takakura et les sympathiques Fujimatsu et Fugushin qu'interprètent
respectivement les acteurs Kyōsuke Machida et Rin'ichi Yamamoto.
Face à eux, Minoru Ōki interprète le rôle du veule Gozo Kakurai
dans une fin de dix-neuvième et début du vingtième siècle, le
long-métrage de Kōsaku Yamashita situant son action au milieu de
l’Ère Meiji (1868 et 1912) dans la petite ville d'Iwakuni au
Japon. Lieu où vivent côte à côte divers clans de yakuzas comme
ceux cités plus haut ou encore celui des Iwatsu,
le film y décrit certaines des habitudes de ses habitants, comme les
clubs de jeux ainsi que les ancestrales coutumes japonaises. On y
sacrifie une phalange pour l'honneur ou l'on défend l'un de ses
membres qui vient de mourir au combat. Enfin, ça c'est parfois pour
les touristes car même si la plupart des clans sont constitués
''d'honorables'' individus, il est une vermine que le spectateur
rêvera de se voir pourfendre par la lame aiguisée d'un sabre. Si
Hibotan bakuto
est essentiellement constitué de dialogues, quelques combats
(malheureusement assez mal chorégraphiés) assurent tout de même un
minimum d'action.
Malgré
un contexte où les conflits sont légion (pour un territoire, pour
une femme ou pour vanger une humiliation), Kōsaku Yamashita et son
scénariste Norifumi Suzuki ménagent quelques séquences
formidablement émouvantes. On pense notamment à quelques morts
tragiques mises en scène avec une pudeur et une sensibilité
bouleversantes. Évidemment, la formidable partition musicale du
compositeur japonais Takeo Watanabe participe de cette vague
d'émotions qui submerge le spectateur couplée à une mise en scène
délicate. Mais la tragédie n'empêche cependant pas le réalisateur
d'y adjoindre d'authentiques séquences humoristiques, telles celles
qui voient notamment l'excellent Shingo Yamashiro déambuler comme un
charlot ventripotent et rougeot dans le rôle du fils d'Otaka,
Yoshitaro. Pour ce premier long-métrage de la saga, Kōsaku
Yamashita met donc la barre très haut. La même année sortira la
première séquelle intitulée Hibotan
bakuto: Isshuku ippan.
Et bien que l'original soit un modèle du genre, le second volet sera
réalisé par Noribumi Suzuki et non par Kōsaku Yamashita qui
attendra à nouveau son tour pour revenir au coeur de la saga et
réaliser le cinquième volet l'année suivante. En attendant,
savourez ce véritable chef-d'oeuvre qu'est Hibotan
bakuto...
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