Je ne crois pas avoir
déjà eu l'occasion de découvrir l'actrice franco-finlandaise Nadia
Tereszkiewicz sur un écran de cinéma ou de télévision autrement
qu'à travers le démentiel Seules les bêtes
de Dominik Moll en 2019 mais après l'avoir également
découverte tout récemment dans le formidable Rosalie
de Stéphanie Di Giusto, il devient évidemment qu'il va falloir
consacrer à la jeune femme plus que les quelques rôles éparses que
certains lui ont confié ces dernières années face à un Benoît
Magimel toujours aussi magistral, l'actrice de vingt-huit ans incarne
le rôle relativement compliqué de celle qui donne son nom au film..
Rosalie, jeune femme charmante, qui se préoccupe très
singulièrement de son apparence (et l'on comprendra très rapidement
pourquoi) est une fille de la campagne française du milieu du
dix-neuvième siècle. Vivant avec son père Paul (Gustave Kervern)
qui la destine à épouser le rustre Abel Leduc (Benoît Magimel),
propriétaire d'un café dont la fermeture et le rachat semblent être
déjà programmés par le notable Barcelin (Benjamin Biolay), Rosalie
cache un lourd secret. Promettant amour et vérité à son futur mari
lors de leur union à l'église, celui-ci ne va pas tarder à
découvrir que sa jeune épouse lui a caché qu'elle est atteinte
d’hypertrichose. En clair, Rosalie est dotée d'une pilosité
particulièrement abondante pour une personne de sexe féminin. Un
duvet recouvre une grande partie de son corps tandis qu'elle est
contrainte de se raser le visage et de camoufler sous une épaisse
couche de maquillage les signes avant coureurs de cet étonnant
symptôme... Les deux principaux interprètes effacent littéralement
toute concurrence. Celle qui relie leur personnage respectif à
celles et ceux qui croisent leur chemin durant ce récit proche des
deux heures. En jeune femme pleine de vie et en homme bourru, Nadia
Tereszkiewicz et Benoît Magimel campent un étonnant duo. Un couple
hors norme dont chaque personnalité est tout d'abord nourrie de
blessures et d'angoisses.
Dans
un milieu rural qui ne pardonne à aucun moment la différence,
l'intégration de la jeune femme apparaît tout d'abord comme une
anomalie, finalement bien acceptée par la communauté (quoique
l'excellent Guillaume Gouix dans le rôle de Pierre persiste à se
montrer aussi inquiétant qu'ambigu) et ne laissant certains hommes
pas tout à fait indifférents. Les caractères les plus inflexibles
cédant parfois sous le charme très particulier de cette jeune femme
qui pour aider son époux à conserver son bien va se laisser
pousser la barbe afin d'attirer la clientèle. Alors que Stéphanie
Di Giusto s'amuse consciemment ou non à nous rappeler les origines
artistiques de Benjamin Biolay (son doigt posé sur l'une des touches
du piano installé dans le bar d'Abel) ou sa filiation avec Anna
Biolay qui dans Rosalie
incarne l'une de ses employées prénommée Jeanne, laquelle rappelle
à notre héroïne que son employeur la traite comme s'il était son
père ! Tourné dans les remarquables environnements des Forges
des Salles en Centre-Bretagne dans les communes de Perret et
Sainte-Brigitte, le long-métrage bénéficie tout d'abord d'une
photographie somptueuse signée de Christos Voudouris. Laquelle
renvoie à certaines grandes œuvres picturales rendant hommage à la
ruralité d'il y a près de deux-cent ans. On pense alors à Léon
Lhermitte, à Julien Dupré ou encore à Jean-Alexis Achard... Vient
ensuite la partition musicale de la compositrice, chanteuse et
pianiste polonaise Hania Rani qui d'emblée donne le ton à ce récit
remarquable où s'entremêlent la beauté et la bestialité des
sentiments, la cruauté et le rejet, la curiosité aussi, sans que
celle-ci ne soit pour autant jamais compromise par un quelconque
désir de voyeurisme. Mais ce que l'on observe bien avant toute autre
chose est ce formidable duo incarné par deux interprètes de talent.
Entre force et fragilité, l'un et l'autre des principales
incarnations devenant ainsi interchangeables. Écrit et réalisé par
une femme sur la base d'une authentique histoire, il ne pouvait
d'ailleurs en être autrement. On sort de l'aventure totalement
séduit par ce récit qui entre des mains maîtrisant mal ce genre de
sujet aurait pu tourner au ridicule. Plus de quatre-vingt dix ans
après Tod Browning et son mythique Freaks, la
monstrueuse parade,
Stéphanie Di Giusto rend à son tour et de la plus digne des
manières, un hommage à la différence...
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