La première chose à
savoir lorsque l'on se lance dans le récit d'un peu plus de
cent-trente minutes que dure Lunes de Fiel,
le quatorzième long-métrage du cinéaste franco-polonais Roman
Polanski, c'est qu'il faut si possible se procurer la version
originale intitulée Bitter Moon
et
non pas celle qui efface en partie la sensualité d'Emmanuelle
Seigner, pour le coup, atrocement doublée. Il faut dire que cette
œuvre hype-sexuée vaut par tous ses compartiments. De la félinité
de l'actrice et épouse du réalisateur. De ses formes toutes en
courbes voluptueuses engoncées dans des robes ajustées. Et de ce
timbre incroyablement lancinant et pénétrant qui disparaît dans la
langue de Molière, échangée contre celle d'une agaçante gamine
qui la voudrait plus garce, mais aussi sans contexte, moins charnelle
(j'en suis encore à me demander si Emmanuelle Seigner n'a pas
elle-même sapé le travail!). Cette petite mise au point effectuée,
lançons-nous dans l'exploration de ces deux êtres passionnés (et
passionnants) livrant sans tabou, ce qu'il est sans doute raisonnable
de comparer à un amour destructeur... D'après l’œuvre du
romancier français Pascal Bruckner, Roman Polanski, John Brownjohn,
Jeff Gross et Gérard Brach (fidèle au cinéaste depuis son
Répulsion
de 1965) signent une œuvre belle, mais profondément malsaine. Où
l'amour côtoie la perversion. Le masochisme, le sadisme. Le
voyeurisme,l'exhibitionnisme.
La rencontre sur un paquebot de croisière entre le duo formé par Hugh Grant et Kristin Scott
Thomas. Un couple jeune, beau, mais classique. Et celui que composent
Emmanuelle Seigner et Peter Coyote. Atypique, sauvage, à la sexualité exacerbée. Entre dégoût et fascination, c'est tout
l'enjeu et toute l’ambiguïté qui tournent autour de l'étrange
relation qui naît entre le britannique Nigel Dobson et l'américain
Oscar Benton. Mais aussi entre Nigel et la française Micheline
Bouvier. Roman Polanski dresse l'état des lieux d'un amour qui
d'abord emprisonne le couple (passion, jalousie, vengeance), et qui
avec le temps, s'effiloche pour ne plus ressembler qu'à de
l'affection. Une complicité qu'il faut alors nourrir de jeux plus ou
moins cruels et brutaux, quitte à emporter avec soi un couple des
plus classique rencontré récemment. Le personnage incarné par
Peter Coyote reflète à merveille l'inéluctable achèvement de
cette passion dévorante qu'il partageait avec Micheline et qui ne
ressemble désormais plus qu'à de la pitié. De ce message aussi
bouleversant que cru qu'il délivre à Nigel au tout début jusqu'au
témoignage bouleversant d'un amour qui au fil du temps s'est
détérioré.
A ce titre, Emmanuelle Seigner est poignante, seule à y croire
encore alors qu'elle incarnait jusqu'à maintenant une jeune femme
délurée, immature, portant robes sexy et moulantes. La passion
étant désormais unilatérale, Micheline perd peu à peu de sa
féminité, avilie par celui qu'elle aime mais qui ne cesse désormais
de l'humilier. Lunes de Fiel devient inconfortable.
Pour Roman Polanski, le contrat est déjà rempli : le
spectateur s'identifie majoritairement au personnage de Micheline,
celui d'Oscar revêtant le visage du monstre. Et puis... Et puis...
Film sur l'amour passionnel, sur l'amour fou, Lunes de Fiel
se mue peu à peu en un cauchemar qui s'adresse directement au
spectateur. Avec une infinie justesse, le cinéaste signe sans aucun
doute l'un des plus beaux témoignages sur le thème de l'amour, au
point d'en oublier presque ses deux autres principaux interprètes
Hugh Grant et Kristin Scott Thomas. La musique de Vangelis apporte un
souffle romanesque presque désuet, magnifiant la mise en scène de
Roman Polanski et la prodigieuse interprétation d'Emmanuelle Seigner
et Peter Coyote. Un chef-d’œuvre ? Oui,sans conteste...
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