L'air de rien, le
réalisateur, scénariste et compositeur Quentin Dupieux continue son
petit bonhomme de chemin. Sans déroger à la règle qu'il semble
s'être imposé depuis ses débuts derrière la caméra au tout début
du vingtième siècle avec Nonfilm,
le cinéaste enchaîne des projets aussi ambitieux qu'iconoclastes,
parfois fermement rejetés par une grosse partie du public (Steak,
l'incompris), mais dont aucun n'a jamais laissé indifférent, que
l'on adhère ou non à l'univers de celui qui se cache régulièrement
sous le nom de Mr
Oizo.
Après un Réalité
d'excellente facture sorti il y a trois ans, il était temps que
Quentin Dupieux se remette au travail à la réalisation, ainsi qu'à
l'écriture. Il aura donc fallut attendre trois longues années avant
de pouvoir enfin toucher du doigt ou du moins contempler de nos
mirettes l'étrange objet qu'est Au Poste.
Pour cette nouvelle aventure au pays de Quentin Dupieux, le cinéaste
convie l'acteur belge Benoît Poelvoorde, ainsi que les français
Grégoire Ludig. Philippe Duquesne, Anaïs Demoustier, l'humoriste
Marc Fraize ou encore le rappeur Orelsan. Quentin Dupieux compose une
œuvre qui sous la forme d'une pièce en trois actes propose une
exposition sans en présenter les principaux personnages (Au
Poste
s'ouvre effectivement sur l'interprétation d'une symphonie dirigée
par un chef-d'orchestre quasiment nu que l'on ne verra plus par la
suite) et se conclue par un dénouement totalement inattendu.
Le
cœur de l'intrigue y étant foncièrement classique, c'est la forme
que prennent les événements qui rendent le nouveau long-métrage
aussi décalé que les précédents. Sans doute pas aussi dément
qu'un Rubber
dont le personnage principal est quand même un pneu serial killer
investi de pouvoirs psychokinétiques, Au Poste
peut
se voir comme un Garde à Vue
dézingué par la vision sous acide d'un cinéaste n'ayant aucune
contrainte de la part de ses producteurs Matthieu et Thomas Verhaeghe,
tous deux responsables de la société de production Atelier
de Production
qui devrait logiquement voir éclore l'année prochaine, le prochain
long-métrage de Quentin Dupieux, Le Daim.
A la suite d'un préambule irrésistible dont on cherche encore le
sens, le spectateur pénètre dans les locaux d'un commissariat,
entre les quatre murs en béton d'une salle d'interrogatoire où
officie le commissaire Buron, lequel est chargé d'enquêter sur le
meurtre d'un homme retrouvé mort, le crâne défoncé à l'aide d'un
fer à repasser. Face à lui, le principal suspect, Louis Fugain.
Celui-là même qui n'est autre que l'homme qui a découvert le
cadavre et téléphoné à la police. La soirée s'annonce longue
pour les deux hommes qui s'engagent non pas dans un bras de fer aussi
fort émotionnellement que celui qui opposa Lino Ventura et Michel
Serrault dans le film de Claude Miller cité plus haut, mais dans un
dialogue qui n'a d'égal que ceux des longs-métrages qu'a réalisé
auparavant Quentin Dupieux. Absurde et parcouru d'éclairs de génie, Au Poste réalise la périlleuse mission de renouveler une comédie française embourbée dans un registre d'une pauvreté artistique inouïe à laquelle, pourtant, le public continue d'adhérer on ne sait par quel miracle. Ou plutôt si, on sait pour quelle raison : faute de mieux. Et ce mieux, c'est Quentin Dupieux qui nous invite à le découvrir. Un univers qui dérange, interroge, tandis que le public fait les gros yeux tout en souriant, totalement effaré par ce parangon du « non sens » maîtrisé, parcouru d'idées dont il faudra un jour questionner leur auteur sur leurs origines.
Pourquoi a-t-il fait du personnage interprété par Marc Fraize, un
cyclope ? Pourquoi celui de Philippe Duquesne possède-t-il un
handicap à la jambe gauche ? Pourquoi encore, ce voisin
travesti passe-t-il son temps à épier ses voisins ? Des
questions sans réponses, mais une approche qui depuis quelques
années démontre la volonté de Quentin Dupieux de mettre la « différence » à l'honneur comme cela était déjà le cas avec le personnage incarné par Eric Judor dans le culte Wrong Cops. Le cinéaste inverse la logique des événements, mêle passé présent et pseudo-futur tout en y faisant déambuler des personnages qui ne se connaissent pas encore. Tout ça sur fond d'intrigue policière gangrenée par une logique policière qui n'appartient qu'au commissaire qu'incarne avec génie le toujours excellent Benoît Poelvoorde. Au Poste peut paraître totalement absurde (ce qu'il est, je le répète). Certains pourraient même l'envisager comme une escroquerie. Tout au moins parviendra-t-il à éveiller la conscience des insomniaques qui ont pris pour habitude de s'enfermer dans les salles obscures afin de s'y reposer le temps d'un film... Le dernier long-métrage est sans conteste un Objet Culte Non Identifié...
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