Comme si la mort et le
désespoir avaient jeté leur dévolu sur un petit village français
durant l'hiver 1917, Les Âmes Grises réserve
à ses spectateurs l'une des plongées dans la torpeur de la première
guerre mondiale les plus désolante. Triste à faire pleurer des
cailloux. A transformer les superbes décors de Dombasle-sur-Meurthe,
de Nancy, de Ville-sur-Saulx et de Vic-sur-Seille pour les faire
ressembler à de sinistres peintures d'où l'artiste-peintre aurait
oublié d'adjoindre la moindre couleur pour n'en laisser s'exprimer que des
teintes hivernales. Là-bas, on entend tonner les coups de cannons
comme autant de coups de tonnerre. Mais alors que la jeunesse
française s’agglutine sous son ciel voilé par les nuages
artificiels des explosifs, au village, comme un mal étrange
s'étendant au delà de la frontière qui le sépare du champ de
bataille, des événements tragiques vont se succéder. Comme une
extension au conflit. Comme si le Créateur posait son doigt
accusateur sur ceux qui eurent la faiblesse ou la chance d'échapper
au combat...
Mais
quel mal étrange atteint ce professeur qui après avoir sensiblement
perdu la tête en classe a choisi de revêtir sa chambre de messages
écrits à l'aide de ses excréments ? Sa remplaçante, la jolie
Lysia Verhareine, mérite-t-elle le sort qui bientôt va s'abattre
sur celui qu'elle aime et qui par conséquent offrira une bien triste
fin à leur amour ? Qui donc a tué cette petite fille et l'a
laissée là, au sol, dans le froid et l'humidité ? Qui donc est
le procureur Pierre-Ange Destinat, énigmatique, avare en parole et
apparemment dénué d'émotion ? Ou le juge Mierck qui cache
peut-être sous sa petitesse et ses rondeurs le mal absolu... ?
Comme les hurlements de celui que l'on va exécuter pour un meurtre
qu'il n'a pas commis, les pleurs d'une jeune femme qui vient de
perdre son amant au champ de bataille ou la souffrance silencieuse
d'un notable craint par son entourage, Les Âmes
Grises est
une œuvre douloureuse qui n'exploite que dans d'infimes proportions
la joie et le bonheur de certains de ses personnages. Des lettres
d'amour rassurantes, emplies des promesses d'une retrouvaille
prochaine. Ou plus simplement, le partage d'un dîner lorsque la solitude
se fait trop pesante. Et pourtant, malgré ces trop rares instants de
joie contenue, le long-métrage d'Yves Angelo adapté du roman
éponyme de Philippe Claudel paru un an auparavant en 2003 semble se
complaire dans la noirceur. Comme si toute bonne action devait y être
systématiquement salie.
Le
pouvoir de la Justice (injustice?) est ici, sans réserve. À travers
le portrait de ce juge formidablement interprété par le regretté
Jacques Villeret qui trouvait là, le moyen de laisser s'exprimer
tout son talent. Face à un Jean-Pierre Marielle de marbre. Imposant,
muet, mais non dénué d'émotion. Et d'ailleurs, de cet improbable
monceau de pessimisme auquel le réalisateur imprime un tel degré de
noirceur qu'il lui confère une aura presque fantastique, surnagent
quelques moments remarquablement touchants. Une émotion à fleur de
peau qui ne peut que s'effacer, si misérable soit-elle face à la
montagne d'horreurs qui s'empare du village et de ses habitants. Une
émotion qui ne fera pas le poids face à des actes dénués de
morale lorsque celle-ci tentera de percer la croûte d'un village
assiégé par un mal étrange. Celui de la corruption. Denis
Podalydès parcourt de sa fragile silhouette mais de son immense
talent Les Âmes Grises
dans le rôle du policier Aimé Lafaille. Michel Vuillermoz et Serge
Riaboukine y sont respectivement un maire et un aubergiste trop rares
à l'écran. Au son des cannons, sur un ton linéaire et un rythme
ankylosé, l’œuvre d'Yves Angelo tente d'imposer quelques
stupéfiants visuels. Comme cette institutrice face à un horizon
lointain d'où se font entendre les bombardements. Le spectacle est
remuant, âpre et éclairé de rarissime moments de joie. Une jolie
mais déprimante expérience cinématographique...
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