Il demeure une logique
implacable quant à la présence de l'acteur Jack Nicholson au
générique de The Shining,
l'adaptation cinématographique du roman éponyme que le plus
populaire et le plus adapté au cinéma des romanciers, Stephen King,
écrivit en 1977. Car bien qu'il reste à prouver que le personnage
qu'il interpréta dans le chef-d’œuvre de Miloš Forman Vol
au Dessus d'un Nid de Coucou
fut véritablement fou, Jack Nicholson incarne à merveille cette
folie insidieuse qui s'emparera de Jack Torrance, l’écrivain et
père de famille de The Shining,
dont le cinéaste américain Stanley Kubrick donnera une vision du
roman qui restera selon Stephen King, inférieure au téléfilm
auquel ce dernier participera en tant que scénariste en 1997
(lorsque l'on connaît la piètre carrière de cinéaste de ce génial
faiseur d'épouvante, on peut relativiser sur l'avis qu'il émit sur
l’œuvre de Stanley Kubrick). Ce qu'il faut savoir avant tout autre
chose avant de se lancer dans la projection de The
Shining,
c'est qu'il en existe trois versions.
La première, la plus longue
(146 minutes), vit le jour sur grand écran aux États-Unis le 23 mai
1980, mais ne tint la route que pendant trois jours. Stanley Kubrick
et la société de production et de distribution Warner
Bros
imposèrent en effet aux projectionnistes que deux minutes soient
retirées des bandes. Il s'agissait d'une scène durant laquelle nous
assistions à la visite de Danny et de sa mère Wendy (le fils et
l'épouse du héros) par le directeur de l’hôtel Overlook à la
toute fin du film. Le film passant de 146 minutes à 144, il ne
rencontra pas le succès escompté (ce fait n'ayant évidemment rien
à voir avec la coupe de deux minutes). Les critiques quant à elle
se révélèrent plutôt négative. C'est ainsi que Stanley Kubrick
décida de remonter son film, ce dernier passant par des coupes
drastiques accentuant peut-être le rythme de l’œuvre, mais
laissant sur le carreau, un spectateur qui mettra plus de temps qu'il
n'en faut pour comprendre notamment les rapports ambigus
qu'entretiennent Jack et son fils Danny. L'Europe accueilla ainsi le
onzième long-métrage du cinéaste américain en salle le 16 octobre
1980 (la France servant ici de référence). Une version expurgée de
vingt-sept minutes, raccourcissant The Shining
à la durée de 119 minutes.
Au
générique, le spectateur aura l'agréable surprise de retrouver la
(le) compositrice (teur) d'Orange Mécanique,
Wendy (Walter) Carlos, qui sept ans après sa transition féminine
reviendra au cinéma avec The Shining
pour lequel elle (il) adaptera dans une version électronique
éminemment anxiogène, le Dies
Irae
de la Symphonie
Fantastique
d'Hector Berlioz, accompagné(e) sur le projet par la compositrice
Rachel Elkind. Stanley Kubrick qui avait régulièrement pour
habitude de se servir dans l’œuvre du compositeur hongrois György
Ligeti lui emprunte cette fois-ci le Lontano.
On peut notamment entendre des extraits de Musique
pour cordes, percussion et célesta
du compositeur lui aussi d'origine hongroise Béla Bartók, ainsi que
six compositions du compositeur polonais Krzysztof
Penderecki dont Untrenja,
De Natura Sonoris No.1
& 2,
ou encore Polymorphia.
