L'action de Boris
Godounov
démarre alors qu'une représentation de l'opéra portant son nom
s'apprête à débuter à Saint Petersbourg. Mais alors que le public
s'installe et que l'orchestre se prépare à jouer, le spectacle est
transposé à l’extérieur des murs de l'enceinte. En se libérant
des contraintes imposées par les lieux, Andrzej Zulawski s'autorise
toutes les folies. Car avec cette vision personnelle de l'opéra
Boris Godounov
composé à l'origine par le russe Modeste Moussorgski, c'est toute
la démesure de l'auteur de L'amour Braque,
de La femme publique
ou de Possession
qui s'exprime ici. Scénarisé par les propres soins du réalisateur
lui-même, notons que le violoniste et chef d’orchestre russe
Mstislav Rostropovitch désapprouva les bruitages qui furent ensuite
ajoutés par dessus l'interprétation musicale de l'orchestre du
National Symphony
Orchestra
de Washington. Pour Andrzej Zulawski, il est tout d'abord important
de faire comprendre au public son intention de mettre en avant le
fait qu'il ait choisi de mettre en scène la toute première
représentation de l'opéra qui eu lieu en 1872. Ensuite, un détail
qui pourra certes paraître anodin démontre tout le génie du
réalisateur polonais, lequel fait directement entrer les spectateurs
au cœur de l'intrigue lorsque est déchiré le décor de fond de
l'opéra pour y laisser pénétrer derrière lui sa caméra. En se
débarrassant de certaines contingences, Andrzej Zulawski nous livre
une œuvre vivante et ce, malgré l'atmosphère d'agonie qui y
règne...
En
effet, car si Boris Godounov
ne
revêt sans doute pas l'apparence du biopic rêvé par les
historiens, c'est qu'il ne s'attarde que sur une courte période de
son existence. Celle qui le voit couronné Tsar avant que la folie ne
l'emporte. Soupçonné d'avoir organisé l'assassinat de Dimitri
Ivanovitch, né le 19 octobre et mort le 15 mai 1591 à l'âge de
huit ans, Boris Godounov aurait donc fait assassiner le jeune enfant
que lui et les autorités craignaient de voir prendre le pouvoir et
monter sur le trône, poussé dans cette voie par les contestataires
de l'autorité du Tsar en place. Spectacle visuel souvent stupéfiant,
l’œuvre toute entière d'Andrzej Zulawski fut ponctuée de moments
de grâce hystérique qui dans le cas présent se multiplient. Et
même si l'on est encore très loin du délirant Diabeł
qu'il signa en 1972 et dont la théâtralité était à son comble,
Boris Godounov devrait
non seulement satisfaire les amateurs d'opéra pas trop regardant sur
l'Histoire avec un grand H, mais également celles et ceux pour qui
cette dernière est tout sauf une passion et le personnage central,
un individu dont seul le nom parle. Faudra-t-il cependant être un
féru d'opéra pour digérer les quasi deux heures que dure cet
incroyable projet mis en scène par le réalisateur polonais et
disponible dans une version restaurée produite un quart de siècle
après sa sortie officielle ? Réponse, non : car même si
son approche opératique empêchera sans doute une partie de son
public d'arriver jusqu'à l'extase d'un Sanatorium
pod Klepsydrą (La
Clepsydre),
chef-d’œuvre absolu signé en 1973 par son homologue polonais
Wojciech Has, Andrzej Zulawski signe un spectacle total...
… brillamment
mis en scène, sa caméra n'ayant aucune peine à virevolter comme
cela est de coutume chez le cinéaste. Malgré les reproches fait à
l'encontre du long-métrage par Mstislav Rostropovitch (chose que
l'on peut comprendre si l'on se met un instant à la place du chef
d’orchestre), Boris Godounov
s'avère un voyage extraordinaire sur le plan visuel autant que sur
le plan musical. En effet, les costumes de Magdalena
Biernawska-Teslawska et le travail abattu par le département leur
étant consacré est absolument remarquable. Tout comme les décors,
les maquillages ou la photographie de Pierre-Laurent Chénieux.
Fidèle au cinéaste polonais depuis Possession
en 1981, la monteuse française Marie-Sophie Dubus (Le
Vampire de Düsseldorf de
Robert Hossein en 1965, Les Fugitifs
et Le Jaguar
de Francis Veber en 1986 et 1996) effectue un travail lui aussi
remarquable et qui donne littéralement le vertige. Cependant, et
même si cela ne gênera sans doute en rien les néophytes qui
découvrent ici l'univers de Modeste Moussorgski et de son célèbre
opéra, il faut savoir qu'Andrzej Zulawski semble n'avoir retenu
qu'une partie de l’œuvre du compositeur, ce qui pour les puristes,
risque d'avoir du mal à passer. Ce qui par contre est visible à
l'écran et s’avérera déjà beaucoup plus gênant pour le plus
gros des spectateurs se situe au niveau des doublages. En effet, si
les chants demeurent formidables, il est clair qu'entre ceux-ci et
ceux qui les interprètent, les voix et les lèvres posent un grave
problème de synchronisation. Ce qui pour une partie de l’œuvre,
quelle que soit son importance, gâche un peu le tableau. Et puisque
l'on parle de tableaux, évoquons ceux qui traversent littéralement
le récit... cet aspect que renforcent des images absolument
éblouissantes de couleurs, des décors fantastiques donnant à
l'ensemble l'apparence d'une succession d’œuvres picturales du
plus bel effet. Quant à l'acteur principal, le chanteur d'opéra
italien Ruggero Raimondi, son charisme envoûte littéralement le
cadre et les spectateurs. Foisonnant de figurants et de décors
dantesques, Boris Godounov
n'est peut-être pas l'opéra rêvé mais permettra sans doute aux
néophytes d'introduire le genre sans trop de difficultés...
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