C'est la cinquième fois
que l'actrice Gena Rowlands tourne sous la direction de son époux
John Cassavetes, et la seconde pour Peter Falk. En Comparaison avec
Husbands,
réalisé quatre ans auparavant, A Woman Under
the Influence semble
avoir partiellement fait l'impasse sur la stricte improvisation de
certaines scènes clés du cinquième long-métrage de
son auteur. Désormais, tout paraît y être sous contrôle. De la
mise en scène jusqu'à l'interprétation. Et pourtant, ce qui
demeure encore aujourd'hui comme l'une des plus grandes œuvres de
John Cassavetes ne trahit aucune concession. Le regard du cinéaste
est lucide, sincère, et peu ou pas manichéen. Il exprime cette
vérité que d'aucun a l'habitude de camoufler sous le fard
divertissant de la fiction. Les personnages, ici, nous semblent
familiers. Comme ces voisins de pallier s’entre-déchirant, criant
leur désespoir sans se soucier du qu'en dira-t-on. Voyeuriste diront
certains tandis que d'autres y verront justement ce cinéma-vérité
dont John Cassavetes se faisait le chantre.
Une fois encore, c'est
l'occasion pour le cinéaste de laisser éclater le talent de ses
interprètes. Peter Falk et Gena Rowlands tenant à bout de bras ce
fragile édifice écrit par John Cassavetes lui-même. Un auteur
complet, qui n'hésitait pas à prendre des risques. Il y a, de toute
façon, un public pour ce genre de spectacle. Il faut bien comprendre
que l'on s'éloigne du schéma classique. John Cassavetes instaure un
climat très particulier. Presque les fondations du found-footage (si
l'on ose dire), caméra portée à l'épaule, mais sans les
insupportables gimmicks (sauts d'image, tremblements, etc...). Le
cinéaste ne satisfait l'ego de personne. Ou bien alors,
inconsciemment celui du fidèle spectateur qui depuis ses débuts,
est littéralement subjugué par l’œuvre du maître.
Autant, quatre ans
auparavant, on pouvait comprendre le rejet de certains pour un
Husbands
parfois hermétique. Mais désormais, la moindre excuse n'a plus de
valeur marchande. A Woman Under the Influence est
une œuvre grandiose. Un chef-d’œuvre bouleversant. Un hymne fait
à un duo d'interprètes au sommet de leur art. Le septième
long-métrage de John Cassavetes présente un couple au bord de la
rupture. Parents de trois très jeunes enfants (dont un Matthew
Laborteaux que les fans de La Petite Maison dans
la Prairie reconnaîtront
puisqu'il y interpréta le rôle d'Albert Ingalls), Nick et Mabel
Longhetti paraissent imposer à leur couple des difficultés que l'on
aura d'autant plus de mal à comprendre que tout pourrait les rendre
heureux, si ce satané démon de l'alcool ne s'était pas
interposé entre eux. A Woman Under the
Influence,
c'est aussi et surtout ce besoin de donner de l'amour que refoule
parfois Mabel envers un Nick incapable de le recevoir. John
Cassavetes n'attend pas des lustres avant de décrire la lente
déchéance du personnage incarné par son épouse à la ville. Dès
le début, le malaise s'instaure. Ce besoin irrépressible de
tendresse de son héroïne étant contrecarré par l'absence de son
époux retenu sur un chantier trouve une solution maladroite qui
mettra le feu au poudres et déclenchera une série d'événements
dont le plus important sera l'internement de cette mère de famille
psychologiquement instable.
Plutôt
que de faire de l'alcoolisme de son héroïne le seul responsable de
sa déchéance, John Cassavetes offre à son ami Peter Falk un rôle
des plus ambigu, et qui ne manque pas d'interroger le spectateur sur
sa propre responsabilité. A sa manière, aussi instable que son
épouse, Nick manque de cette chaleur dont a besoin Mabel, laquelle
la trouve en se réfugiant dans l'alcool. A ce propos, nous noterons
l'extrême pudeur du cinéaste qui n'abuse à aucun moment des
séquences où son héroïne boit. De même que cette relation
adultère alcoolisée ouvrant pratiquement le film nous est épargnée
à travers une ellipse. Nous ne sommes pas là pour juger mais pour
être les témoins de la destruction partielle d'une cellule
familiale, laquelle sera sauvée in extremis. Le duo Gena
rowlands-Peter Falk explose littéralement à l'écran. John
Cassavetes nous offrant un très grand moment de cinéma.
Il
est difficile de rester indifférent devant telle performance. Et
même quasiment impossible. Que l'on adhère ou pas, A
Woman Under the Influence est
une œuvre qui quarante-quatre ans après sa sortie a conservé toute
sa force. Un très grand film...
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