Redrum
L'horreur
de The Shining
repose sur plusieurs éléments, extraordinaires ou non. Le
fantastique surgit du pouvoir dont est détenteur le jeune Danny. Le
'Shining'
du titre. Succinctement expliqué dans l’œuvre de Stephen King
(traduite chez nous sous le titre L'Enfant-Lumière),
il est clair sur grand écran que l'enfant est pourvu des dons de
prescience et de télépathie. Don qu'il partage avec le
cuisinier Dick Hallorann, incarné par l'acteur Scatman Crothers déjà
vu aux côtés de Jack Nicholson dans Vol au
Dessus d'un Nid de Coucou
cinq ans auparavant. Autre élément surnaturel se concrétisant
notamment lors de la libération de Jack de la pièce dans laquelle
l'a enfermé son épouse Wendy (l'actrice Shelley Duvall): la
présence de fantômes. Prenant notamment la forme d'un barman, de
deux sœurs jumelles, de leur père Delbert Grady, ou encore d'une
très effrayante vieille femme nue vivant dans la fameuse chambre 237
à laquelle Dick Hallorann refuse l'accès à Danny. Mais l'horreur
y prend parfois également une forme beaucoup plus concrète, ici
perçue à travers le personnage incarné par Jack Nicholson, lequel
s'enfonce peu à peu dans une certaine forme de psychose liée à
plusieurs éléments. Le stress tout d'abord puisque pour Jack,
démontrer sa valeur à ceux qui l'ont employé à l'entretien de
l’hôtel Overlook
durant la période hivernale est essentiel. Autre événement le
touchant de très près. L'écriture d'un roman qui n'avance pas. Du
moins, pas dans sa forme classique comme nous le relèvera une scène
particulièrement tendue confrontant Wendy aux centaines de pages
dactylographiées par son époux (dont les cinq-cent feuillés furent
paraît-il tapés par Stanley Kubrick lui-même). Comme l'envisagent
certains passages, l'alcoolisme dont semble être atteint le
personnage de Jack ne fera qu'amplifier sa psychose. Comme le fera
également la méfiance accrue dont feront preuve son épouse et leur
enfant à son égard (et qu'une assez longue scène coupée dans la
version européenne expliquait alors au début du long-métrage). Et
puis, il y a cette immense bâtisse. Avec ses pièces aux dimensions
démesurées. Ses longs couloirs interminables. Cet isolement de plus
en plus présent, surtout lorsqu'une tempête de neige condamne la
petite famille à demeurer à l’hôtel jusqu'au mois d'avril à
venir. Et puis il y a cette fameuse chambre 237, fruit de nombreux
fantasmes, qui donna lieu en 2012 à un excellent documentaire
consacré au film de Stanley Kubrick et intitulé Room
237.
Le
tournage ne semble pas s'être déroulé sans heurts, surtout pour la
pauvre Shelley Duvall comme le montrèrent d'édifiantes images
d'archive durant lesquelles l'actrice fut poussée à bout par un
Stanley Kubrick semblant prendre beaucoup de plaisir à la pousser au
delà de ses propres limites. Au point même que Shelley Duvall tomba
malade lors du tournage. Maniaque, le cinéaste obligea son actrice à
tourner 127 prises de la fameuse scène dans les escaliers, celle-là
même où elle tente de repousser Jack à l'aide d'une batte de
base-ball...
Scènes
additionnelles
La
première d'entre elles voit Bill Watson et le directeur de
l'Overlook
au sujet de Jack. On y apprend notamment que l'écrivain était à
l'origine enseignant. Le directeur explique ensuite à Jack les
raisons pour lesquelles l’hôtel est fermé du mois d'octobre au
mois de mai suivant. La scène suivante demeure particulièrement
intéressante puisque l'on y découvre ce qui sera détaillé bien
plus tard durant le récit : la maltraitance dont est victime
Danny de la part de son père. C'est lors d'un entretien entre Wendy
et un médecin venu ausculter l'enfant après un malaise que l'on
découvre l'alcoolisme de Jack et la violence dont il fit preuve
envers son enfant.Une scène dépassant très largement les cinq
minutes, essentielles à la bonne compréhension de la psychologie
des personnages, malheureusement coupée dans la version européenne.
La
visite de l’hôtel Overlook
est
dans cette version intégrale, plus longue de quelques minutes.
Wendy, émerveillée par les peintures navajo se voit expliquer le
passé de l'Overlook.
