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mercredi 20 juin 2018

The Shining de Stanley Kubrick (1980) - ★★★★★★★★☆☆



Il demeure une logique implacable quant à la présence de l'acteur Jack Nicholson au générique de The Shining, l'adaptation cinématographique du roman éponyme que le plus populaire et le plus adapté au cinéma des romanciers, Stephen King, écrivit en 1977. Car bien qu'il reste à prouver que le personnage qu'il interpréta dans le chef-d’œuvre de Miloš Forman Vol au Dessus d'un Nid de Coucou fut véritablement fou, Jack Nicholson incarne à merveille cette folie insidieuse qui s'emparera de Jack Torrance, l’écrivain et père de famille de The Shining, dont le cinéaste américain Stanley Kubrick donnera une vision du roman qui restera selon Stephen King, inférieure au téléfilm auquel ce dernier participera en tant que scénariste en 1997 (lorsque l'on connaît la piètre carrière de cinéaste de ce génial faiseur d'épouvante, on peut relativiser sur l'avis qu'il émit sur l’œuvre de Stanley Kubrick). Ce qu'il faut savoir avant tout autre chose avant de se lancer dans la projection de The Shining, c'est qu'il en existe trois versions. 
La première, la plus longue (146 minutes), vit le jour sur grand écran aux États-Unis le 23 mai 1980, mais ne tint la route que pendant trois jours. Stanley Kubrick et la société de production et de distribution Warner Bros imposèrent en effet aux projectionnistes que deux minutes soient retirées des bandes. Il s'agissait d'une scène durant laquelle nous assistions à la visite de Danny et de sa mère Wendy (le fils et l'épouse du héros) par le directeur de l’hôtel Overlook à la toute fin du film. Le film passant de 146 minutes à 144, il ne rencontra pas le succès escompté (ce fait n'ayant évidemment rien à voir avec la coupe de deux minutes). Les critiques quant à elle se révélèrent plutôt négative. C'est ainsi que Stanley Kubrick décida de remonter son film, ce dernier passant par des coupes drastiques accentuant peut-être le rythme de l’œuvre, mais laissant sur le carreau, un spectateur qui mettra plus de temps qu'il n'en faut pour comprendre notamment les rapports ambigus qu'entretiennent Jack et son fils Danny. L'Europe accueilla ainsi le onzième long-métrage du cinéaste américain en salle le 16 octobre 1980 (la France servant ici de référence). Une version expurgée de vingt-sept minutes, raccourcissant The Shining à la durée de 119 minutes.

Au générique, le spectateur aura l'agréable surprise de retrouver la (le) compositrice (teur) d'Orange Mécanique, Wendy (Walter) Carlos, qui sept ans après sa transition féminine reviendra au cinéma avec The Shining pour lequel elle (il) adaptera dans une version électronique éminemment anxiogène, le Dies Irae de la Symphonie Fantastique d'Hector Berlioz, accompagné(e) sur le projet par la compositrice Rachel Elkind. Stanley Kubrick qui avait régulièrement pour habitude de se servir dans l’œuvre du compositeur hongrois György Ligeti lui emprunte cette fois-ci le Lontano. On peut notamment entendre des extraits de Musique pour cordes, percussion et célesta du compositeur lui aussi d'origine hongroise Béla Bartók, ainsi que six compositions du compositeur polonais Krzysztof Penderecki dont Untrenja, De Natura Sonoris No.1 & 2, ou encore Polymorphia.

Redrum

L'horreur de The Shining repose sur plusieurs éléments, extraordinaires ou non. Le fantastique surgit du pouvoir dont est détenteur le jeune Danny. Le 'Shining' du titre. Succinctement expliqué dans l’œuvre de Stephen King (traduite chez nous sous le titre L'Enfant-Lumière), il est clair sur grand écran que l'enfant est pourvu des dons de prescience et de télépathie. Don qu'il partage avec le cuisinier Dick Hallorann, incarné par l'acteur Scatman Crothers déjà vu aux côtés de Jack Nicholson dans Vol au Dessus d'un Nid de Coucou cinq ans auparavant. Autre élément surnaturel se concrétisant notamment lors de la libération de Jack de la pièce dans laquelle l'a enfermé son épouse Wendy (l'actrice Shelley Duvall): la présence de fantômes. Prenant notamment la forme d'un barman, de deux sœurs jumelles, de leur père Delbert Grady, ou encore d'une très effrayante vieille femme nue vivant dans la fameuse chambre 237 à laquelle Dick Hallorann refuse l'accès à Danny. Mais l'horreur y prend parfois également une forme beaucoup plus concrète, ici perçue à travers le personnage incarné par Jack Nicholson, lequel s'enfonce peu à peu dans une certaine forme de psychose liée à plusieurs éléments. Le stress tout d'abord puisque pour Jack, démontrer sa valeur à ceux qui l'ont employé à l'entretien de l’hôtel Overlook durant la période hivernale est essentiel. Autre événement le touchant de très près. L'écriture d'un roman qui n'avance pas. Du moins, pas dans sa forme classique comme nous le relèvera une scène particulièrement tendue confrontant Wendy aux centaines de pages dactylographiées par son époux (dont les cinq-cent feuillés furent paraît-il tapés par Stanley Kubrick lui-même). Comme l'envisagent certains passages, l'alcoolisme dont semble être atteint le personnage de Jack ne fera qu'amplifier sa psychose. Comme le fera également la méfiance accrue dont feront preuve son épouse et leur enfant à son égard (et qu'une assez longue scène coupée dans la version européenne expliquait alors au début du long-métrage). Et puis, il y a cette immense bâtisse. Avec ses pièces aux dimensions démesurées. Ses longs couloirs interminables. Cet isolement de plus en plus présent, surtout lorsqu'une tempête de neige condamne la petite famille à demeurer à l’hôtel jusqu'au mois d'avril à venir. Et puis il y a cette fameuse chambre 237, fruit de nombreux fantasmes, qui donna lieu en 2012 à un excellent documentaire consacré au film de Stanley Kubrick et intitulé Room 237.

