Pour son troisième
long-métrage intitulé Pas de vague,
le réalisateur, scénariste et ancien professeur de français Teddy
Lussi-Modeste met en scène l'acteur François Civil dans le rôle de
Julien, prof de lettres respecté de ses élèves qui un jour apprend
que parmi eux, la jeune Leslie (Toscane Duquesne) l'accuse de
harcèlement. Auteur du script aux côtés de la romancière
franco-libanaise Audrey Diwan, le réalisateur sait très précisément
de quoi il parle puisque au temps de sa propre carrière de
professeur d'un collège situé à Aubervilliers en
Seine-Saint-Denis, il fut lui-même au centre d'un fait-divers où
injustement accusé il se senti notamment menacé par les grands
frères d'une adolescente de treize ans qui la poussèrent à porter
plainte. Protégé par certains collègues qui l'accompagnèrent
alors chaque jour jusqu'au métro, Teddy Lussi-Modeste eut fort à
craindre pour son intégrité physique ainsi que pour la leur. Bien
des années plus tard, marqué par cette douloureuse expérience, le
voici enfin près à exorciser cet épisode de son existence. Mais
pas seulement puisque Pas de vague
s'inscrit très clairement dans le mouvement de libération de la
parole des professeurs, lesquels doivent faire généralement face à
un mur du silence propre à une hiérarchie de l'enseignement qui,
comme le proclame très justement le titre du film, préfère ne pas
faire de vague. François Civil incarne donc un personnage
directement rattaché au réalisateur et aux événements qu'il subit
à l'époque. Le film évoque les difficultés rencontrées par ce
prof habituellement très proche de ses élèves, une condition qui
aura d'ailleurs tendance à lui être reprocher. D'où cette
absurdité crasse qui se dégage de l'analyse comportementale du
''sujet'' autour duquel toute l'intrigue repose.
Du
proviseur qui semble manifester un désintérêt pour l'un de ses
professeurs jusqu'aux élèves de Julien dont la plupart va d'emblée
afficher une certaine hostilité, voire de la moquerie, envers lui.
Le courage ici provient donc moins de l'institution qui logiquement
doit aider les élèves MAIS AUSSI ses enseignants que de cet homme
qui jusqu'au bout se battra pour qu'éclate la vérité. De manière
sobre mais aussi parfois glaçante, Teddy Lussi-Modeste signe une
œuvre portant sur un sujet délicat où les événements
s'enchaînent de telle sorte que le héros semble s'enfoncer
inexorablement dans un puits sans fond. D'une certaine manière, le
film met également en exergue un autre sujet même si à l'époque
des faits les médias et les réseaux sociaux promulguaient les
premiers balbutiants du phénomène Meeto
depuis peu de temps.
S'il est devenu presque quotidien d'entendre parler d'agressions
physiques ou sexuelles envers les femmes, nombre de ''stars'' de la
chanson ou du cinéma se faisant les témoins personnels ou les
portes-drapeaux du dit phénomène, Pas de vague
pourrait être envisagé par certaines de ces mêmes personnalités
ivres de buzz et de reconnaissance (le genre pour qui briller à
nouveau devant les caméras est un besoin nécessaire) comme le
mauvais élève d'un cinéma sociologique très contemporain. Où
l'on juge avant de savoir. Où l'on condamne avant même que les
premières preuves n'apparaissent. Comme l'évoquait si bien Teddy
Lussi-Modeste lors de son entretien pour le journal Le
Monde
donné fin mars, « Dans
cette histoire, il n’y a pas un coupable et une victime, mais deux
victimes
». Nous pourrions même ajouter qu'il en demeure davantage. Des
professeurs aux élèves qui malgré eux perdent confiance, des
parents qui s'inquiètent pour une simple sortie scolaire, du
compagnon de Julien ou de leur entourage proche, toutes celles et
ceux qui orbitent autour de ce professeur injustement accusé sont
indirectement touchés. Bref, en ayant été personnellement la
victime du sort accordé à son principal protagoniste, Teddy
Lussi-Modeste était très certainement le mieux placé pour évoquer
son calvaire. En résulte une œuvre très forte et formidablement
incarnée par François Civil qui à cette occasion troque son
costume de ''bouffon'' pour celui de tragédien...
Ah, que c'est bon le cinéma qui nous fait nous évader du quotidien et de l'actualité anxiogène... :-)
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