Une scène qui renvoie directement aux propos tenus par le directeur
et signifiant la légende selon laquelle l’hôtel aurait été
bâtit sur un cimetière indien (idée récurrente chez Stephen
King). La visite de l'appartement dont prendront demeure les Torrance
durant leur séjour est également plus longue. C'est aussi
l'occasion pour les personnages et pour les spectateurs, de faire la
connaissance avec le 'Salon
d'or',
là-même où Jack se retrouvera plus tard à converser avec le
fantôme d'un barman.
L'ajout
suivant est également très intéressant puisqu'après avoir apporté
son petit-déjeuner à Jack alors qu'ils sont désormais seuls en
famille à l'Overlook,
Wendy précise son nouvel intérêt pour l’hôtel tandis que Jack,
lui, précise qu'il a l'impression d'y être déjà venu. Cette
précision du père de famille fait directement écho à la scène
située dans les toilettes lors de sa conversation avec le fantôme
de Delbert Grady qui indique à Jack que ce dernier a toujours fait
partie de l’hôtel Overlook.
Quelques
petits rajouts viennent ensuite se greffer à la version expurgée
(la scène où Jack joue à la balle est rallongée de cinq secondes,
Wendy prépare à manger dans la cuisine, etc...), puis un autre
montre Danny demander à sa mère l'autorisation d'aller chercher son
camion de pompier dans la chambre où se repose Jack. Quant au
passage durant lequel Jack s'installe au bar pour y boire du whisky
après cinq mois d'abstinence, la scène est plus longue de
soixante-quinze secondes.
Après
un passage rallongé durant lequel Jack évoque Danny à Wendy, la
mère et l'enfant partagent à nouveau une conversation lors d'une
scène qui durera deux minutes trente environ. On y voit Wendy
préoccupée, tentée de quitter l’hôtel en compagnie de Danny
lorsque retentit la voix de l'enfant dans sa chambre, lequel répète
inlassablement le mot 'Redrum'
avant de servir un inquiétant message à sa mère : « Danny
n'est pas là, Mme Torrance. Danny est parti ».
Dans
la scène suivante, nous découvrons Jack manipulant la radio
permettant de communiquer avec l'extérieur. Cette fois-ci, il ne se
contente plus de retirer une pièce de l'appareil, mais trois. Le
cuisinier Dick Hallorann prend alors conscience de l’impossibilité
d'entrer en contact avec l'hôtel et décide de s'y rendre. L'ajout
suivant s'intéresse de plus près à Dick lors de son déplacement
pour l'hôtel Overlook.
On le voit notamment s'intéresser au temps qu'il fait aux environs
de l'hôtel puis demande à un garagiste de lui préparer la
chenillette qui lui permettra de s'y rendre malgré les intempéries.Une
fois encore, la scène coupée suivante montre un dialogue entre
Danny et sa mère. Le gamin semble absent, possédé par son ami
imaginaire Tony. Cette scène fait la liaison avec la suivante lors
de laquelle Wendy menacera Jack à l'aide d'une batte de base-ball. Le
dernier ajout constitue sans doute l'élément fantastique le plus
probant du film puisque l'on y découvre Wendy dans le salon
principal de l'Overlook.
Là, elle est directement confrontée à une pièce investie par les
toiles d'araignées et par les squelettes des anciens clients de
l'hôtel...
Bien
que dénigré par l'auteur du roman original, The
Shining se révèle être
une excellente surprise, par un auteur peu habitué au surnaturel et
à l'horreur bien que le genre ne le laissa pas indifférent.
Admirablement incarné par Jack Nicholson, Shelley Duvall, le jeune
Danny Lloyd (dont il s'agira de la seule performance au cinéma) et
même le trop rare Scatman Crothers, le film de Stanley Kubrick est
désormais considéré comme l'un des grands classiques de l'horreur.
Ce qu'il est en définitive. Sans doute pas le meilleur de son
auteur, mais quand même une valeur sûre dans le genre...
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