Le tournage ne semble pas s'être déroulé sans heurts, surtout pour la pauvre Shelley Duvall comme le montrèrent d'édifiantes images d'archive durant lesquelles l'actrice fut poussée à bout par un Stanley Kubrick semblant prendre beaucoup de plaisir à la pousser au delà de ses propres limites. Au point même que Shelley Duvall tomba malade lors du tournage. Maniaque, le cinéaste obligea son actrice à tourner 127 prises de la fameuse scène dans les escaliers, celle-là même où elle tente de repousser Jack à l'aide d'une batte de base-ball...


Scènes additionnelles

La première d'entre elles voit Bill Watson et le directeur de l'Overlook au sujet de Jack. On y apprend notamment que l'écrivain était à l'origine enseignant. Le directeur explique ensuite à Jack les raisons pour lesquelles l’hôtel est fermé du mois d'octobre au mois de mai suivant. La scène suivante demeure particulièrement intéressante puisque l'on y découvre ce qui sera détaillé bien plus tard durant le récit : la maltraitance dont est victime Danny de la part de son père. C'est lors d'un entretien entre Wendy et un médecin venu ausculter l'enfant après un malaise que l'on découvre l'alcoolisme de Jack et la violence dont il fit preuve envers son enfant.Une scène dépassant très largement les cinq minutes, essentielles à la bonne compréhension de la psychologie des personnages, malheureusement coupée dans la version européenne.
La visite de l’hôtel Overlook est dans cette version intégrale, plus longue de quelques minutes. Wendy, émerveillée par les peintures navajo se voit expliquer le passé de l'Overlook. Une scène qui renvoie directement aux propos tenus par le directeur et signifiant la légende selon laquelle l’hôtel aurait été bâtit sur un cimetière indien (idée récurrente chez Stephen King). La visite de l'appartement dont prendront demeure les Torrance durant leur séjour est également plus longue. C'est aussi l'occasion pour les personnages et pour les spectateurs, de faire la connaissance avec le 'Salon d'or', là-même où Jack se retrouvera plus tard à converser avec le fantôme d'un barman.
L'ajout suivant est également très intéressant puisqu'après avoir apporté son petit-déjeuner à Jack alors qu'ils sont désormais seuls en famille à l'Overlook, Wendy précise son nouvel intérêt pour l’hôtel tandis que Jack, lui, précise qu'il a l'impression d'y être déjà venu. Cette précision du père de famille fait directement écho à la scène située dans les toilettes lors de sa conversation avec le fantôme de Delbert Grady qui indique à Jack que ce dernier a toujours fait partie de l’hôtel Overlook.
Quelques petits rajouts viennent ensuite se greffer à la version expurgée (la scène où Jack joue à la balle est rallongée de cinq secondes, Wendy prépare à manger dans la cuisine, etc...), puis un autre montre Danny demander à sa mère l'autorisation d'aller chercher son camion de pompier dans la chambre où se repose Jack. Quant au passage durant lequel Jack s'installe au bar pour y boire du whisky après cinq mois d'abstinence, la scène est plus longue de soixante-quinze secondes.
Après un passage rallongé durant lequel Jack évoque Danny à Wendy, la mère et l'enfant partagent à nouveau une conversation lors d'une scène qui durera deux minutes trente environ. On y voit Wendy préoccupée, tentée de quitter l’hôtel en compagnie de Danny lorsque retentit la voix de l'enfant dans sa chambre, lequel répète inlassablement le mot 'Redrum' avant de servir un inquiétant message à sa mère : « Danny n'est pas là, Mme Torrance. Danny est parti ».

Dans la scène suivante, nous découvrons Jack manipulant la radio permettant de communiquer avec l'extérieur. Cette fois-ci, il ne se contente plus de retirer une pièce de l'appareil, mais trois. Le cuisinier Dick Hallorann prend alors conscience de l’impossibilité d'entrer en contact avec l'hôtel et décide de s'y rendre. L'ajout suivant s'intéresse de plus près à Dick lors de son déplacement pour l'hôtel Overlook. On le voit notamment s'intéresser au temps qu'il fait aux environs de l'hôtel puis demande à un garagiste de lui préparer la chenillette qui lui permettra de s'y rendre malgré les intempéries.Une fois encore, la scène coupée suivante montre un dialogue entre Danny et sa mère. Le gamin semble absent, possédé par son ami imaginaire Tony. Cette scène fait la liaison avec la suivante lors de laquelle Wendy menacera Jack à l'aide d'une batte de base-ball. Le dernier ajout constitue sans doute l'élément fantastique le plus probant du film puisque l'on y découvre Wendy dans le salon principal de l'Overlook. Là, elle est directement confrontée à une pièce investie par les toiles d'araignées et par les squelettes des anciens clients de l'hôtel...

Bien que dénigré par l'auteur du roman original, The Shining se révèle être une excellente surprise, par un auteur peu habitué au surnaturel et à l'horreur bien que le genre ne le laissa pas indifférent. Admirablement incarné par Jack Nicholson, Shelley Duvall, le jeune Danny Lloyd (dont il s'agira de la seule performance au cinéma) et même le trop rare Scatman Crothers, le film de Stanley Kubrick est désormais considéré comme l'un des grands classiques de l'horreur. Ce qu'il est en définitive. Sans doute pas le meilleur de son auteur, mais quand même une valeur sûre dans le genre...


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